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Syndicats anti-passe sanitaire, gare aux mauvaises fréquentations

Décodages | Syndicats | publié le : 01.10.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Syndicats anti-passe sanitaire, gare aux mauvaises fréquentations

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

L’instauration du passe sanitaire a réveillé la contestation syndicale. Soignants, pompiers, agents de la fonction publique ou enseignants multiplient grèves et journées d’action contre un dispositif jugé liberticide et dangereux pour l’emploi. Quitte à marcher aux côtés de mouvements complotistes ou d’extrême-droite, ce qui n’est pas au goût des états-majors nationaux.

Il y a des alliés dont on se passerait bien. Le 18 août les soignants grévistes du centre hospitalier de Draguignan ont eu la surprise de voir débarquer sur leur piquet de grève la députée Martine Wonner. Loin de ses terres d’élection alsaciennes, l’ancienne parlementaire LREM, puis EDS et désormais sans étiquette, devenue égérie anti-vaccins et propagatrice de fake news sur la pandémie, venait apporter son soutien aux personnels hospitaliers en lutte contre le passe sanitaire et les menaces de suspension du contrat de travail de ceux qui refuseraient de se doter du précieux sésame, indispensable à la continuité de leur activité professionnelle. Bien que de courte durée selon les témoins, la rencontre n’a pas échappé à l’exercice de l’inévitable shooting photo par Smartphones interposés, aussitôt relayé par la parlementaire sur son compte Twitter, assorti du hashtag #passdelahonte. Dans les états-majors nationaux de la CGT et de Sud, à l’origine de l’appel à la grève, l’exhibition de ces photos, où les drapeaux syndicaux se mêlent aux banderoles floquées du logo de l’association BonSens – le « lobby citoyen » co-fondé par la députée (elle l’a quitté depuis) qui propose notamment de « déposer des plaintes collectives suite à vaccination » – a fait bondir. « Martine Wonner s’est permis de dire qu’elle avait été bien accueillie, ce qui n’était pas le cas. On l’a immédiatement recadrée sur Twitter en lui rappelant que contrairement à elle, nous n’étions absolument pas opposés à la vaccination et ne soutenions pas ses thèses ! » s’énerve Jean-Marc Devauchelle, secrétaire fédéral de la fédération Sud Santé Sociaux. Problème : que pèse ce message de « recadrage » émis depuis le compte d’une organisation syndicale qui ne compte que 3 935 abonnés face aux plus de 80 300 followers de la députée ?

« Infréquentables ».

