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La semaine de quatre jours : l’avenir du travail ?

À la une | publié le : 01.12.2021 | Irène Lopez

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La semaine de quatre jours : l’avenir du travail ?

Crédit photo Irène Lopez

 

La thématique de la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires a refait surface dans le débat public à l’occasion de la crise sanitaire. 60 % des Français et même certains pans du patronat sont en tout cas déjà favorables à la généralisation de cette mesure qui pourrait générer deux millions d’emplois, rendre les salariés plus heureux… et plus productifs.

« Cela fait plus de 24 ans que nous sommes passés à la semaine des 4 jours. Pour rien au monde, nous ne voudrions revenir en arrière ». Pour Susana Mendès, secrétaire générale d’Yprema, une entreprise de cent salariés spécialisée dans la transformation de matériaux de déconstruction en granulats, hors de question de revenir sur les choix effectués il y a près d’un demi-siècle en matière de temps de travail. Retour en arrière : en 1997, l’entreprise emploie alors quarante-deux personnes à 39 heures hebdomadaires et se trouve en pleine expansion, peinant même à fournir suffisamment de granulats pour construire les revêtements de route. Ses clients doivent faire face à des ruptures de stocks. À l’époque, Claude Prigent, le président, pratique déjà une politique sociale très avantageuse pour ses salariés : système de participation, prise en charge de la mutuelle à 50 % par l’employeur (alors que ce n’est pas encore obligatoire), etc. Pour lui, réduire le temps de travail fait partie d’une tendance sociétale.

C’est dans le cadre de la loi de Robien promulguée quelques mois plus tôt qu’Yprema passe, le 1er juin 1997, aux 35 heures, payées 39, sur quatre jours. En contrepartie d’un allègement de 30 % du montant total des cotisations sociales, l’accord prévoyait de recruter 10 % de salariés supplémentaires. La société embauche alors cinq personnes. La productivité augmente. Depuis l’entreprise n’a cessé de « bien se porter ». Elle affichait en 2018 un chiffre d’affaires de 23 millions d’euros.

Il faut se replonger dans le contexte de l’époque pour se rendre compte à quel point Yprema faisait figure d’Ovni. « À l’époque, on ne l’a pas crié sur les toits, s’amuse Susana Mendes. « Avouer que l’on travaillait 35 heures avait même mauvaise presse ! Cela voulait dire que l’on était fainéant. En juin 2022, nous passerons aux 32 heures, sans baisse de salaire et en recrutant trois personnes. Il sera alors plus facile de communiquer sur la réduction du temps de travail que cela ne l’était en 1997. »

La semaine de quatre jours ? Un modèle qui fait rêver deux salariés sur trois comme le montre l’étude Workforce View in Europe 2019 réalisée par Aéroports de Paris auprès de plus de 10 000 salariés européens, dont 1 410 Français. Les travailleurs sont toutefois divisés quant aux sacrifices qu’ils seraient prêts à consentir : 83 % choisiraient de travailler plus pendant quatre jours et seulement 17 % préféreraient renoncer à une partie de leur salaire.

Un reportage sur Microsoft au Japon

Cet aménagement du temps de travail peut se moduler de plusieurs manières : soit l’entreprise opte pour une augmentation de l’amplitude journalière (les 35 heures sont réparties sur quatre jours) soit le temps de travail est de 32 heures hebdomadaires. C’est ce dernier choix qu’a fait l’entreprise lyonnaise de vente à distance LDLC qui emploie près de 1 000 personnes. Elle a acté le passage aux 32 heures hebdomadaires en février 2021. L’accord entérine la réduction du temps de travail sans baisse de salaire. Les trois syndicats représentatifs CGT, CFDT et CFE-CGC ont signé… sans avoir à négocier ! La décision de Laurent de la Clergerie, président du directoire, n’a pas été motivée par la crise sanitaire ou suite à l’expérience positive menée lors des dernières canicules qui avait consisté à réduire le temps de travail des salariés d’une heure par jour. Non. C’est un reportage sur Microsoft qui l’a décidé. L’entreprise américaine avait expérimenté un retour très positif de la semaine des quatre jours au sein de ses entités japonaises. Depuis cette décision, qualifiée de « tournant historique » par la CGT de l’Isère, la valeur de l’action de LDLC a été multipliée par trois.

