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Un nouveau métier pour prendre soin des aidants en entreprise

Décodages | QVT | publié le : 01.11.2021 | Lucie Tanneau

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Un nouveau métier pour prendre soin des aidants en entreprise

Crédit photo Lucie Tanneau

8 à 11 millions de Français accompagnent un proche en tant qu’aidant. Beaucoup cumulent cette activité non rémunérée mais chronophage et pesante émotionnellement avec leur métier. Un actif sur cinq serait aujourd’hui aidant. Des entreprises développement des aides pour les accompagner (horaires, congé, soutien psychologique…). Un nouveau métier serait même en train d’apparaître : « care manager », un assistant au service de l’aidant.

Séverine est comptable, 35 heures par semaine. Elle passe le reste de son temps avec son mari et ses enfants et, dès qu’elle le peut, s’occupe aussi de ses parents qui perdent progressivement en autonomie. Elle leur prépare quelques plats, fait un peu de ménage. Elle organise aussi des passages d’aides à domicile et réfléchit à l’après, ce qui lui vaut quelques insomnies. Elle pense appeler quelques Ehpad pour se renseigner, mais les secrétariats ne sont ouverts que sur ses heures de travail. Elle passera les coups de fil sur ses temps de pause.

Cette situation est fictionnelle. Pourtant nombre d’entre nous peuvent s’y reconnaître. Ou reconnaître un proche. 8 à 11 millions de Français sont aujourd’hui « aidants » pour un proche selon les chiffres du Gouvernement, c’est-à-dire qu’il l’accompagne dans sa fragilité, sa maladie voire sa fin de vie. Ce peut être un parent âgé, un voisin, un enfant, un conjoint. Leur moyenne d’âge est de 52 à 59 ans, et la plupart d’entre eux sont donc salariés en parallèle, révèle le baromètre Aider et Travailler de Tillia, une structure d’accompagnement des aidants, fondée par Christine Lamidel, en intraprenariat chez BNP Paribas. Un actif sur cinq serait dans cette situation. « 39 % des aidants le sont déjà de deux personnes, et ils demandent en moyenne 26 jours d’absence de plus par an que leurs collègues non-aidants », soulève Christine Lamidel. « Mais plus de 65 % d’entre eux ne parlent pas de leur situation à leur supérieur hiérarchique », regrette le Centre d’information aux aidants (CIF-aidants). C’est pour lutter contre cette invisibilité qu’un métier est en train de faire son apparition : le « care manager ». Ce nouveau venu dans le monde de l’entreprise serait un assistant personnel au service du salarié aidant. Son rôle : « coordonner la mise en place de solutions afin d’apporter un vrai temps de répit au salarié aidant », selon l’organisme OuiCare, qui propose ce service et a mis en place un care manager pour ses 18 000 collaborateurs depuis septembre 2021. Dans le détail, le care manager doit répondre aux questions, trouver des informations et dispositifs existants, aider à l’organisation du salarié aidant, chercher pour lui des structures ou des professionnels pour son aidé. Une définition large puisqu’elle dépend de la relation aidant-aidé et de la place que souhaite lui laisser l’aidant.

Le care manager existe au Canada, au Japon, aux États-Unis sous des formes différentes. En France, le concept apparaît tout juste – et n’est pas traduit. En entreprises, il reste rare. « Le care management existe, mais le métier de care manager, je ne l’ai jamais rencontré », tranche d’emblée Pascal Jeannot, directeur du CIF-aidants, président et fondateur de la Maison des aidants et vice-président du collectif Je t’Aide. « Et il y a une confusion de terme », souligne-t-il. Car le care manager apparaît en France dans un texte officiel, mais il ne s’agit pas d’« aidance » »… « Dans le rapport grand âge El Khomri, il vise à revaloriser le métier d’aide à domicile pour les personnes âgées dans l’idée d’inverser la courbe de pénurie de personnel alors que le vieillissement de la population s’accélère », souligne Pascal Jeannot. Loin de l’assistant personnel du salarié en entreprise donc. « Je ne sais pas si cette confusion relève d’un choix délibéré ou d’un manque d’information », accorde-t-il, soulignant que la prise de conscience du sujet des aidants en entreprises commence tout juste. « Nous sommes quelques structures privées [Prev&Care, Amantine, Respons’âge… NDLR] à proposer des missions d’accompagnement, de soutien, d’information auprès des entreprises depuis dix ans. Depuis un ou deux ans, les choses s’accélèrent », retrace-t-il.