Antivax ? Anti-passe ? Sur le papier, le message adressé par les organisations syndicales au monde du travail est clair : oui aux vaccins. Sur le passe, les opinions divergent cependant entre ceux qui y voient un mal nécessaire pour juguler la pandémie et ceux qui estiment que les restrictions de liberté qu’il induit ainsi que les risques qu’il fait peser sur le droit du travail valent bien qu’on manifeste contre lui. Seulement, dans la rue, la confusion règne, et les syndicalistes opposés au laissez-passer sanitaire se retrouvent parfois à mêler leurs drapeaux aux calicots complotistes des antivax, qui ont fait de Didier Raoult leur prophète et voient la main de Bill Gates derrière la campagne de vaccination, aux étendards fleur-de-lysés de l’Action française, aux panneaux orange des Patriotes de Florian Philippot, voire aux pancartes aux messages antisémites semi-cryptés de certains courants de l’ultra-droite. Comment y faire face ? « On encourage nos adhérents à s’auto-former sur les discours antivax et d’extrême-droite. On leur fait des rappels, on les encourage à consulter des sites de fact-checking ou d’autres militants de référence, à apprendre à reconnaître les logos des mouvements conspirationnistes et à éviter de se faire piéger en se mêlant à eux. Si une manif est trustée par les complotistes, on n’y participe pas », explique Caroline Avril, secrétaire fédérale de Sud Santé Sociaux. Des précautions qui ne suffisent pas toujours… « À Paris, où les cortèges sont séparés, le risque d’amalgame est limité, mais en province où il n’existe le plus souvent qu’un seul cortège, la différentiation des revendications est plus difficile », reconnaît l’historien des grèves et du syndicalisme Stéphane Sirot. Certaines unions départementales CGT, comme celles des Bouches-du-Rhône ou de la Haute-Garonne, assument d’ailleurs d’envoyer leurs troupes aux manifs du samedi malgré les réserves exprimées à Montreuil. Dans les défilés, cependant, les différentes composantes de la contestation ne cohabitent pas toujours harmonieusement. À Tours, des militants de Sud se sont fait agresser par des manifestants d’extrême-droite le 24 août. À Montpellier, une bagarre entre antifas et adhérents du micro-parti d’extrême-droite la Ligue du Midi a émaillé la manifestation tenue quelques jours auparavant. Ailleurs, comme à Amiens, l’ambiance est plus fraternelle… et c’est peut-être ce qui a poussé certains patrons de centrales à sortir de leur réserve aoûtienne pour siffler la fin de la récré. Dans ces cortèges, « il y a des gens qui sont infréquentables pour une organisation comme la CFDT », a asséné Laurent Berger, dont la Confédération ne s’est pas associée au mouvement anti-passe. De son côté, Philippe Martinez tapait lui aussi du poing sur la table : « La CGT ne défilera pas avec des antivax qui tiennent des propos antisémites, qui défendent des thèses complotistes insupportables. Notre syndicat ne marche pas non plus aux côtés de Florian Philippot, cet homme qui veut mettre des immigrés dehors. » Si l’hostilité au passe sanitaire demeurera l’un des mots d’ordre de la mobilisation du 5 octobre à laquelle appellent la CGT, FO, la FSU, Sud, la FIDL, l’Unef, la MNL et l’UNL, elle sera noyée au milieu des revendications plus conventionnelles comme le refus des réformes des retraites et de l’assurance-chômage, l’augmentation des salaires et l’exigence de créations d’emploi…

Un malaise social favorable au complotisme.

Car le passe sanitaire ne constitue que la partie émergée d’un iceberg de mécontentements cumulés qui ont explosé après les annonces d’Emmanuel Macron du 12 juillet. Pour les syndicats de soignants, d’enseignants, de bibliothécaires municipaux, de personnels administratifs territoriaux, de pompiers ou des organisations ultramarines telles l’Union des travailleurs guyanais (UTG) ou l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) qui battent le pavé depuis des semaines contre le QR code obligatoire, le ras-le-bol vient de loin et s’explique par l’épuisement des personnels, les coups de rabot budgétaires et le sentiment de déconsidération qui se répand parmi les agents. À l’hôpital, le ressentiment accumulé contre le résultat du Ségur de la santé, les poursuites des fermetures de lits par les ARS malgré la pandémie ainsi que le ras-le-bol des soignants, qui ne voient aucun renfort venir, ont allumé la mèche. « Les antivax doivent représenter 4 à 5 % de la population totale, et la proportion doit être la même dans les syndicats et chez les soignants. Mais la brutalité du ministère de la Santé a radicalisé ceux qui n’étaient au départ que sceptiques envers le vaccin, transformant ce scepticisme en posture de défi adressée au Gouvernement », décrypte Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et responsable au sein de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale. Ce comportement défensif ne saurait faire oublier que la maison brûle bel et bien. « L’hôpital est en train de s’effondrer ! On tire sur la corde depuis 30 ans. Certains établissements de la région parisienne ont déjà déclenché le plan blanc, d’autres sont en phase de délestage, et tout ce que le gouvernement nous propose, après nous avoir envoyés au feu sans masques et sans protections au début de l’épidémie, c’est ce passe sanitaire contre-productif qui fait perdre du temps à nos collègues soignants à l’entrée de leur lieu de travail et oblige les directions à embaucher des vigiles pour le contrôler », poursuit l’urgentiste. Selon les calculs de la Fédération hospitalière de France (FHF), la facture entraînée par ces obligations de sécurité se monterait à quelque 60 millions d’euros par mois ! « Une absurdité alors que l’hôpital compte déjà le moindre sou et où les ARS gèlent tous les recrutements dont il aurait besoin pour fonctionner ! » s’énerve l’urgentiste. « D’une manière générale, c’est une fonction publique sur les rotules et des représentants de territoires d’outre-mer se jugeant maltraités par la métropole qui descendent dans la rue contre un passe perçu comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ils attendaient de la bienveillance de l’exécutif et estiment ne récolter que du mépris et des budgets toujours en baisse. On reste finalement sur un même sentiment de malaise social général très favorable aux théories du complot qui s’était déjà exprimé au moment des “gilets jaunes”, sauf que cette fois-ci, c’est le secteur public qui le porte », analyse un grand ponte de la CFDT. La fin du passe planifiée pour le 15 novembre prochain contribuera-t-elle à calmer les esprits ? Un prolongement de la mesure pourrait bien mettre le feu aux poudres.

