Parce qu’elle bénéficie d’un accompagnement social de qualité et intervient dans une région dynamique, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ne constitue pas une catastrophe. Mais elle n’en suscite pas moins des inquiétudes chez les élus, salariés et syndicats locaux.
Parce qu’elle bénéficie d’un accompagnement social de qualité et intervient dans une région dynamique, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ne constitue pas une catastrophe. Mais elle n’en suscite pas moins des inquiétudes chez les élus, salariés et syndicats locaux.Des maîtres-nageurs, du personnel d’accueil… Curieusement, les premières suppressions d’emploi liées à la fermeture de la centrale de Fessenheim n’avaient rien à voir avec le nucléaire. En 2012, le conseil municipal de ce village situé dans le Haut-Rhin annonce la fermeture définitive de… sa piscine dont l’accès était déjà interdit pour des raisons de sécurité du fait de sa vétusté. Les travaux de rénovation sont désormais trop chers pour la petite ville de 2 300 habitants qui doit sa prospérité à une centrale dont l’État vient d’annoncer la fermeture. « La piscine avait été inaugurée en 1976 peu de temps avant la mise en service de la centrale l’année suivante, alors même que Fessenheim ne comptait que 1 000 habitants. C’était énorme pour la commune mais à l’époque on pouvait se le permettre. Ca n’était plus le cas en 2012 : on a préféré se passer de la piscine, de crainte de ne pouvoir assumer le déficit structurel de cet équipement après l’arrêt de la centrale », détaille le maire, Claude Brender.
Fessenheim est de ces petites communes sur lesquelles la bonne fée électricité a, durant des décennies, déversé généreusement ses subsides et transformé le cadre de vie : partout en France, la présence d’une centrale nucléaire, presque toujours installée en milieu rural, va en effet de pair avec la création d’emplois stables et de haut niveau. Les impôts locaux permettent aux communes concernées de se payer des équipements sportifs, culturels et scolaires de pointe sans avoir besoin de s’endetter ni de mettre à contribution les habitants par la fiscalité locale. L’idéal pour un élu et pour ses administrés pour peu qu’ils ne soient pas hostiles au nucléaire…
Depuis 2012, la mairie de Fessenheim, ses commerces, les entreprises prestataires et les salariés locaux d’EDF savaient qu’ils allaient devoir vivre sans le nucléaire. Et en 2020, à quelques mois d’intervalle, les deux réacteurs à eau pressurisée se sont donc définitivement arrêtés. « Il y a eu beaucoup d’émotion au moment de mettre à l’arrêt une installation fiable dont nous avions pris soin pendant plus de 40 ans. Aujourd’hui, nous sommes tournés vers l’avenir », détaillait Elvire Charre, directrice du site dans un bulletin publié le 24 juin dernier. Un état d’esprit que confirme Anne Laszlo, déléguée fédérale Europe et international chez CFE Énergies : « On continue de bien faire notre job même si on sait que ça va s’arrêter. Il faut travailler dans l’industrie pour comprendre ça. Les agents restent professionnels mais c’est un crève-cœur pour eux de démanteler une centrale en parfait état de marche. » Une fois le pré-démantèlement achevé en 2025, l’étape du démantèlement proprement dit s’ouvrira. Elle devrait s’étaler sur quinze ans et mobiliser divers métiers dans l’ingénierie classique, la mécanique, l’électricité, la ventilation, la manutention, l’appui logistique… « Au sein du groupe, 1 000 personnes sont mobilisées sur les opérations de déconstruction et la gestion des déchets radioactifs », précise-t-on chez EDF.