Laurent de Clergerie a fait ses calculs. Ce passage aux 32 heures payées 35 s’est traduit par l’embauche de trente personnes. Coût de l’opération : 1 million d’euros, soit 2 % de la masse salariale. Les treize jours de RTT préexistants sont remplacés par 47 jours « off », en plus des cinq semaines de congés payés. Malgré le coût de la mesure, le président du directoire est satisfait. « Des travailleurs heureux sont plus productifs. » aime-t-il dire. Une hausse de la production qui s’est vérifiée chez LDLC. Sans compter la visibilité pour l’entreprise qui compense largement l’investissement…

39 heures en moyenne en 2021 pour un employé à temps plein

Tout a commencé en 1993. Antoine Riboud, alors patron de Danone fait le constat suivant : « Nous sommes dans une crise logique qui suit le dérèglement des moyens financiers des années 1980. […] Le Français réduit désormais son train de vie pour rembourser ses dettes. » Le chômage structurel s’élève à 8 %. Il propose de réduire significativement la durée du travail et défend sa proposition comme suit : « Si vous la réduisez de quelques heures, la productivité absorbera la diminution d’horaires. Il faut avoir la volonté de descendre à 32 heures, soit quatre jours par semaine. Cela nécessitera toute une nouvelle organisation du travail et obligera toutes les industries et les services à embaucher fortement. » Aujourd’hui député européen (Nouvelle Donne), Pierre Larrouturou théorise cette idée en travaillant avec le député d’Amiens Gilles de Robien sur un projet d’aménagement du temps de travail qui aboutira à la loi éponyme du 11 juin 1996. Elle permettait la mise en place de la semaine de 32 heures en échange d’un allègement des cotisations sociales pour les entreprises et visait la création d’emplois supplémentaires, dans un contexte de chômage élevé (10,5 % de chômage pour l’année 1996).

Selon Pierre Larrouturou, 400 entreprises (restaurants, auto-écoles, SSII, TPME) ont profité de la Loi Robien entre juin 1996 et juin 1998 parmi lesquelles de grands comptes comme la Macif, Fleury Michon ou Mamie Nova. Pour cette dernière, l’eurodéputé se souvient : « 800 salariés sont passés à la semaine des quatre jours. Au bout de deux ans, l’entreprise a embauché 120 personnes en CDI. Avec les exonérations de cotisations, l’opération a été neutre pour la masse salariale. En outre, le bilan du médecin du travail est très positif : moins de surmenage, davantage de bien-être ». Quatre ans plus tard, les lois Aubry banaliseront la semaine de cinq jours que l’on connaît, avec un temps de travail à 35 heures hebdomadaires. Selon l’Insee, il serait en fait de 39 heures en moyenne en 2021 pour un employé à temps plein.

Le député européen a fait des 32 heures hebdomadaires sans baisse de salaire son cheval de bataille et celui du parti qu’il a créé en 2013, Nouvelle Donne. « La réduction du temps de travail est l’un des éléments les plus prometteurs d’une sortie de crise. Elle permettrait aujourd’hui de créer 1,5 à 2 millions d’emplois. » À quels salaires ? « Les exonérations de cotisations permettront de les maintenir », assure-t-il. Face à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance qui préconise de « travailler plus », il porte l’estocade en proposant de créer des emplois, soit des chômeurs en moins et des cotisants à la retraite en plus. Et de poursuivre : « En 1995, le rapport Jean Boissonnat, « Le travail dans vingt ans », conseillait déjà de réduire le temps de travail ». Ce que le député européen oublie toutefois de préciser, c’est que l’économiste déconseillait une réduction hebdomadaire généralisée. Ses travaux affirment au contraire qu’« une réduction hebdomadaire généralisée répond mal à toute la diversité des situations. Il faut par ailleurs préserver les temps sociaux. Un objectif de réduction du travail salarié sous forme d’une durée légale annuelle – 1 500 heures en 2015 dont 10 % consacrés à la formation permanente – doit être combiné avec le développement d’un temps individuel décidé entre employeur et salarié au sein d’un cadre collectif négocié entre partenaires sociaux. »

