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Idées

Considérer les représentants des salariés comme des hauts potentiels

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.10.2021 | Antoine Foucher

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Considérer les représentants des salariés comme des hauts potentiels

Crédit photo Antoine Foucher

On l’a insuffisamment relevé à l’époque : mis à part le barème d’indemnisation prud’homal, les ordonnances travail de 2017 ne sont d’aucune utilité aux entreprises qui n’investissent pas le dialogue social. Tout est désormais possible ou presque – sur le temps de travail, sur la rémunération, sur l’organisation du travail par exemple –, mais à la condition d’avoir un accord majoritaire des salariés ou de leurs représentants. La vision contractualiste des rapports sociaux est claire : il est bien plus efficace, responsabilisant et souple de discuter et de mettre en place dans l’entreprise la bonne organisation du travail plutôt que d’appliquer une norme parisienne unique, inadaptée par nature, à la diversité des tailles et des secteurs d’activité. Mais le transfert de légitimité du législateur aux partenaires sociaux a une condition évidente : négocier suppose qu’il y ait deux parties en présence, il n’y a nulle place pour le pouvoir unilatéral. Plus fort ensemble ou impuissant tout seul : c’est la dure réalité des ordonnances, qui supposaient donc, pour réussir leur pari, un changement de culture des deux côtés de la table.

Trois ans après leur promulgation, l’évolution des mentalités est-elle au rendez-vous ? En partant des chiffres présentés dans les documents d’évaluation comme des témoignages et pratiques des directions et des délégués syndicaux, on s’approche sans doute de la vérité avec la proposition suivante : les ordonnances ont rendu possible une nette intensification du dialogue social par rapport au passé, mais on n’en est pas encore à constater un changement général de mentalité. À l’appui de l’accélération incontestable des discussions sociales, on citera notamment le doublement du nombre d’accords collectifs en entreprise (36 000 en 2015 et 42 000 en 2016 contre 81 000 en 2019 et 76 000 en 2020), ainsi que la multiplication par 80 – excusez du peu – du nombre d’accords touchant aux sujets sensibles comme le temps de travail (738 accords de performance collective en 2018 et 2019 contre neuf accords de compétitivité entre 2013 et 2017). Mais l’honnêteté oblige à reconnaître, en même temps, que le nouveau paradigme juridique ne s’est pas encore massivement installé dans les mœurs : 80 000 accords d’entreprise, c’est deux fois mieux que trois ans plus tôt, mais c’est à peine 5 % des entreprises ayant au moins un salarié. De même, l’APC ne couvrait environ, fin 2019, que 2 % des salariés de notre pays.

Faut-il en conclure qu’on a, une fois de plus en France, négligé l’avertissement de Montesquieu (« Lorsqu’on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois ») et surestimé le pouvoir transformateur de la norme ? Peut-être, mais on fera remarquer qu’un changement de culture ne s’est jamais fait en trois ans. Surtout, continuons la lecture de Montesquieu qui recommande, dans le même chapitre XIV « De L’esprit des lois », de changer les mœurs… par les mœurs ! Et c’est ici qu’on est en droit d’attendre davantage des acteurs, et notamment des entreprises. Certes, tout le monde connaît des délégués syndicaux déconnectés du terrain, peu investis dans les enjeux business et paralysés par des considérations boutiquières. Il n’empêche : pour engager sa crédibilité d’élu sur un nouveau contrat social (surtout lorsqu’il touche au temps de travail, à la protection sociale ou à la rémunération), nul ne contestera qu’il faut du courage, du savoir-faire managérial et une vraie compréhension du business de l’entreprise. Si elles veulent utiliser les opportunités historiques des ordonnances, les entreprises ont donc tout intérêt à traiter, par l’accompagnement, la formation et le partage des informations clés, les délégués investis dans leur mandat comme des hauts potentiels.

Auteur

  • Antoine Foucher