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[Dossier "Cinq ans après les Ordonnances....] Réforme des prud’hommes, CSE… Les avocats en droit social se mettent au diapason

À la une | publié le : 01.01.2022 | Frédéric Brillet

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Réforme des prud’hommes, CSE… Les avocats en droit social se mettent au diapason

Crédit photo Frédéric Brillet

 

L’encadrement des indemnités prud’homales et la fusion des instances représentatives du personnel ont bousculé le modèle économique des cabinets d’avocats en droit social. Ceux-ci ont appris à se diversifier pour s’adapter à la nouvelle donne.

« Je ne pense pas que la liberté soit pour les uns et la sécurité pour les autres. Je pense que tant les salariés que les employeurs ont besoin de liberté et de sécurité », assurait en 2017 Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, à l’Assemblée nationale où elle venait défendre les ordonnances « Macron ». Et de pointer le fait que pour un même licenciement abusif d’un salarié de vingt ans d’ancienneté, la sanction oscillait entre « 8 à 40 mois de salaire », ce qui dissuadait les petites entreprises d’embaucher. Et d’invoquer la nécessité de simplifier l’organisation du dialogue social pour légitimer la fusion des trois instances représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise, CHSCT) dans le seul CSE.

Quatre ans plus tard, cette réforme – qui s’inscrivait dans la continuité de celles initiées sous le quinquennat de François Hollande (loi LSE de 2013, loi El Khomri de 2016) – a eu le temps de marquer de son empreinte le paysage et d’impacter l’écosystème du droit social. En introduisant un barème sur les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réforme visait à réduire le risque judiciaire encouru par les employeurs pour cette infraction. Mais elle a aussi contribué à dissuader certains salariés lésés de se porter en justice…

Preuve en est, le contentieux prud’homal (voir encadré p. 14) affiche une baisse sensible puisque les affaires nouvelles, référés inclus, passent de 126 849 en 2017 à 102 696 en 2020. Toutes les catégories de salariés ne sont pas impactées de manière identique. Dans les grandes agglomérations, les cadres continuent de faire valoir leurs droits en cas de licenciement abusif. L’activité contentieuse des cabinets « côté employeurs » n’a pas vraiment pâti des ordonnances de 2017, en tout cas en région parisienne en raison du volant des affaires judiciaires déjà en cours, de la grande inertie de ces affaires déjà engagées », estime Pierre Brégou, avocat à la cour qui intervient côté employeur. Le volume des affaires nouvelles reviendrait même à un niveau significatif en 2021, avec une reprise franche des saisines.

« Un droit de riches »

Contrairement au contentieux de l’encadrement qui demeure stable, celui qui concerne les petits salariés recule encore dans la période récente. De 2018 à 2020, le nombre d’affaires nouvelles, hors référés de la section commerce, passe de 34 509 à 30 789 et celui de l’industrie de 19 898 à 16 029. Ouvriers, employés et techniciens de tous secteurs qui gagnent moins de 3 000 euros brut et ont acquis une faible ancienneté (deux à cinq ans) hésitent désormais à se porter aux prud’hommes. Avant 2017, ils obtenaient avec deux ans d’ancienneté au minimum 18 000 euros soit six mois de salaire et cela pouvait s’envoler en fonction du préjudice réel subi (parfois, entre 12 et 18 mois de salaire soit de 36 000 à 54 000 euros) pour un licenciement abusif. « Aujourd’hui avec deux ans d’ancienneté, les indemnités sont plafonnées à 10 500 euros (3,5 mois) et à 18 000 euros avec cinq ans d’ancienneté », constate Octave Lemiale, fondateur du cabinet Combat, spécialisé en droit social.

Conséquence ? Les salariés modestes qui ont moins de trois ans d’ancienneté ne peuvent tabler sur les indemnités pour se faire accompagner aux prud’hommes par un avocat, alors même qu’ils peinent à monter leur dossier sans l’assistance d’un professionnel du droit. « Le recours aux prud’hommes tend à devenir un droit de riches car les petits justiciables hésitent à y recourir. Les indemnités qu’ils peuvent percevoir ne sont plus suffisantes une fois déduits les honoraires d’avocat, alors même qu’ils ont plus besoin qu’avant de se faire accompagner du fait de la complexification de la procédure », résume Savine Bernard, spécialiste en droit social côté salarié du cabinet 1948.

