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Le bureau est mort ! Vive les nouveaux lieux de travail

Dossier | publié le : 01.10.2021 | Irène Lopez

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Le bureau est mort ! Vive les nouveaux lieux de travail

Crédit photo Irène Lopez

42 % des collaborateurs ne veulent plus du tout revenir au bureau. Les habitudes de télétravail sont prises, mais les codes sont différents. On travaille désormais de partout et surtout à l’écart des grandes villes, dans des tiers lieux.

« Le bureau est mort ? Mais alors, où allons-nous travailler demain ? ironise Dorra Ghrab, directrice business &développement au sein de l’agence d’aménagement des espaces de travail Génie des Lieux. Un peu partout : au bureau pour échanger avec ses collègues, à la maison pour effectuer un travail plus individuel ou dans des tiers lieux, des espaces où le travail se mélange à d’autres aspects de la vie en collectif. »

Kinetix est une start-up pionnière de l’animation 3D assistée par de l’Intelligence Artificielle, fondée en 2020. Elle regroupe une quinzaine de profils d’ingénieurs et de chercheurs (de 18 à 43 ans). Elle a pris, dès sa création, le tournant du distanciel. La première rencontre entre les deux fondateurs de Kinetix s’est faite à distance et l’entreprise elle-même a été fondée durant le premier confinement, entièrement en télétravail. Le travail à distance est l’ADN de la start-up. Depuis, une véritable culture du télétravail s’est développée en son sein : programmation, développement, mais aussi réunions, recrutements, ou encore levée de fonds… Une grande partie des activités de la société se fait à distance. Pour autant, les interactions humaines ne sont pas restées entièrement virtuelles. Pour se réunir et éviter de se voir uniquement par écrans interposés, Yassine Tahi, cofondateur, réunit ses équipes au gré des envies de chacun, dans des tiers lieux : dans une villa AirBnB en Occitanie, à Arcachon l’été dernier, aux Canaries… Pragmatique, il pose ses conditions : « Le lieu qui nous accueille doit pouvoir fournir une connexion à internet sans faille, plusieurs tables de travail, suffisamment de chambres pour accueillir l’ensemble de l’équipe et, si possible, des loisirs à proximité. » À Arcachon, les journées de travail étaient rythmées par les heures de marée, pratique du surf pour de nombreux ingénieurs oblige. Parmi les valeurs de Kinetix, figure en bonne place l’autonomie. « Les gens que l’on recrute ont des feuilles de route ambitieuses. Cela ne me dérange pas si les collaborateurs ont des contraintes personnelles dans la journée, du moment que le travail est réalisé », ajoute Yassine Tahi. La start-up à l’ambition mondiale possède des clients partout dans le monde et, par conséquent, n’a aucune limite géographique pour recruter ses salariés. « À partir du moment où le travail est quantifiable, travailler en 100 % télétravail est faisable. Bien évidemment, il faut que les process et les outils permettent de suivre les activités », complète le cofondateur. Il reconnaît cependant que ce n’est pas applicable à toutes les entreprises.

Des équipements sociaux structurants

« L’étude que nous avons menée auprès d’un panel de 4 000 salariés sur la France entière révèle que 42 % des collaborateurs ne veulent plus du tout revenir au bureau », déclare Dorra Ghrab. Depuis le confinement, les collaborateurs qui avaient pris le pli de travailler à distance sont devenus des Digital Nomads, des travailleurs qui adoptent un mode de vie dans lequel ils voyagent fréquemment tout en travaillant. Ils se déplacent quand ils le souhaitent et se dotent de conditions de vie agréables.

Si une région l’a bien compris, c’est la Bretagne. Clément Marinos, maître de conférences en Économie à l’université Bretagne Sud a déclaré dans un colloque de l’association nationale des architectes des bâtiments de France il y a deux ans : « Les tiers lieux offrent l’opportunité de revaloriser, au sens de redonner de la valeur, les centres-villes et centres-bourgs, à travers les échanges et les collaborations qu’ils génèrent. Ils doivent en effet être considérés comme des lieux d’ancrage d’où émerge un capital social à l’échelle locale par l’activation des proximités (géographiques mais aussi sociales, culturelles et organisationnelles) et la réduction des distances entre les membres d’une même communauté de destin que forment les habitants d’un territoire. »

Les tiers lieux deviennent des équipements sociaux structurants « au même titre que la mairie, le café, la boulangerie ou encore l’église. On voit même, ici et là, des églises désacralisées requalifiées en espaces de travail ! » ajoute l’économiste.

