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Décodages

Confinement et télétravail : le boom des pratiques addictives

Décodages | Santé au travail | publié le : 01.11.2021 | Valérie Auribault

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Le boom des pratiques addictives

Crédit photo Valérie Auribault

 

La crise sanitaire et le confinement ont été propices à l’augmentation des pratiques addictives. Stress, état dépressif, isolement… Certaines entreprises ont dû innover pour intervenir, à distance, auprès de leurs salariés.

Il a arrêté l’alcool depuis un an et 168 jours. Des jours comptés « comme le ferait un détenu car une addiction est une prison », lâche Patrick Bouyssou, chef de service QSE au sein d’une entreprise de BTP. Lors du premier confinement, celui-ci s’est retrouvé seul chez lui dans sa maison à la campagne. Déjà installée, sa consommation d’alcool a rapidement augmenté. Il s’est alors souvenu de la main tendue par son employeur quelque temps plus tôt. « On ne sait jamais lorsque l’addiction arrive. Elle s’est installée dans le temps de façon insidieuse et sournoise. On boit pour se sentir bien, c’est d’abord un plaisir. Puis l’organisme réclame. L’apéro devient quotidien et la dose augmente petit à petit. Je buvais le matin avant de partir au travail et le soir en rentrant. J’ai fini par adopter une attitude pour que mes collègues ne se rendent compte de rien car il m’arrivait de trembler, d’être en état de manque », se souvient-il. Mais l’alcool reste un sujet tabou et personne n’aborde le problème. Ni Patrick, ni ses collègues. Jusqu’au jour où son supérieur le convoque. « Je savais très bien quel était l’objet de cet entretien, reconnaît l’intéressé. Mais je refusais d’admettre que j’étais alcoolique. On dit qu’on arrête quand on veut. On est dans le déni le plus complet ». La prise de conscience aura finalement lieu pendant le premier confinement en mars 2020. « À 9 heures, nous étions environ vingt-cinq salariés connectés pour la première visioconférence, poursuit-il. Seul, chez soi, il n’y a plus de limites. Certains se sont rendu compte de mon état. Pour la deuxième visioconférence à 11 heures, je n’étais plus apte. Et je n’ai pas pu assister à celle de 15 heures. Le lendemain, je me suis souvenu de la main tendue par mon responsable. Je l’ai appelé pour savoir si son aide tenait toujours ». Orienté par son entreprise vers un addictologue, ce salarié a ensuite été accompagné par un patient-expert, un ancien alcoolique qui a tourné le dos à son addiction. Un soutien de tous les instants pour ne pas flancher.

Des pratiques addictives en hausse.

Une expérience à laquelle un grand nombre de salariés a été confronté. Car la crise sanitaire a accentué les pratiques addictives. Près de 80 % des employés, pris en charge pour une addiction avant la crise, ont rechuté, selon un sondage du cabinet GAE Conseil. 5,5 millions d’entre eux ont déclaré avoir augmenté leur consommation d’alcool, plus de 50 % ont passé davantage de temps devant les écrans et 27 % ont augmenté leur consommation de tabac. « Certains employés, en prise avec une addiction, évitaient de consommer en entreprise. Mais le télétravail a été un facteur aggravant car les salariés se sont retrouvés isolés chez eux, sans le regard de leurs collègues et face à leurs angoisses devant la pandémie », explique Alexis Peschard, addictologue et fondateur de GAE Conseil. Et à chacun ses mauvaises habitudes. Selon le baromètre annuel Santé au travail 2020 – Étude Santé, travail et Covid réalisée par Malakoff Médéric-Humanis, 23 % des salariés sont fumeurs, 12 % prennent des somnifères, anxiolytiques et antidépresseurs, 7 % consomment des boissons alcoolisées chaque jour, 6 % prennent des drogues (cannabis, cocaïne). Des fragilités amplifiées par la crise sanitaire et plusieurs facteurs : la fatigue (pour 34 % d’entre eux), un sentiment d’isolement (33 %), un état dépressif (31 %), stress (29 %), insomnies et prise de poids (23 %). Chaque année, le groupe mutualiste constate que certaines populations sont plus exposées que d’autres aux pratiques addictives. « Les salariés travaillant de nuit, en horaires postés ou atypiques, consomment principalement des médicaments et des produits stimulants ou de l’alcool pour tenir le coup, note Benjamin Chaillou, responsable du département conseil et accompagnement chez Malakoff Médéric Humanis. Les personnels exposés au public sont, eux aussi, consommateurs de tabac, d’alcool ou de cannabis ». Durant la crise, les managers n’ont pas échappé aux difficultés d’adaptation. 18 % d’entre eux, confrontés au chômage partiel, ont connu une hausse dans leurs pratiques addictives. « Les managers se sont également sentis démunis à cause de la distance avec leurs collaborateurs, explique Alexis Peschard. 72 % d’entre eux ont déclaré qui leur était plus difficile d’aborder le sujet des addictions dans ces conditions. Que se passe-t-il lorsque le salarié coupe la connexion ? Il y avait la crainte du passage à l’acte, le manque de maîtrise. Certains ont préféré attendre le retour en présentiel pour aborder ces sujets ». Pour finalement constater que bon nombre de salariés allaient moins bien après la crise.