Pour continuer à maintenir une activité avec ces petits clients, des cabinets qui affichent des convictions sociales comme 1948 dépassent donc la logique de rentabilité individuelle de chaque dossier pour établir une grille tarifaire tenant compte des revenus de chacun, à raison d’un mois de salaire par plaignant. Autre axe de développement, les discriminations qui demeurent importantes mais génèrent encore peu de contentieux. « La loi française propose de bons outils de lutte contre les discriminations systémiques mais il s’agit d’un droit sous-utilisé, en particulier par les femmes. Nous avons un potentiel énorme de dossiers à traiter pour peu que nous convainquions les salariés concernés de venir consulter », poursuit Savine Bernard.

Intégration des heures supplémentaires

D’autres voies juridiques permettent par ailleurs de compléter le barème. On peut d’abord invoquer la violation de la législation du temps de travail. Cet angle d’attaque concerne surtout les cadres placés dans le régime du forfait-jour dont les employeurs négligent de vérifier si la charge de travail est compatible avec la santé et le repos de ces salariés. Ce motif permet alors de demander aux prud’hommes le règlement des heures supplémentaires non payées, en plus des indemnités pour licenciement abusif. Ce levier constitue pour les avocats un champ juridique prometteur pour inciter les salariés à se défendre contre leur employeur en recourant à leurs services. « Un salarié peut obtenir 3 à 4 fois les plafonds du barème en intégrant les heures supplémentaires à la négociation », précise Octave Lemiale. Par ailleurs « de nombreuses demandes font état d’un harcèlement moral qui, s’il est reconnu par la juridiction, entraîne un déplafonnement des indemnités voire la réintégration du salarié à son poste », rappelle Pierre Brégou, avocat à la Cour qui intervient côté employeur. Enfin, on assiste à la multiplication de demandes « accessoires » comme des dommages et intérêts pour procédures brutales et vexatoires ou violation de l’obligation de sécurité.

Pour inciter les salariés à se faire accompagner par des professionnels, des « legal techs », comme JobDoctor proposent de les guider en ligne pas à pas dans le règlement de leur contentieux. « Vous avez été licencié ? Votre direction vous propose une rupture conventionnelle ? Vous êtes en train de faire un burn-out ? JobDoctor vous permet d’établir la preuve de votre volume horaire », argumente ainsi la page d’accueil de Jobdoctor. Une fois effectué en ligne le décompte des heures non payées, l’avocat prend le relais pour négocier le règlement de ces heures qui s’ajoutent aux indemnités pour licenciement abusif. Dans cette configuration, le contentieux se solde généralement par une transaction. La préférence pour cette dernière solution très en vogue explique aussi la baisse des recours aux prud’hommes.

Les avocats des salariés cherchant systématiquement des moyens pour échapper au barème prud’homal (discrimination, harcèlement moral, contestation du forfait-jour…), le traitement des dossiers s’en trouve complexifié, gonflant d’autant les frais de justice. « Quand nous défendons un employeur, nous devons répondre à toutes les demandes et à tous les arguments de la partie adverse. Conséquence, le coût de traitement de chaque affaire augmente », explique Béatrice Pola, avocate en droit social au cabinet Proskauer Rose qui intervient côté employeur. « Cette inflation du temps passé sur chaque dossier a finalement un impact négatif sur beaucoup de monde : les magistrats et les parties – les employeurs et salariés – et, enfin, leurs avocats, ces derniers ne pouvant facturer tout le temps passé. »

Les avocats se réinventent par ailleurs en développant une activité de conseil. Ceux qui interviennent auprès des salariés négociant une rupture conventionnelle peuvent à ce stade développer une expertise sur le traitement social et fiscal des sommes négociées. L’avocat justifie alors son intervention en maîtrisant les mécanismes d’exonération d’impôt et les règles qui vont régir le salarié au regard de Pôle emploi ou de sa retraite, ou de l’enchaînement des deux. Les avocats côté employeurs interviennent eux aussi en amont. « Nous nous devons d’attirer l’attention de nos clients, surtout les TPE et PME qui sont moins armées sur les questions RH des différentes demandes que pourraient générer un licenciement et ses conséquences indemnitaires », confirme Pierre Brégou, avocat à la Cour.

L’activité auprès des syndicats connaît aussi des mutations importantes. Et là encore, les ordonnances de 2017 ne sont pas les seules en cause. La loi El-Khomri avait déjà contribué au recul du contentieux dans le domaine social. Elle facilite en effet le choix par l’employeur du niveau auquel il mène ses négociations, société par société, métier par métier ou au niveau du groupe. Ce faisant, l’employeur peut plus facilement signer des accords avec des syndicats conciliants mais pas forcément majoritaires. « Cette disposition tue le contentieux. De grands groupes peuvent contourner des bastions syndicaux opposés à ces accords en les diluant dans des ensembles plus larges », pointe Savine Bernard, avocate au cabinet 1948.

Assistances aux élus du personnel

Cela dit, les professionnels du droit social peuvent miser sur de nouveaux besoins émanant des IRP. L’accompagnement dans les négociations constitue pour les avocats en droit social une autre piste de diversification. « Je reçois plus de sollicitations des syndicats. Celles-ci prennent de l’importance au sein de chaque entreprise puisque les ordonnances Macron autorisent désormais les employeurs à faire moins bien que les conventions collectives ou les dispositions de la loi lorsqu’elles sont supplétives, du fait de l’abandon du principe de faveur », constate Octave Lemiale, fondateur du cabinet Combat Avocats. Ainsi un accord d’entreprise peut désormais prévoir une majoration des heures travaillées au-delà de 35 heures égale à 110 % en lieu et place de 125 % pour les huit premières heures et 150 % pour les suivantes. « Ma prestation évolue. Elle sort du cadre strictement juridique, j’assiste mes clients par ma connaissance des rapports de force dans l’entreprise. Je les incite à ne signer des accords qu’à la condition que ceux-ci puissent satisfaire des revendications de longue date. Je leur fais prendre conscience qu’ils sont désormais en position de force pour exiger un dialogue social de qualité. Il y a aussi tout un travail de rédaction des clauses juridiques pour que ces accords ne lèsent pas, ou le moins possible, les salariés. » Enfin les avocats peuvent proposer aux élus du personnel de les assister pour veiller au respect des procédures de consultation, notamment tout ce qui concerne l’accès aux informations leur permettant d’exercer utilement leur compétence. « Ce champ juridique mérite d’être mieux exploité. J’incite les CSE à toujours exiger sans lâcher leurs demandes d’informations, car la loi prévoit qu’ils sont les yeux des salariés dans l’entreprise et que le président du tribunal judiciaire est compétent, pour statuer en urgence sur toutes les demandes d’accès à l’information de la part des élus », poursuit Octave Lemiale.

Qu’ils agissent côté employeurs ou salariés, les avocats spécialisés en droit social ont donc tout intérêt à inscrire davantage leur action en amont et à défricher de nouveaux champs juridiques, comme celui des heures supplémentaires ou du conseil amont dans la négociation d’accords individuels ou collectifs.

Mais ceux qui demeurent campés sur des schémas à l’ancienne risquent de pâtir des ordonnances.

Prud’hommes : une activité en baisse sur le long terme

Selon les statistiques du Ministère de la justice, les affaires nouvelles, référés inclus, portées devant les conseils de prud’hommes ne cessent de reculer en France.126 849 en 2017, 119 669 en 2018, 118 573 en 2019, 102 696 en 2020. Mais faire porter le chapeau de la décrue aux seules ordonnances Macron serait simpliste car la tendance baissière est bien plus ancienne, puisqu’entre 2005 on recensait 207 770 affaires nouvelles. Entre-temps, toute une série de réformes ont dissuadé les justiciables de recourir aux prud’hommes : la modernisation de la carte judiciaire par la ministre Rachida Dati en 2007 a d’abord réduit le nombre de conseils prud’homaux. Conséquence, des salariés au revenu minimum habitant en zone rurale ont pu renoncer à faire valoir leurs droits, découragés par le kilométrage à parcourir. Ensuite une loi de 2013 relative à la sécurisation des parcours professionnels a réduit les délais de saisine. Par ailleurs, la loi du 6 août 2015 et le décret de 2016 qui en a découlé ont encore accéléré la baisse du contentieux en modifiant la procédure prud’homale. De nouvelles obligations s’imposent désormais aux plaignants sous peine de nullité de leur recours : ils doivent remettre un formulaire Cerfa, constituer un dossier complet avec contrat de travail, fiches de paie, lettre de licenciement et motiver leur requête… Dans ce contexte, les ordonnances de 2017 n’ont fait que conforter un environnement juridique et réglementaire devenu au fil du temps moins favorable aux salariés et moins propice à la judiciarisation des relations sociales.

Transcripteurs de comptes rendus : le métier n’a pas souffert

Ubiqus, Pro-Script, Transcriptus, Mot Tech, H2com… Autant de noms inconnus du grand public mais qui sont familiers aux élus du personnel et responsables RH qui se rencontrent dans les CSE. Spécialisées dans la rédaction de procès-verbaux issus d’échanges oraux, ces sociétés réalisent une partie ou l’essentiel de leur activité avec les IRP qui peuvent ainsi conserver une trace écrite des débats et rendre compte des décisions. Dans ce secteur, on trouve une poignée d’opérateurs historiques d’une taille respectable comme Ubiqus. Créée en 1991, cette société, non contente d’employer en France quelque 120 rédacteurs salariés qui traitent quelque 17 500 réunions par an, se développe dans huit autres pays, dont les États-Unis. Autour de ce mastodonte de la profession de scribe évolue « une bonne centaine de TPE qui s’appuient sur la proximité de service, une réactivité accrue et des tarifs moins élevés en raison de charges fixes contenues », explique Michèle Carlier, fondatrice de l’agence Pro-Script qui s’appuie sur un réseau de rédacteurs indépendants. Enfin, on compte dans ce métier une multitude d’autoentrepreneurs qui proposent leurs services en direct aux CSE.

Contre toute attente, ce métier de niche n’a pas souffert de la réforme de 2017 et son activité continue de croître. Certes, les heures de délégation et les budgets de fonctionnement des CSE ont fondu mais les représentants des salariés ont changé leur manière de faire pour s’adapter à ces nouvelles contraintes. Parce qu’ils ont absorbé les CHSCT, « les CSE abordent des sujets plus vastes et les ordres du jour ont doublé de volume. Il faut parfois aborder une trentaine de points en une seule réunion. Conséquence, la durée moyenne des réunions mensuelles ordinaires s’allonge, passant à 6 ou 8 heures », constate Michèle Carlier dont les trois-quarts de l’activité reposent sur les IRP. Ubiqus établit le même constat : « Moins nombreux, les élus disposent de moins de temps pour rédiger les PV. Faire appel à un partenaire leur permet de se consacrer à leur mission d’élu plutôt qu’à la rédaction du PV, une tâche indispensable mais très administrative », résume Jennifer Deldicque-Duquesne, chef de produit marketing au sein du groupe.

Enfin, contrairement à d’autres métiers, la retranscription des débats n’est pas menacée par la mondialisation.

En revanche, la reconnaissance vocale pourrait réduire à terme le besoin de rédacteurs pour la retranscription intégrale. L’équipe Ubiqus Labs, le service de R&D interne développe ainsi des solutions informatiques pour traiter des termes très pointus (juridique, médical, social, technique…).

« Mais l’Automatic Speech Recognition (ASR) n’est pour l’instant utilisable que pour le mot à mot, pas pour les documents à valeur ajoutée (comptes rendus et synthèses) », précise Jennifer Deldicque-Duquesne.

Auteur

  • Frédéric Brillet