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Face à l’inflation, faut-il rouvrir les négociations salariales dans les branches ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2021 |

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Face à l’inflation, faut-il rouvrir les négociations salariales dans les branches ?

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En août 2021, les prix à la consommation ont augmenté de 1,9 % sur un an, selon l’Insee – du jamais vu depuis trois ans. Certes, cette accélération de la hausse des prix pourrait n’être que temporaire. Mais alors les pénuries de main-d’œuvre sont de plus en plus fortes dans certains secteurs et que le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux l’ouverture de négociations sur les conditions de travail et les salaires dans de nouvelles branches, dont l’hôtellerie-restauration et les industries agroalimentaires, une question, pour attirer des candidats et satisfaire les salariés, se pose…

Isabelle Pelletant-Wadoux Directrice régionale, cabinet de recrutement Hays

La complexité actuelle pour attirer et fidéliser des profils confirmés a un impact salarial réel, plus ou moins contenu en fonction des secteurs et des politiques d’entreprise. Ainsi, dans la tech, les métiers pénuriques ont vu, pour des profils juniors de niveau bac + 5, la rémunération passer de 28 000 à 33 000 euros annuels, selon nos données.

Au-delà de cette pression, si les prix à la consommation augmentent, comme c’est actuellement le cas, il ne faut pas oublier les difficultés financières que connaissent certaines entreprises au sortir de la crise. Les nombreuses inconnues qui subsistent sur la vigueur de la reprise ou au contraire une résurgence de la pandémie conduisent à une frilosité qui touche les salaires, les entreprises estimant qu’elles ne peuvent prendre le risque d’accroître leur budget rémunération dans de trop fortes proportions. En conséquence, pour valoriser les salariés et les fidéliser, les employeurs que nous côtoyons ont tendance à s’éloigner d’un modèle qui consisterait, par le biais des branches, notamment, en un coup de pouce salarial non différencié, pour au contraire privilégier un modèle à base de primes individuelles sur les objectifs. Enfin, s’appuyant sur de nombreuses études qui montrent que la relation au travail et son sens ont évolué, les employeurs mettent également en place d’autres leviers que la seule rémunération pour attirer et retenir les talents. Nous constatons ainsi une augmentation des avantages qui touchent au bien-être des salariés, de même que nous assistons à une modernisation de la relation entre management et équipes. Cette évolution de la culture d’entreprise va-t-elle assez vite ? Sans doute pas. Sera-t-elle suffisante ? Peut-être pas. D’autant que la dimension culturelle est la plus lente à évoluer, tant au point de vue individuel que collectif, dans une organisation.

Maxime Dumont Conseiller confédéral CFTC, chef de file FPC & Apprentissage, administrateur France Compétences

Quelle organisation syndicale se risquerait à dire qu’il ne faut pas augmenter les plus bas revenus dans les conventions collectives, afin de leur donner un peu plus de pouvoir d’achat et un peu plus de dignité ? L’augmentation du Smic est une nécessité et il est également impératif d’augmenter les salaires dans les branches ! La première des choses à faire serait de faire appliquer la loi sur les conventions collectives. La deuxième serait de faire progresser les rémunérations conventionnelles sur tous les niveaux des grilles de l’inflation en y associant un pourcentage du gain de productivité moyen constaté dans la branche. En outre, les NAO ne sont que des obligations de négocier sur trois rencontres maximum. Il faudrait que cette obligation soit conclusive. Enfin, il est trop souvent remarqué que les accords salariaux sont soumis à l’extension pour leurs applications. Malheureusement, le délai d’extension et de procédure soumis au ministère du Travail peut prendre parfois plus d’un an, rendant les accords obsolètes. Afin d’y remédier, il faudrait réaliser des accords de branche s’appliquant sans en attendre l’extension, dès lors qu’ils sont signés majoritairement. De plus, ces accords doivent porter au minimum sur 12 mois calendaires et non, comme c’est encore trop souvent le cas, sur quelques mois. Il est évident qu’une augmentation de salaire sur l’ensemble des CSP contribue à une dynamique positive concernant l’attractivité des métiers, surtout de ceux en tension. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les générations de travailleurs et de demandeurs d’emploi du XXe siècle ne sont pas celles de l’ère industrielle. Les nouvelles réclament de la reconnaissance, une qualité de vie et, surtout, un sens propre à leur engagement dans leur travail et au sein de leur entreprise.

Jean-Marie Harribey Économiste (université de Bordeaux), directeur de la revue « Les Possibles d’Attac », auteur de « En finir avec le capitalovirus », Dunod, 2021.

Nous ne sommes pas vraiment dans une situation inflationniste. Il y a certes des augmentations de prix sur beaucoup de matières premières et sur les composants électroniques qui se répercutent sur les prix de certaines marchandises. Mais il y a un tel chômage pesant sur les salaires que la spirale inflationniste ne s’enclenche pas. La bonne démarche serait donc d’augmenter en priorité les bas salaires pour compenser la perte de pouvoir d’achat de ceux-ci. Or, plutôt que de tirer la leçon de la pandémie face à laquelle ce sont les « premiers de cordée » qui ont tenu la société, mais qui sont oubliés aujourd’hui, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, refuse d’augmenter le Smic et invite le patronat à augmenter les salaires en renvoyant le problème aux négociations de branches. Et l’État donne le mauvais exemple en bloquant le point d’indice des fonctionnaires et en multipliant les emplois sous contrat privé en son sein.

En abdiquant sa responsabilité de la politique des revenus, le Gouvernement laisse la porte ouverte aux propositions démagogiques : on entend déjà les sirènes prônant la hausse des salaires nets par la baisse des cotisations sociales. Ce qui signifierait que le système de protection sociale serait encore davantage affaibli : on voit ce qu’il en est pour l’assurance chômage et on peut craindre le pire pour les retraites. S’il est important que de véritables négociations s’ouvrent entre le patronat et les syndicats, notamment parce que les conditions de travail et d’emploi se sont dégradées, elles ont peu de chances d’aboutir dans une situation où la macroéconomie se réduit à une politique de l’offre, où l’emploi et la réduction des inégalités ne sont pas prioritaires, et où la fiscalité a été réformée en faveur des riches et des entreprises.

Ce qu’il faut retenir

// Les prix grimpent…

Sur un an, selon l’estimation provisoire réalisée par l’Insee, les prix à la consommation ont augmenté de 1,9 % en août 2021, après + 1,2 % sur un an le mois précédent. Cette hausse de l’inflation résulterait notamment du rebond des prix des produits manufacturés. De même, les prix de l’alimentation et ceux de l’énergie accélèrent. Sur un mois, les prix à la consommation ont augmenté de 0,6 % en août, après + 0,1 % en juillet. L’Insee prédit en outre pour le reste de l’année « des mouvements infra-annuels marqués ». Et si l’inflation restait finalement contenue dans les mois à venir, ce serait grâce à une progression modérée des salaires…

// … mais les salaires ne suivent pas…

Selon la dernière étude du cabinet Mercer, spécialiste du conseil en gestion des talents, concernant les négociations annuelles obligatoires (NAO), publiée en juillet 2021, ces dernières se sont déroulées dans un contexte économique de crise et de grande incertitude quant à la reprise. Et, précise Mercer, « en mars 2021, 70 % des NAO avaient été finalisées, contre 92 % en mars 2020. » Par ailleurs, « le volume de l’enveloppe d’augmentation du salaire de base prévu pour 2021 s’établit à un niveau médian de 1,41 % (contre 2 % en 2020 et 2,2 % en 2019) », précise Mercer, qui veut toutefois rester positif, puisqu’il constate « un faible recours au gel des salaires (18,5 %), certes plus élevé qu’en 2019 (1 %) mais largement inférieur à celui observé à l’issue de la crise financière de 2008 (38 %). » De plus, le cabinet met en avant « les budgets volontaristes pour les entreprises qui ont pratiqué des augmentations » et « une sélectivité renforcée dans l’attribution des augmentations [qui] a également permis de ne pas geler complètement les salaires mais de mettre en place des enveloppes réduites. »

// … et les employeurs misent sur d’autres avantages

Enfin, en cette période d’enveloppes réduites, les organisations misent aussi sur d’autres éléments que l’augmentation du salaire de base, note Mercer. Ces éléments vont d’une rémunération variable plus élevée et du versement d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat au versement d’une prime exceptionnelle à titre individuel en passant par la mise en place d’un accord d’intéressement ou d’un compte épargne temps ou l’absorption par l’employeur des coûts des dispositifs de santé/prévoyance, sans oublier des initiatives liées à l’organisation du travail, l’égalité hommes-femmes, le bien-être au travail, la formation personnelle et professionnelle et l’équilibre vie privée-vie professionnelle…

Chiffres

30 %

C’est l’augmentation des salaires des dirigeants des entreprises du CAC 40 sur 2021 par rapport à 2020, selon les chiffres établis par l’Hebdo des AG, relayés par « Le Monde ». Leur rémunération moyenne devrait s’élever à 5,3 millions d’euros contre 3,8 millions d’euros l’année dernière. Et, selon Oxfam, entre 2009 et 2018, la rémunération des dirigeants du CAC 40 a augmenté trois fois plus vite que les salaires moyens et cinq fois plus vite que le Smic.

1,73 %

C’est, selon les données sur les négociations salariales compilées par la Banque centrale européenne, la hausse moyenne des rémunérations en zone euro au deuxième trimestre 2021 (contre 1,38 % au premier), alors qu’en août, sur un an, les prix à la consommation ont grimpé de 3 % dans la zone euro…