Des gîtes à l’heure du 3.0

Les Gîtes Typiques du Golfe du Morbihan sont passés à l’ère du 3.0 et reçoivent les Digital Nomads dans le village de Montsarrac, à 100 mètres de la mer. « Un véritable havre de paix, à l’abri du tourisme de masse, pour profiter de la douceur de vivre “made in Breizh” », vante leur site Internet. Raccordement à la fibre optique dès 2019, aménagement d’un grand espace de travail pourvu d’un grand bureau rabattable et d’une chaise ergonomique en 2021, les propriétaires ont fait évoluer leurs gîtes. Ils ont même investi dans du matériel informatique performant avec un écran de 27 pouces incurvé, un clavier et une souris sans fil. Le tout loué au prix de 250 € la semaine. « Ce tarif inclut les charges de consommation d’eau, d’électricité, de chauffage, l’abonnement internet et à la vidéo à la demande Netflix. Sur place, il est également possible de louer du linge, des draps et des vélos », précise la brochure publicitaire.

De timides réservations ont eu lieu après les confinements : un couple de Rennais qui a combiné vacances et travail pendant une semaine, un ami Canadien qui a, lui aussi, mêlé vie professionnelle et vie personnelle. Les affaires vont bon train depuis la rentrée de septembre 2021. Un couple de travailleurs indépendants a d’ores et déjà réservé un gîte pour les mois d’hiver à venir. Habitués au télétravail, ils souhaitent travailler différemment, dans un cadre moins urbanisé que celui dont ils ont l’habitude.

Des lieux à vocation sociale

D’autres exemples de tiers lieux ne manquent pas. Toujours dans le Morbihan, le fablab d’Auray créé en 2017, « La Fabrique du Loch », est situé dans l’ancien Hôtel-Dieu du xviie siècle. La particularité du lieu est qu’il est ouvert au public. Outre des bureaux, toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets sont mis à disposition. Il compte aujourd’hui plus de cent membres et est devenu un point central en termes d’information, de circulation et de rencontres du village de près de 14 000 habitants.

En Normandie, à dix minutes de Caen, le tiers lieu la « Grande Halle » est d’envergure régionale et abrite des bureaux partagés de 500 m2 sur deux niveaux, en mode mobile ou fixe. Une grande nef pouvant accueillir de 200 à 1 000 personnes, pour des événements publics ou privés complète les locaux. L’ancien site industriel accueille aussi bien des entreprises que des expositions et des spectacles. L’ancienne friche reconvertie en lieu public fait partie de la revitalisation urbaine.

Isabelle Deprez est coach de dirigeants et conférencière. Entre deux sessions de formation, elle a pu profiter d’un tiers lieu au sein du parc naturel de la Brenne, en région Centre-Val de Loire. Elle raconte : « Nous sommes au milieu de nulle part, en pleine nature. Ce tiers lieu, financé par les collectivités, offre tous les services dont j’avais besoin. À commencer par une photocopieuse. Cela peut paraître basique mais quand on est « en pleine cambrousse », il est plutôt difficile de trouver ce genre d’équipement. Le lieu est d’autant plus pratique qu’un gîte est situé à côté. »

La liberté de travail où bon leur semble a poussé les collaborateurs à investir les territoires de l’hexagone et à quitter les routes toutes tracées des grands centres-villes. L’immobilier tertiaire de la capitale a-t-il du plomb dans l’aile ? « Les vingt projets de construction et de rénovation de tours de bureau à la Défense sont-ils compromis ? Avant la crise sanitaire, la question ne se posait pas. Aujourd’hui, nous pouvons légitimement nous interroger », conclut Isabelle Deprez.

Auteur

  • Irène Lopez