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Quelle réindustrialisation après la crise ?

À la une | publié le : 01.11.2021 | Dominique Perez

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Quelle réindustrialisation après la crise ?

Crédit photo Dominique Perez

 

Elle a fait preuve d’une certaine résilience pendant la crise sanitaire, et est en voie de retrouver son niveau d’emploi global d’avant mars 2020. Mais l’industrie peut-elle vraiment de retrouver la place qu’elle avait perdue dans le tissu économique français ?

Trente ans d’érosion, presque à bas bruit… Ce que Bruno Le Maire a nommé, « la capitulation industrielle de la France » a fait son œuvre, lentement mais sûrement. Avec environ deux millions d’emplois perdus en trente ans, et une part de l’industrie dans le PIB passée de 35 % en 1970 à moins de 20 % aujourd’hui, il était quasiment acté que ce mouvement était inexorable. Malgré la tentative, en 2014, du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg promoteur d’un retour au « made in France », et initiateur d’un « plan de reconquête industrielle », le secteur a poursuivi sa décrue en France. Jusqu’à la crise sanitaire, qui a remis le sujet avec force sur le devant de la scène. « La pénurie de masques, de respirateurs et d’équipements essentiels a révélé notre dépendance à la fabrication étrangère… », résume Caroline Mini, économiste, chef de projets à la Fabrique de l’industrie. Dans un rapport publié en septembre dernier par ce think tank, intitulé « Politique industrielle en réponse à la crise, le retour de l’État-pilote », Sonia Bellit, également chef de projet, synthétise la problématique : « Inédite par son ampleur, ayant révélé avec force les risques dépendance inhérents à la désindustrialisation et à la fragmentation des processus de production, cette crise a confirmé que les pays les moins industrialisés et les plus dépendants des approvisionnements étrangers ne sont pas en mesure de sécuriser tous les besoins primaires de leur population, notamment dans le domaine de la santé. » Une fois ce constat posé, l’urgence du Gouvernement dans la crise fut au moins de tenter de sauver l’existant, avant d’opérer une volte-face historique pour réindustrialiser la France.

L’aéronautique sous perfusion

Aides aux PME industrielles, coups de pouces financiers pour la modernisation de l’appareil productif et la numérisation et accent mis sur les dispositifs permettant de sauvegarder l’emploi ont été les priorités du Gouvernement pendant la crise, en mobilisant les milliards de France Relance et les PGE (prêts garantis par l’État) d’une part, les dispositifs d’activité partielle de longue durée (APLD) d’autre part. « Nous pouvions être très inquiets au début de la crise, commente Gabriel Artero, président de la CFE-CGC Métallurgie, mais l’APLD, que nous avons pu négocier très vite, a certainement beaucoup amorti le choc. Nous n’avons cependant pas encore de données précises concernant les conséquences sur l’emploi de la crise par branches, nous savons que c’est très variable d’un secteur à l’autre. Dans l’aéronautique, par exemple, on sait que l’emploi repart, mais il y a encore des incertitudes. »

Ce qui reste à la France de fleurons industriels, dont Airbus fait partie, a fait l’objet de toutes les attentions. Après avoir annoncé en juin 2020 la suppression de 15 000 postes, dont 5 000 en France, l’avionneur met en œuvre un PSE et évite les licenciements secs. Un courant d’air frais, mais qui ne doit pas, selon les syndicats, masquer les conséquences de la crise sur l’emploi global dans le secteur. « Aujourd’hui, le bilan définitif des PSE dans une cinquantaine d’établissements du secteur aéronautique et spatial, n’est pas encore totalement connu, constate également Edwin Liard, secrétaire fédéral FO en charge de l’aéronautique, espace et défense. Mais on sait que ceux qui ont utilisé l’APLD ont pu garder les compétences dans l’entreprise, les autres sont très dépourvus aujourd’hui, au moment où le recrutement redémarre dans l’industrie. On évalue à environ 70 000 le nombre de postes vacants dans l’industrie dans son ensemble. Malgré tout, on a limité la casse, si on considère que 60 % de l’activité du secteur s’est arrêtée pendant la crise. »

Cependant, cette question des salariés « perdus » résonne comme un gâchis auprès des responsables syndicaux. « Dans l’aéronautique, les perspectives de reprise s’annoncent, c’est vrai, avec quand même une difficulté, c’est qu’on a licencié vite et fort, constate également Stéphane Destuges, secrétaire général de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT. Notre estimation est quand même d’environ 30 000 emplois supprimés, essentiellement dans la sous-traitance. On espère que d’ici à trois ou quatre ans, l’emploi sera revenu au même niveau qu’avant la crise. Notre crainte est cependant qu’elle ait été l’occasion de mettre en place des statuts plus précaires. Certaines entreprises ont réembauché des salariés qu’elles avaient licenciés, mais avec des contrats d’intérim ou des CDI de fin de chantier. « Une information qui trouve écho du côté de Sylvain Menigoz, directeur du marché industrie de Manpower France. « Airbus nous a demandé de nous préparer en constituant des viviers de compétences d’intérimaires pour les six prochains mois, pour être en capacité d’en intégrer probablement des centaines d’ici à 2022. Avec des profils qui, pour certains, vont probablement évoluer et « qui seront en partie liés à l’évolution des nouvelles technologies, notamment avec le développement du moteur à hydrogène. Il faut trouver des énergéticiens, par exemple, ce ne sont pas forcément les mêmes compétences qu’auparavant », estime Gabriel Artero.

Automobile : une grande indécision pour l’avenir

Parmi les secteurs industriels les plus « à risque » cependant, l’automobile arrive certainement devant tous les autres actuellement. « La crise a été l’occasion d’amplifier des tendances déjà à l’oeuvre, estime par exemple Stéphane Destuges. Il faudrait une vraie volonté de constituer une filière prête à investir dans la transition écologique en France et à s’organiser, à réfléchir en termes de compétences nécessaires notamment, ce qui n’est pas dans l’actualité des constructeurs automobiles. » Cette tentation du « chacun pour soi » a d’ailleurs fait l’objet d’un tacle du président de la République lors de son allocution du 12 octobre dernier présentant le plan d’investissement « France 2030 »… La crise sanitaire, qui a notamment provoqué un manque de composants électroniques, n’est pas la seule en cause. « On avait espoir que le secteur de l’automobile repartirait en 2021, estime par exemple Sylvain Menigoz. Or, avant même la crise, il était déjà en pleine transformation, due à la voiture connectée, qui nécessite des milliards d’investissements, des raisons environnementales, qui imposent, sous peine de centaines de milliers d’euros de pénalités, de participer à la baisse du taux de CO2 et enfin une révolution sociétale, qui tend à favoriser le partage ou la location de voiture, au détriment de l’achat. Dans ce secteur, on n’a pas la force de reprise du secteur manufacturier dans son ensemble. » Conséquence : des inquiétudes tangibles sur le front de l’emploi du secteur se font jour.

Les limites de la réindustrialisation

Transitions écologiques, évolution nécessaire des compétences, modernisation de l’outil industriel… Autant de thématiques qui concernent cependant l’industrie dans son ensemble, reprises par Emmanuel Macron dans sa présentation du plan d’investissement industriel. Mais est-il encore temps d’opérer une vraie machine arrière ? Malgré les efforts manifestes de l’État notamment pour inverser la tendance du « zéro usine » qui était un leitmotiv dans les années 1980-1990, on est loin, selon certains observateurs, d’un « plan Marshall » d’ampleur qui inverserait définitivement et surtout rapidement la tendance. Et qui aurait des conséquences directes et massives sur l’emploi. « Déjà parce que les usines sont de plus en plus robotisées, analyse Thomas Grjebine, économiste, responsable du programme scientifique macroéconomie et finance internationales au CEPII (Centre de recherche et d’expertise sur l’économie mondiale). Certes, quand une usine s’installe, elle crée un cercle vertueux, avec un écosystème qui se met en place, mais cela reste un pari. Et une réindustrialisation demanderait une planification de l’État comme cela existait dans les années 1960 ou 1970. » Si l’intention est bonne, pour l’économiste, « pour que les entreprises maintiennent l’emploi sur le territoire, il faudrait, comme c’est le cas en Allemagne, constituer des écosystèmes avec des centres d’apprentissage et des centres de recherche proches des sites industriels, locaux, et une implication des pouvoirs publics, comme les landers en Allemagne. En France, nous n’avons pas cette puissance de feu, et les entreprises vivent une pénurie de compétences sur certains métiers, ce n’est pas le cas en Allemagne. On peut se féliciter que l’État prenne en compte cette nécessité de réindustrialiser, mais le processus est long et difficile, et on a peu de temps. » Pour la CGT, qui a pu se réjouir de voir que le secteur reprend des couleurs au moins dans les discours, et qui a fait depuis longtemps de la réindustrialisation un cheval de bataille, « on ne redressera pas l’économie si on ne redresse pas l’industrie, tranche Marie-Claire Cailleteaud, responsable confédérale pour l’industrie de la CGT. Nous demandions depuis des années un état stratège, c’était considéré comme un gros mot qui a pourtant été repris au moment de la crise sanitaire… Parce qu’elle obligeait à prendre des positions. On ne dit pas qu’il faut tout faire comme avant, mais l’industrie doit prévoir une production au plus près des lieux de consommation, avec une économie circulaire, de l’écoconception… qui prennent en compte les défis posés aujourd’hui. « Reste à savoir, au-delà des aides financières annoncées, les détails et l’avenir du plan industriel de l’État, à la veille d’une échéance électorale majeure…

Auteur

  • Dominique Perez