Des assistants sociaux revalorisés ?

Le plan « Agir pour les aidants 2020-2022 », lancé en 2019 par le Gouvernement, vise à répondre aux besoins quotidiens des proches aidants : rompre l’isolement, soutenir les jeunes aidants, permettre l’accès à de nouveaux droits sociaux, renforcer leur suivi médical, mettre en œuvre des solutions de répit, ainsi que faciliter leurs démarches administratives et la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Le rapport Libault de mars 2019, remis à l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzin veut aussi faire de la conciliation du rôle d’aidant et de la vie professionnelle un sujet obligatoire du dialogue social de branche.

Certaines entreprises, pionnières, ont développé un accompagnement vis-à-vis des salariés aidants depuis une dizaine d’années. C’est le cas de La Poste. « Nous n’avons pas de care manager », explique Florence Wiener, la directrice de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail à la DRH du groupe, « mais au sein des équipes RH, plusieurs personnes spécialisées dans les sujets de santé ou de QVT gèrent le sujet des aidants, depuis le siège et pour le faire redescendre jusqu’aux entités territoriales », précise-t-elle. La Poste a créé un Guichet des aidants en 2016. Il donne accès à une plateforme téléphonique d’écoute, de conseil et d’orientation avec des prestataires externes qui accompagnent aussi le salarié dans ses démarches. En interne, le salarié peut être reconnu aidant et obtenir un certificat qui lui permet de bénéficier de chèques emploi service (Cesu) bonifiés, de contributions au financement de séjours de répit, etc. 3 436 certificats d’aidants ont été délivrés l’an dernier, valables pour trois ans. « En 2018, les dispositifs ont été consolidés », ajoute Florence Wiener, « un accord social a été signé pour améliorer la conciliation de vie des aidants, avec la création d’un fonds de solidarité pour les jours de congé (jusqu’à 30 par an), du télétravail, une souplesse horaire, trois jours rémunérés offerts par an pour permettre à l’aidant de faire les démarches qui sont nécessaires à son proche, une mobilité géographique privilégiée… » Depuis 2019, le motif d’absence « aidants » a aussi été intégré au système d’information interne, au même titre qu’un congé enfant malade, qu’un congé maladie, parental ou autre. La communication autour de ces dispositifs a été renforcée et les responsables des ressources humaines, assistants sociaux et services de santé au travail ont tous été sensibilisés à la thématique. « Les salariés-aidants s’adressent en général aux assistants sociaux plus facilement qu’aux managers : ils permettent un contact de proximité », reconnaît Florence Wiener.

« Les assistants sociaux sont souvent des care manager qui n’en portent pas le nom », reconnaît Marina Al Rubae, aidante auprès de ses parents, tous les deux sourds, qui vient de sortir le guide « Les proches aidants pour les nuls », co-écrit avec Jean Ruch (éditions First). D’expérience, elle sait que BNP Paribas ou la SNCF accompagnent avec leurs assistants sociaux leurs salariés aidants, mais elle, dans sa vie de journaliste et communicante, n’a jamais bénéficié de ce soutien. « J’aimerais qu’il y ait dans mon entreprise un référent aidant comme il existe un référent handicap, pour parler de ma situation en toute confiance, et m’aider à savoir vers qui me tourner pour m’accompagner et m’orienter », exprime-t-elle. « Les entreprises ont besoin de voir leurs salariés investis dans leur travail, or les aidants doivent gérer leurs problèmes depuis le boulot, ce qui désorganise leur travail et leur équipe. J’adore mon boulot, mais je dois toujours bricoler pour suivre mes parents en même temps. C’est de la fatigue, du stress, parfois du manque d’appétit ou de sommeil… », met-elle en garde. Elle avoue n’avoir jamais osé en parler à ses employeurs : « Je craignais d’être jugée inapte ou qu’on se dise qu’on ne peut pas compter sur moi, regrette-elle. C’est dingue que des milliers de personnes se taisent par peur de déranger alors qu’il y aura bientôt autant d’aidants que de parents en entreprise ! », calcule-t-elle.

Un magicien contre la charge mentale.

