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Télétravail et syndicats

Idées | Juridique | publié le : 01.11.2021 |

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Télétravail et syndicats

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En matière de dialogue social d’entreprise, quelles seront les répliques sismiques du tremblement de terre organisationnel de 2020-2021 ? La banalisation du travail à distance (davantage de télétravailleurs, plus de jours télétravaillés) nous invite à y réfléchir. Sachant que d’autres confinements ne sont pas à exclure, et que les sujets lourds de négociation sont nombreux : transition énergétique, restructurations et… passage au télétravail.

Problème : même s’il paraît difficile de lui reprocher la date de sa naissance (1982), rien dans notre Code n’est conçu pour : droit syndical (tracts, affiches…), liberté de circulation des délégués ou négociation collective, tout repose sur une présence physique dans l’entreprise de l’employeur négociateur et des représentants du personnel.

Dans son rapport très optimiste publié en avril 2021, IndustriAll Europe (la fédération syndicale européenne de l’industrie) constatait qu’avec la pandémie, « une plus grande présence des syndicats sur les réseaux sociaux, le lancement de sondages et le large recours aux visioconférences ont permis aux adhérents de participer plus activement à la vie syndicale, et aux délégués de toucher un plus large public. Cette prise de pouls directe du terrain a nourri les échanges avec les employeurs, et amélioré les positions des syndicats dans les négociations ». La nécessaire double face de la vie syndicale

1. Côté liens avec les salariés

En matière d’adhérents, la période était déjà rude pour nos syndicats avant la pandémie. Or, travailler davantage au domicile pèsera sur l’adhésion, et a fortiori le militantisme. Même si pour mobiliser, un groupe WhatsApp peut s’avérer dix fois plus efficace que mille tracts et qu’il est possible d’organiser en une heure un référendum express par l’intermédiaire d’une conversation Facebook.

Le télétravail renforcera donc l’évolution d’un droit collectif des travailleurs aux droits individuels d’un citoyen, travaillant chez lui. Car son vécu est un phénomène hyper-individualisé : aux spécificités du salarié s’ajoutent celles du citoyen, dans son environnement familial par définition spécifique.

Des questions subsistent.

La banalisation du vote électronique lié au développement du télétravail permettra-t-elle de lutter contre une abstention croissante ? L’actualité ne montre hélas aucun sursaut de la participation : comme en matière politique, les raisons de cette sécession croissante sont plus profondes.

À l’instar des « délégués-cadres » légaux, faut-il désigner des « délégués-télétravailleurs », l’ouvrier ou le chef de rayon ne saisissant pas forcément bien les spécificités de cette organisation si particulière ? Ou faire confiance aux syndicats pour choisir des délégués ad hoc…souvent cadres ? Les byzantins contentieux et la volonté de ne pas encourager un nouveau fractionnement de la communauté de travail liés à la première solution incitent à choisir la seconde.

Comment assurer la communication syndicat-télétravailleurs ?

« Des modalités spécifiques de communication entre les salariés et leurs représentants devront être prévues par les entreprises afin de faciliter l’exercice du droit syndical » : l’article 6-1 de l’ANI télétravail du 26 novembre 2020 ne nous aide guère. Certes, le droit n’est pas la vie, et la pandémie a montré une immense créativité en la matière.

Mais que faire si l’on veut dépasser les tracts et les affiches papier ?

Loi du 8 août 2016 : « Un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise. À défaut d’accord, les organisations syndicales présentes dans l’entreprise […] peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise, lorsqu’il existe. »

En l’absence d’accord, aujourd’hui, chaque collaborateur ne peut donc que se connecter à la page intranet du syndicat : un affichage virtuel au succès très, très limité. Car il n’est pas évident d’aller chercher l’information syndicale après un cheminement plus ou moins long, avec la crainte d’être identifié… D’où le succès des blogs et sites syndicaux externes ne relevant pas du droit du travail, mais parfois scrutés par la concurrence ou des journalistes. Là encore, mieux vaut laver son linge sale en famille…

Fin 2021 donc, même pour les télétravailleurs réguliers, voire à temps plein, pas de « droit à » la messagerie ou au réseau social interne.

L’interactivité est liée à un accord collectif, et ce n’est pas un hasard. Car vu la bombe communicationnelle que peut constituer la messagerie, par exemple en cas de conflit collectif dur, il faut ici avoir l’esprit ouvert, mais pas béant.

L’accord d’entreprise sera donc donnant-donnant : accès à la messagerie à tous les syndicats présents, signataires ou non, représentatifs ou non, au nom du principe d’égalité. Mais à une double condition :

• légale : « Cette utilisation doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique, ne pas avoir de conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise, et préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message » (L. 2142-6) ;

• et surtout conventionnelle. Car en cas de problème, la préoccupation n° 1 côté entreprise est de trouver des sanctions rapides, efficaces (ex : suspension pour un mois de l’accès à la première infraction), et sans recours au juge, car le temps du juge, même des référés, n’est pas celui des TIC. Et l’action judiciaire, avec le respect du contradictoire devenant grand déballage en présence de médias aboutit parfois à l’opposé du résultat souhaité.

La négociation commencera donc par le dernier article, rarement négociable : en cas d’actes illicites (injure, diffamation, atteinte à la vie privée, diffusion d’informations confidentielles), d’abus ou plus généralement de non-respect des conditions conventionnellement fixées, l’accord autorisera l’entreprise à en suspendre provisoirement mais immédiatement l’accès.

2. Côté négociation avec l’employeur

Depuis l’expérience grandeur nature du télétravail forcé de 2020-2021, nous avons aujourd’hui une vision plus réaliste des rapports collectifs de travail à distance.

Car consulter des membres du CSE, mais surtout négocier avec les délégués syndicaux, ne se limite pas à échanger des informations lors d’une réunion Zoom : c’est aussi la gestuelle de X, les mimiques d’Y, les apartés en cours de réunion ou les discrètes négociations intersyndicales lors d’une pause-café… Qui aujourd’hui ont parfois lieu sur une conversation privée Facebook, pendant la négociation avec l’employeur sur Slack. Mais l’informel d’hier ne s’improvise plus.

En partant d’un principe : hors problèmes sanitaires ou force majeure (climat), les rencontres physiques sont préférables aux rencontres virtuelles.

Alors tout en présentiel ? Mauvaise idée que ce mode binaire bien français du « tout ou rien ». Si des réunions exigent des négociateurs de fatiguants trajets, coûteux en argent et en CO2, vive le mode hybride ! Le bon sens n’est donc pas interdit : s’il s’agit d’une réunion de brève durée, sur des sujets peu conflictuels… Mais pour négocier un PSE ou un APC, le distanciel doit être exclu.

En pratique ?

L’expérience du confinement a montré que l’utilisation, par des délégués pas tous geeks, du vieil ordinateur du fiston avec une connexion aléatoire était une calamité pour le groupe tout entier. Il faut donc commencer par la base de cette nouvelle pyramide de Maslow.

• En assurant une communication vidéo techniquement fluide pour l’ensemble des participants. Si demain chacun aura son hologramme dans la salle de négociation virtuellement recréée, aujourd’hui au minimum bien équiper les négociateurs syndicaux (Portable + 4G). Qui auront acquis une dextérité technologique minimum : l’accord du 11 mai 2021 de la Mutuelle Générale prévoit ainsi 2 000 € par organisation syndicale pour former à la communication en ligne.

• Si l’hybride successif a du bon (toutes les réunions n’ont pas forcément à se tenir en entreprise), la fausse bonne idée de l’hybride concomitant (certains négociateurs présents dans l’entreprise, les autres sur Teams) doit être évitée. Pour des raisons techniques (Larsen), mais aussi humaines : les présents regardant peu leurs écrans, les délégués à leur domicile sont marginalisés, devenant plus spectateurs qu’acteurs.

• Les dates de la négociation devront être programmées bien à l’avance, et l’accord prévoir les mécanismes de report de jours de télétravail pour les négociateurs devant rejoindre l’entreprise.

Dans les entreprises où un jour par semaine n’est pas ouvert au télétravail afin de protéger le collectif, la négociation y trouvera naturellement sa place. Il n’est jamais trop tard pour retrouver la machine à café, avec tous les collègues.

Mais dans l’immédiat, attendons le 15 novembre prochain, évoqué par la loi du 5 août 2021 relative à la fin de l’état de crise sanitaire. Le législateur souhaitera-t-il pérenniser l’anormal, ou revenir à la normale ?