INTERVIEW - Stéphane Sirot, historien et sociologue, spécialiste du syndicalisme et des luttes:

« il n’est pas illogique que la question du passe sanitaire divise au sein d’un syndicat »

La lutte contre le passe sanitaire relève-t-elle du combat syndical ?

Stéphane Sirot : C’est une question complexe. Certaines organisations justifient leur mobilisation contre le passe sanitaire par le risque de suspension du contrat de travail qu’il fait peser sur les salariés qui refuseraient de s’en munir. C’est le cas notamment de la CGT. Mais en interne, les dissensions existent. Sur mes quelque 3 000 contacts Facebook, je compte une large proportion de militants syndicaux et je peux donc suivre leurs débats qui tournent parfois à l’invective, car les opinions sont divergentes entre ceux qui se réclament de la défense du droit du travail, n’hésitant pas à aller jusqu’à réclamer l’obligation vaccinale, et ceux qui s’inquiètent de la mise en place d’une société de surveillance. Ceux-là, à la différence de l’extrême-droite, n’utilisent pas l’expression « dictature sanitaire », mais se préoccupent de l’accumulation de mesures d’urgence attentatoires aux libertés prises dans le cadre de la pandémie. Pour eux, l’instauration du passe sanitaire est un pas de plus vers cette société du contrôle. Il n’est d’ailleurs pas illogique que cette question divise au sein d’un même syndicat : si le bénéfice de la vaccination est collectif, accepter l’injection est une démarche personnelle. Il n’est donc pas possible de se ranger derrière une position largement partagée comme dans un combat syndical classique.

Sur le terrain, comment se traduit cette division ?

S. S. : Un peu de même manière qu’à l’époque des « gilets jaunes », entre ceux qui estimaient qu’il fallait les soutenir pour que l’extrême-droite ne récupère pas le mouvement et ceux qui avaient décrété que les « gilets jaunes » étaient des « fachos » et que la place de la CGT n’était pas à leurs côtés. Aujourd’hui, la Confédération est tiraillée entre sa sympathie spontanée pour les mouvements sociaux, en particulier quand une part des revendications concerne le droit du travail, et le risque de se couper d’une opinion publique très majoritairement pro-vaccin. Il faut aussi tenir compte que la pandémie a coupé son élan dans sa contestation contre la réforme des retraites en 2019-2020. À neuf mois de la présidentielle, elle a besoin de montrer qu’elle peut à nouveau mobiliser dans la rue mais sur d’autres sujets que la seule question sanitaire.

À la différence des organisations radicales comme la CGT et Sud, les réformistes semblent moins concernés par la question. Pourquoi ?

S. S. : Dans son expression nationale, la CFDT est favorable à la vaccination généralisée. Souvenons-nous que début juillet, Laurent Berger s’est même associé à Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, pour lancer à un appel commun à l’amplification de la vaccination des salariés. FO, de son côté, est moins à l’aise : la Centrale est favorable au vaccin, mais, comme souvent, l’organisation se positionne sur une ligne de crête entre contestation et compromis sans vouloir donner l’impression de jouer les relais de la politique gouvernementale.

 

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre