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Les seconds de corvée se mobilisent

Dossier | publié le : 01.12.2021 |

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Les seconds de corvée se mobilisent

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Encouragés par les pouvoirs publics et la pénurie de main-d’œuvre, les partenaires sociaux des métiers de « deuxième ligne » éprouvés par la crise sanitaire (BTP, propreté, agroalimentaire sécurité…) négocient pour améliorer les conditions de travail et de rémunération.

On n’avait pas vu ça depuis des décennies : le 8 septembre dernier, un Premier Ministre, Jean Castex en l’occurrence, interpellait publiquement des branches couvrant des métiers de seconde ligne comme l’agroalimentaire et la restauration pour qu’elles engagent des négociations visant à améliorer les conditions de travail et les salaires. Voilà pour le bâton. Sa déclaration succédait à la carotte gouvernementale annoncée cet été, en l’occurrence la reconduction de la « prime Macron » au bénéfice des travailleurs de la deuxième ligne. Ceux-ci pourront ainsi toucher jusqu’à 2000 euros exonérés d’impôt, de cotisations et contributions sociales si des mesures de revalorisation sont engagées dans leur branche. Un coup de pouce certes mais qui demeure une solution inadéquate pour traiter le problème des bas salaires, estime Yves Veyrier, secrétaire général de FO : « le versement d’une prime défiscalisée et exonérée de cotisations sociales ne peut remplacer des augmentations de salaire pérennes ».

Pris entre ces incitations et admonestations, les partenaires sociaux avancent à des vitesses très variables. « La plupart de ces métiers dits de deuxième ligne sont non délocalisables, il n’y a donc aucune raison de ne pas payer la qualification, de ne pas améliorer les conditions de travail » s’étonne Catherine Perret, secrétaire confédérale en charge de l’emploi et de la protection sociale à la CGT. Reste que dans certains secteurs comme la restauration, le risque ne se limite pas aux délocalisations : à trop répercuter sur la facture le coût des acquis sociaux concédés au personnel, les employeurs peuvent perdre des clients et devoir finalement licencier.

Les secteurs qui avancent…

Parmi les secteurs qui ont pris de l’avance, on trouve la sécurité qui s’est déjà engagée à mieux valoriser l’expérience pour structurer et diversifier les carrières. Dans cette perspective, la Fédération française de la sécurité privée (FFSP) a, mai dernier, signé dans le cadre du programme « 1 jeune, 1 solution », l’un des programmes du du plan de relance, une convention sous l’égide du Ministère du Travail, prévoyant la formation et l’embauche de 20 000 jeunes dans les métiers de la cybersécurité, et 5 000 embauches d’autres jeunes dans la surveillance humaine, avec possibilité d’évoluer vers la cybersécurité. « Dans une profession qui recherche en priorité les personnels en entrée de la grille, rémunérés au SMIC, il est essentiel de changer de paradigme pour que l’expérience ne soit plus un poids mais une chance. Ainsi les agents pourront être fidélisés et les capacités professionnelles accrues par l’expérience ou par des formations pourront être valorisées auprès des clients » détaille Claude Tarlet, président de la Fédération française de la sécurité privée (FFSP).

En outre, la branche sécurité prévoit de revaloriser toute l’échelle des rémunérations, à commencer par le bas avec + 10 % de hausse promise pour les plus bas salaires.

Autre branche active, la propreté prend elle aussi des mesures pour regagner en attractivité. Elle envisage ainsi d’améliorer les salaires et les conditions de travail dégradées par des temps partiels trop souvent subis, le morcellement des journées de travail, les CDD. Les transporteurs routiers mènent quant à eux des discussions sur les classifications et reconnaissent la nécessité d’augmenter les indemnités de frais de déplacement des chauffeurs… Dans les services à la personne enfin, les employeurs s’engagent à améliorer les salaires des aides à domicile.

…et les autres

Et puis il y a les retardataires pointés par le Gouvernement… parmi lesquels le BTP ou l’hôtellerie-restauration qui manque pourtant cruellement de bras. Ce retard pris au départ quand d’autres secteurs claironnent déjà de nouveaux avantages accroît la concurrence entre métiers de seconde ligne. Durant le confinement, on a vu des serveurs se tourner vers d’autres métiers aux contraintes moindres. L’hôtellerie-restauration a vu ainsi partir 237.000 employés entre février 2020 et février 2021, entraînant une pénurie de main-d’œuvre qui a surpris les professionnels. Depuis, les syndicats patronaux et de salariés se divisent sur les moyens de rétablir l’attractivité de postes en cuisine et surtout en salle, l’importance et la nature des concessions à accorder, ce qui ralentit la signature d’un accord. Ainsi, l’Umih (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie) qui comprend ceux de la restauration, proposait début octobre toute une série de mesures pour améliorer l’attractivité de ces métiers : augmentation du salaire de 6 à 9 %, un treizième mois, des congés certains week-ends… Le syndicat patronal en vient même à réclamer la fin des exonérations de charges sur les bas salaires ces dernières dissuadant les employeurs de les augmenter, alimentant indirectement le turn-over et incitant les salariés lassés d’être mal payés à changer d’orientation. De son côté, le GNI (Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration) préconise surtout la limitation des coupures entre les services, pénibles pour les employés qui travaillent trop loin de leur domicile pour retourner s’y reposer. Car au-delà du pouvoir d’achat, l’équilibre vie professionnelle et personnelle devient essentiel pour les postulants à ces métiers, tout comme il l’est déjà pour les jeunes diplômés. À l’inverse, d’autres fédérations semblent s’inquiéter que les choses aillent trop vite et que les employeurs fragiles ne puissent s’adapter à des propositions socialement trop coûteuses…

2021, année charnière

Tous ces efforts suffiront-ils à renverser la tendance et à susciter de nouvelles vocations ? Catherine Perret, en doute. Les branches négligent en effet de prendre en compte la totalité des causes du manque d’attractivité de ces métiers, notamment l’absence d’évolution de carrière ou de rémunération. « Traiter uniquement les questions de formation sans qu’elles débouchent sur une nouvelle qualification donnant une augmentation salariale n’est pas sérieux », juge-t-elle. Quoi qu’il en soit, ce mouvement récent en faveur des salariés historiquement sous-payés, qui affecte les Etats-Unis comme l’Europe, ne cesse de se propager. 2021 marquera-t-elle un tournant dans la manière dont les métiers de deuxième ligne sont considérés ? « C’est une année charnière. La prise de conscience de la nécessité d’évoluer semble désormais partagée. La tension sur les recrutements se fait sentir, et avec elle la nécessité d’être plus attractifs » estime Claude Tarlet.

Des premiers aux seconds de corvée

Si les travailleurs du secteur de la santé ont constitué la « première ligne » de défense du pays face à la pandémie de Covid-19, d’autres secteurs d’activité se sont vus mobilisés durant les périodes de confinement pour assurer la continuité de l’activité économique. Et ces « salariés de deuxième ligne » ont eux aussi été durement éprouvés par la crise. Au fil des travaux menés sous l’égide de Sophie Moreau-Follenfant (directrice générale du pôle RH de RTE) et Christine Ehrel (économiste du travail au Cnam) en concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement a dressé une liste progressivement de 57 branches dont les métiers méritent revalorisation. Deux critères particuliers ont présidé à cette sélection : la présence obligatoire sur le lieu de travail pendant le premier confinement et le contact prolongé avec le public et/ou des collègues susceptibles d’augmenter le risque de contamination. Dans ce vaste ensemble, on trouve les agriculteurs et les ouvriers de divers secteurs (BTP, agroalimentaire), les employés de la grande distribution, du gardiennage et de la sécurité, du nettoyage, de l’hôtellerie et la restauration, de la logistique, les artisans des métiers de bouche…

Points communs à toutes ces professions ? Des conditions d’emploi « nettement moins favorables que celles de la moyenne des salariés du secteur privé » avec des salaires 30 % inférieurs, notait la Dares dans une étude consacrée aux conditions de travail des salariés de la deuxième ligne parue en mai 2021. Ils subissent en outre plus souvent des horaires atypiques, des contrats précaires ou à temps partiel et bénéficient de moins de formation. Tous ces faits et chiffres objectivant les situations professionnelles doivent servir de base de discussion aux partenaires sociaux, l’État jouant un rôle incitatif dans ce dossier pour aboutir à des accords de revalorisation dans les branches concernées.