À mesure que les effectifs se réduisent, il faut aussi songer à réorganiser les services pour éviter que les ceux qui restent ne se retrouvent seuls sur un plateau ou dans un bureau. Trop déprimant. « La pandémie et le confinement n’ont pas arrangé les choses. On n’a même pas pu dire au revoir aux partants ni pleurer ensemble la fin de Fessenheim… », soupire une salariée. Pour compenser et permettre au personnel d’exprimer cette émotion, des témoignages vidéo ont donc été recueillis et mis en ligne sur Internet…
Les conséquences sociales de la fermeture ne se sont pas fait attendre. De 850 salariés EDF quand elle tournait à plein régime, Fessenheim est passée à 737 en 2018 et à 400 au 1er octobre 2021. Les effectifs permanents des entreprises prestataires qui y assurent des missions très pointues ont chuté quant à eux de 350 à 250 fin 2020. Parmi celles qui ont réduit la voilure, on trouve Ardatem, spécialisée dans la maintenance d’équipements électriques qui employait une demi-douzaine de salariés quand la centrale tournait à plein régime. Spécialiste de l’application de peintures industrielles et de revêtements spéciaux, Laffarat y comptait presque une dizaine d’employés sur site et le chaudronnier Endel une vingtaine.
Et cette décrue va se poursuivre (en 2025, les effectifs du site tomberont à 66 chez EDF et à une centaine chez les prestataires), ce qui inquiète depuis longtemps les partenaires sociaux. Mandaté par le CCE d’EDF et le CE de la centrale de Fessenheim, le cabinet Syndex réalisait en 2017 une étude évaluant l’impact socio-économique de la fermeture et pointant les obstacles au reclassement et à la mobilité. On y apprenait ainsi que la moitié des agents EDF du site étaient propriétaires de leur logement et que 77 % vivaient en couple. 41 % des agents étant nés en Alsace et manifestaient un fort attachement à leur région. Syndex estimait par ailleurs à quelque 2 000 emplois l’empreinte totale de la centrale sur les zones de Colmar et de Mulhouse, soit 1 % de l’emploi dans ces deux secteurs, en y incluant les emplois induits par l’activité de la centrale et la présence d’agents qui sont aussi des consommateurs.
Au vu de ces enjeux, l’entreprise a voulu démontrer à Fessenheim sa capacité à se retirer proprement en développant de nouveaux projets industriels. Avec l’aide des pouvoirs publics, elle a donc joué la carte du « quoi qu’il en coûte » pour aider son personnel et celui de ses prestataires à rebondir en y mettant des moyens conséquents et en s’interdisant tout licenciement. Depuis 2018 date de création d’une cellule de reclassement, 3 500 entretiens ont été réalisés auprès des salariés EDF afin de les aider à se construire un nouveau parcours professionnel. La cellule intègre la création d’une équipe de conseillers mobilité dédiés – souvent eux-mêmes issus du site –, la prise en charge psychologique des salariés et des dispositions particulières en cas de mobilité géographique telle que la prise en compte de la situation du conjoint. En parallèle, la DRH a organisé des forums métiers et a fait venir à cette fin des représentants d’autres sites ou métiers à Fessenheim.