Garder le lien en distanciel.

« Toutes les entreprises et tous les managers ne sont pas formés aux pratiques addictives mais bien davantage aux risques psychosociaux, constate Benjamin Chaillou. Les managers ont dû procéder à la mise en place du télétravail. Ceci nécessite des compétences qui ne s’inventent pas. C’est une population qui a été très éprouvée par l’animation des équipes à distances, le maintien d’un certain niveau de performance. Le tout en un temps record, tout en prenant en charge les collaborateurs. Seules les entreprises qui possèdent un niveau de maturité élevé, comme les grands groupes, ont pu réagir à ces problématiques ». Certaines ont organisé des ateliers préventifs malgré la distance. GAE Conseil a mis en place des visio théâtralisées. « La force du distanciel, c’est l’anonymat. Les salariés pouvaient s’inscrire sous un pseudonyme et poser toutes les questions qu’ils voulaient. Ainsi, lors d’un premier rendez-vous en collectif, 250 personnes ont participé à l’atelier en distanciel. Il y a eu jusqu’à 50 questions individuelles. C’est énorme », souligne Alexis Peschard. Beaucoup de salariés n’ont pas souhaité renoncer, malgré la morosité ambiante. Alice Denoize, tabacologue, se souvient que « dès le premier confinement, beaucoup de personnes m’ont contactée pour stopper la cigarette et ne pas ajouter du stress au stress. D’autres ont préféré remettre à plus tard car ils estimaient ne pas être en mesure de tout gérer en même temps. Mais j’ai constaté une hausse très nette de la consommation notamment du cannabis qui a pu, pour certains, jouer un rôle d’anxiolytique ». Les visioconférences ont, malgré tout, révélé les comportements de certains. « À quelques rares occasions, des employés ont pu voir un collègue fumer cigarette sur cigarette par écrans interposés. Beaucoup d’entreprises m’ont contactée », explique Alice Denoize. De ce fait, même à distance, le lien n’a pas été coupé. « Même derrière leur écran, ces thématiques ont été abordées lors de webinaires. Nous avons beaucoup travaillé avec les responsables des ressources humaines », souligne Bérangère Sintès, chargée de communication à l’association Adixio, qui agît au sein d’entreprises comme La Poste ou Orange. Sylvie Lepoutre, responsable du programme Santé et bien-être chez General Electric Renouvelable, a procédé à une étude pour savoir ce que les salariés souhaitaient aborder durant le confinement. « Les addictions ont été largement citées », dit-elle. Afin d’être à l’écoute des collaborateurs et prendre en charge leur bien-être psychologique, des séances de sophrologie ont été impulsées en distanciel. « Nous avons mis les salariés en relation autour d’une thérapeute afin de les sortir de leur isolement, explique Sylvie Lepoutre. Une salariée, confrontée autrefois à une addiction, a également partagé son expérience. Ce témoin a permis de mettre les salariés en confiance ». Le 7 octobre dernier, l’entreprise a mis en place une conférence en ligne sur les addictions. « 320 personnes se sont connectées, souligne Sylvie Lepoutre. On n’avait jamais vu ça. Une employée a évoqué son addiction décuplée avec le télétravail. D’autres ont parlé de leurs addictions au sucre, à la nourriture ou aux écrans ». Face à ses demandes, le service médical a mis en place des lignes d’écoute pour les salariés et leur famille. « Lors de cette période particulière, nous nous sommes rendus compte d’un vrai besoin. Nous allons donc continuer à travailler en ce sens », poursuit Sylvie Lepoutre. De son côté, le cabinet GAE Conseil a lancé, avec l’aide de plusieurs mutuelles et institutions de prévoyance, une campagne de prévention des conduites addictives à travers un Escape Game, « Addict’Town », afin de toucher le plus de monde possible. Avec la baisse des contaminations dues à la Covid-19, la plupart des salariés ont réintégré les locaux de l’entreprise et le mois sans tabac, lui, est impulsé, cette année, comme à l’accoutumé… en présentiel.

Auteur

  • Valérie Auribault