« Surtout pas de loi mais une négociation au cas par cas » confirme Nicolas Recapet, DRH chez Talan. En 2021, le groupe de conseil a reçu 100 000 candidats. Aucun d’eux n’avait évoqué les 32 heures ou la semaine de quatre jours. « Nos collaborateurs et nos candidats sont en quête de sens. Mais la question de la réduction du temps de travail n’émerge pas. » Peut-être parce que la population salariée de Talan est composée de cadres autonomes. Nicolas Recapet admet : « Souplesse et flexibilité sont attendues par nos collaborateurs. Elle pourrait très bien se traduire par 35 heures en quatre jours. Mais cela nécessiterait une agilité exceptionnelle. En outre, nous sommes tributaires de l’organisation et des rythmes de travail de nos clients. La semaine de quatre jours n’est donc pas à l’ordre du jour du groupe. »

Chez Talan, les souhaits des collaborateurs sont néanmoins examinés avec attention voire acceptés. « Par exemple, quelques collaborateurs ont demandé de ne plus bénéficier de clause d’exclusivité pour développer une activité, à côté, qui leur tient à cœur. C’est le cas d’un salarié qui a monté, avec le statut d’autoentrepreneur, une activité de vente de produits protéinés (en mode Tupperware avec des réunions à domicile). Cela le passionne. Il est pleinement investi chez Talan. Tant que son travail n’est pas impacté, il n’y a pas de raison de s’opposer à son bien-être. Ce dernier n’a pas besoin de passer par la réduction du temps de travail. Au sein du groupe, nous œuvrons pour la responsabilité collective. Si un collaborateur a besoin de prendre 1 ou 2 heures pour un rendez-vous médical, il s’y rend. Chez nous, il n’y a pas de pointeuse. » conclut Nicolas Recapet.

Retour en arrière

Cependant, certaines entreprises concernées par la loi Robien, sont revenues sur leur décision. La Macif qui avait adopté en 2000 la semaine de 31 h 30 réparties sur quatre ou cinq jours est passée aux 35 heures sur cinq jours depuis 2019. À l’époque à la tête des ressources humaine, Benoît Serre, aujourd’hui vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH), explique : « Le temps de travail hebdomadaire ne pouvait pas rester à 31 h 30. D’un point de vue économique, ce n’était pas viable. L’environnement des assurances est hyperconcurrentiel. Pour réussir à avoir des horaires d’ouverture comme nos concurrents, il fallait davantage d’amplitude horaire. En négociant une meilleure retraite complémentaire entre autres, nous sommes donc repassés aux 35 heures. » Chez Fleury Michon, la semaine de 32 heures adoptée en 1998 a cédé la place à un accord négocié en 2017 par les syndicats pour laisser le choix aux salariés : passer aux 35 heures en étant un peu mieux payés mais en cumulant moins de journées de récupération, et inversement pour ceux qui veulent rester aux 33 heures. Chez Pasquer, les salariés n’y trouvaient pas leur compte. L’une d’elles confie : « Le jour de libre n’était jamais le même. Je n’ai donc pas réussi à prévoir un loisir, à m’inscrire à une activité régulière. » Bref, il reste encore des améliorations à apporter au dispositif pour contenter tout le monde…

Auteur

  • Irène Lopez