Pour Joël Riou, fondateur de Respons-âge un service de care management externe créé en 2013, « la démarche d’aider les aidants est la même que celle de proposer des berceaux en crèche ». « Proposer à ses salariés de les aider à trouver un orthophoniste pour leur enfant, un financement pour une auxiliaire de vie pour leur conjoint atteint d’un cancer, une place en Ehpad pour leur parent ou une maison de repos pour leur proche à la suite d’une hospitalisation ôte de la charge mentale et permet d’avoir des salariés mieux dans leurs baskets », décrit-il. Avec des abonnements à son service, il propose aux salariés de ses clients (Sanofi, L’Oréal, Crédit agricole, Danone, Dior…) cet accompagnement personnalisé. « Je pense que le care manager tel que nous le proposons est plus utile à l’extérieur d’une entreprise, car on ne peut pas demander à une personne en interne de connaître tous les dispositifs, et de tout gérer tout le temps », défend-il. Car la vie des aidants est du 24h/24, ce que proposent les prestataires privées et que ne pourrait pas proposer un référent aidant interne. « Mais il faut le relais des RH et managers pour que le service soit connu de tous », encourage-t-il, estimant à 3 millions le nombre de salariés-aidants qui ont accès aujourd’hui à au moins une plateforme d’écoute. « On a une cible de 1 000 entreprises, mais seulement 100 clients : celles qui font vraiment du care management sont exceptionnelles », assure-t-il. Avant de reconnaître qu’elles ne le font pas comme une œuvre de bienfaisance, mais pour s’assurer la performance de ses salariés, libérés –ou allégés – d’une charge mentale et de situations souvent lourdes à porter.

Pour Aurélie Pierre-Léandre, la directrice de Handéo-service, qui remet à des entreprises le label Cap Handéo, qui leur permet un accompagnement de trois ans pour aller plus loin dans leurs services d’accompagnement aux aidants, les entreprises françaises ne sont pas encore mûres pour le métier de care manager. « Un des grands freins est le manque d’informations. Il existe des dispositifs que les aidants salariés ne saisissent pas car ils ne sont pas au courant de leurs droits ou craignent d’être stigmatisés. On peut penser au congé de proche-aidant, indemnisé depuis octobre 2020. « On peut mettre tous les care manager que l’on veut, si le message clair que l’entreprise est attentive aux fragilités ne passe pas, leur rôle ne servira à rien car les aidants ont peur d’être mis à l’écart », soupire-t-elle avant de considérer une évolution : « Les entreprises y arrivent car elles sont préoccupées par leur marque employeur, cherchent à attirer de nouveaux talents, à améliorer leurs performances, l’efficacité au travail de leurs salariés et l’organisation des équipes. » « Il est important de passer le message que les salariés-aidants ne sont pas une charge, mais plutôt une plus-value », souligne-t-elle. Habitués à mener des projets, à chercher des financements, à travailler en collectif (avec les autres aidants, les soignants, les institutions), à faire passer des messages… « Le problème est que le sujet de l’« aidance » est souvent peu maîtrisé en entreprises, que ces dernières ne savent pas où placer le curseur du dialogue avec le salarié sur le sujet, car il est à la frontière entre vie privée et vie professionnelle, et qu’elles sont mal outillées pour faire face à ces situations », relève Aurélie Pierre-Léandre. « Certaines le font sans le nommer, comme pour la RSE », relève néanmoins Gabrielle Guege, DG d’Interfacia, qui forme des entreprises sur le sujet. Pour elle, les entreprises doivent surtout être formées à la souplesse, pour ne pas rajouter du stress à celui des aidants. « Et reconnaître que les aidants ne sont pas fragiles, mais très forts. En revanche, si on ne les aide pas, ils peuvent le devenir », accorde-t-elle.

« Ce qu’on demande aux entreprises, c’est de respecter leurs obligations en tant qu’employeur, c’est-à-dire informer que le congé de proche aidant existe et l’organiser – surtout ne pas le refuser ! Ensuite, on peut aller plus loin dans l’organisation de services et de financements mais c’est une deuxième brique, et il faut que la première brique soit posée », exige Morgane Hiron, la déléguée générale du Collectif Je t’Aide. « Installer un care manager si tous les managers ne sont pas auparavant formés au sujet serait un gadget : il faut un climat de confiance pour que ce genre d’initiative fonctionne, et ce sera réservé aux entreprises de grande taille qui ont déjà un service des ressources humaines. »

Auteur

  • Lucie Tanneau