Les employés des entreprises partenaires n’ont pas été oubliés : EDF a investi 490 000 euros dans la cellule d’accompagnement des quelque 300 salariés des entreprises prestataires et les pouvoirs publics locaux et nationaux ont mis sur la table 730 000 euros en complément pour financer leur reconversion. Ce dispositif constitue une des actions du Projet de territoire de Fessenheim, cofinancée par EDF, l’État, le GIM est (groupement des industriels de maintenance de l’est), ainsi que la Région Grand-Est. Sur la période 2019-2020 cette cellule a conduit plus de 600 entretiens individuels, précise-t-on à la préfecture du Haut-Rhin. À cela s’ajoutent plus de 30 millions investis sur le territoire par les pouvoirs publics dans des projets économiques et sociaux créant des emplois : construction d’un terminal colis lourds dans le port rhénan de Colmar – Neuf-Brisach, d’un centre artistique…
Ces efforts ont, semble-t-il, payé : 83 % des salariés EDF de la centrale avaient trouvé une nouvelle affectation au premier septembre 2021, le plus souvent au prix d’une réinstallation couverte par une prime spéciale versée par l’employeur. Une soixantaine d’agents suivis par une demi-douzaine de conseillers en mobilité demeurent cependant sans solution. « La direction tient à être exemplaire sur ce dossier de Fessenheim et fait preuve de bonne volonté », reconnaît Alain Besserer, secrétaire FO du CSE de la centrale. « On est prioritaires quand un poste correspondant à notre qualification se libère. Mais les autres sites nucléaires sont au minimum à trois heures de route. Dans tous les cas, il faut déménager. Or tout le monde n’est pas mobile géographiquement. » Pour ce qui est de la mobilité fonctionnelle, les métiers techniques sont confrontés à un autre défi. Par exemple, les ingénieurs du nucléaire ont un niveau de compétence élevé mais difficilement transférable dans les autres activités d’EDF, qu’il s’agisse d’hydroélectricité, d’éolien ou de distribution d’électricité via Enedis. En outre, ils sont souvent plus chers…
À plus long terme, la question de la reconversion du site qui appartient à EDF se pose. L’entreprise envisage d’y implanter un « technocentre » en partenariat avec Orano, spécialiste de la gestion du combustible nucléaire. Cette installation industrielle servirait à valoriser les matériaux métalliques très faiblement irradiés, notamment ceux issus de la déconstruction des centrales, en vue de les réutiliser dans l’industrie conventionnelle après traitement et contrôle du respect des normes environnementales et sanitaires. « Environ 150 emplois pérennes seraient alors créés sur le site auxquels on peut ajouter les emplois nécessaires à la construction de l’installation. ».En 2020, l’État a par ailleurs nommé un commissaire à la reconversion pour redynamiser le territoire. « Le problème c’est qu’on n’a pas de foncier disponible, il faut créer une nouvelle zone d’activité. Et le site de la centrale ne pourra être utilisé par d’autres entreprises ou activités que dans une vingtaine d’années », soupire Claude Brender, maire de Fessenheim.
Mais à court terme, tout va bien : la fermeture n’a pas fait exploser le chômage local, le marché immobilier et les commerces se maintiennent, mis à part les hôtels-restaurants qui tournaient avec des salariés en mission temporaire dans la centrale. Profitant du dynamisme de la région Alsace, proche de la frontière, bien dotée en équipements, Fessenheim continue d’attirer des résidents français ou allemands.
Quoi qu’il en soit, les partenaires sociaux et les élus locaux savent qu’il faudra tirer des leçons de Fessenheim, en identifiant des bonnes pratiques d’accompagnement des fermetures, sachant que des scénarios similaires vont se répéter dans le secteur énergétique.
« On s’attend dans toute l’Europe à des décisions politiques obligeant à la fermeture de centrales charbon ou nucléaires. C’est un défi pour nous, syndicats européens, de s’assurer que les salariés soient bien accompagnés », conclut Anne Laszlo.
Même s’il voit le jour, le potentiel fiscal du technocentre ne sera pas à la hauteur de ce que rapportait le nucléaire à Fessenheim. En 2020, la centrale a contribué à la fiscalité locale à hauteur de 12,8 millions d’euros mais ce montant devrait chuter à 2 millions d’euros en 2021 suite à la fermeture. Prenant prétexte qu’il compense cette perte en versant au territoire de Fessenheim 6,4 millions d’euros par an jusqu’en 2023, l’État demande à la communauté de communes du Pays Rhin-Brisach (CCPRB) dont fait partie Fessenheim de continuer à payer chaque année 2,87 millions d’euros au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), qui établit une péréquation nationale entre communes riches et pauvres. « L’État prétend à une fermeture exemplaire mais nous demande de payer une part de taxe qu’on ne perçoit plus. Au mieux, on nous laisse entrevoir qu’on sera exempté de payer un tiers des 2,87 millions deuros, mais c’est insuffisant » s’indigne Claude Brender, maire de Fessenheim.