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Service militaire volontaire: quand l’armée fait de l’insertion

Décodages | Inclusion | publié le : 01.10.2021 | Catherine Abou El Khair

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Quand l’armée fait de l’insertion

Crédit photo Catherine Abou El Khair

 

À Brétigny-sur-Orge, des jeunes sans emploi ni diplôme intègrent une unité du service militaire volontaire. Objectif : remettre un pied dans la vie active. Une mission d’insertion nouvelle pour les militaires chargés de leur accueil.

Les amateurs de course à pied n’y manqueront pas d’espace. Ce matin-là de juin, quelques silhouettes foulent les pistes de l’ex-base aérienne militaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne). Depuis plusieurs années, cette zone en reconversion de plusieurs centaines d’hectares se laisse gagner par les activités économiques et civiles. Mais l’armée continue d’y être présente. Et depuis 2015, une partie des bâtiments encore désaffectés a retrouvé un usage. Quelque 300 places d’hébergement sont réservées aux 18-25 ans retenus pour intégrer le « service militaire volontaire » (SMV), un dispositif de l’armée dédié à l’insertion professionnelle des jeunes. Créée par François Hollande dans le contexte des attentats de 2015, cette mission s’avère plutôt atypique pour les 67 militaires permanents qui accueillent ces jeunes. Il ne s’agit pas de les intégrer dans l’armée mais de leur permettre une insertion rapide dans la vie civile. Depuis 2015, un millier de jeunes majeurs sont passés à Brétigny-sur-Orge.

L’intérêt de ce bref détour par le cadre militaire ? Se recentrer sur un projet professionnel : pendant une période pouvant aller de 8 mois à 1 an, les volontaires sont logés, nourris et rémunérés 313 euros par mois. Remise à niveau scolaire, orientation et formation professionnelle, techniques de recherche d’emploi : ils suivent un parcours dense et structuré qui doit les amener à gagner leur indépendance. Une nécessité pour ces décrocheurs qui s’exposent à l’exclusion du marché du travail. En 2020, selon les données nationales du dispositif, 66 % des jeunes volontaires n’avaient aucun diplôme, pas même le brevet des collèges. 20 % d’entre eux étaient illettrés. Certains étaient sans domicile fixe, d’autres sont sortis de prison. Les handicaps, aussi, ne sont pas rares.

Dans ce dispositif, aucun détail ne relève du hasard. Les militaires insistent sur l’occasion offerte de se couper, pendant quelques mois, d’une situation difficile à la maison, de mauvaises fréquentations, voire d’addictions. Ils misent sur l’hygiène de vie propre au cadre militaire. Les volontaires « logent à deux dans les chambres, vivent en section, doivent remettre leur corps en marche. Il faut se lever tôt (à 5 h 30), donc se coucher tôt (à 22 h 30) », appuie le commandant Jean-Louis Guitard, directeur général de la formation du 2e régiment du service militaire volontaire. Pour les jeunes volontaires, uniforme de rigueur et coiffure stricte, le dépaysement est certain. L’incorporation au régiment débute par une randonnée sur des terrains d’exercice de l’armée suivie d’un « parcours commando ». Loin de se montrer rebelles à ce cadre militaire, ils confient aussi qu’ils adorent « ramasser », c’est-à-dire se voir imposer des pompes quand un camarade fait des bêtises. « C’est là, aussi, où l’on va mettre en place la base des codes sociaux : se dire bonjour, ou faire comprendre que regarder quelqu’un n’équivaut pas à une agression », ajoute Jean-Louis Guitard.

Cette première étape – qui précède la phase de formation – suscite l’adhésion. « Avec le sport, comme on perd du poids, ça nous donne confiance en nous », apprécie Krysta, l’une des volontaires. « J’aime leur quotidien : être discipliné, se lever tôt, faire du sport. Avant, je n’arrivais pas à enchaîner les pompes ! Avec le cadre, j’ai la motivation. Dans la tête, ça se renforce », approuve aussi Ibrahima, 24 ans, arrivé ici sur les conseils de son cousin, qui serait ressorti « grandi » de cette expérience. Permettre aux jeunes de restaurer leur estime d’eux-mêmes constitue l’un des premiers objectifs du service militaire volontaire. Avec le sport, les jeunes « se rendent compte qu’ils peuvent arriver à faire des choses », explique Jean-Louis Guitard.

« Niveau sixième ».

Après la remise des calots qui clôt cette première phase, les jeunes révisent, pendant quatre mois, leurs connaissances de base. À l’occasion de cette étape dite de formation « complémentaire », ceux qui n’ont pas le brevet des collèges préparent le certificat de formation générale (CFG), qui atteste d’un niveau scolaire proche de la sixième en français et en mathématiques ainsi que d’aptitudes à la vie sociale et professionnelle. « La base de notre pédagogie, c’est le petit groupe. On limite les classes à huit personnes et on change de matière toutes les heures pour éviter toute lassitude », détaille Carole Fassier, professeure des écoles détachée de l’Éducation nationale en fonction à Brétigny-sur-Orge. Dans une salle aux murs tapissés de frises chronologiques et de portraits historiques, elle profite justement du calme de l’été pour poursuivre l’apprentissage du français – en particulier la lecture et l’expression orale – en tête à tête avec Amadou, 18 ans, arrivé de Mauritanie en 2018. Au total, l’institutrice dispose de 108 heures par stagiaire, à raison de 6 heures par jour et 21 heures par semaine. Autant dire que le temps s’avère parfois chronométré. « Certains volontaires ont déjà un niveau suffisant. Mais pour ceux qui n’ont pas eu de scolarité en France ou des difficultés d’apprentissage, on ne peut pas faire de miracles », reconnaît l’enseignante.

La préparation du brevet de conduite militaire – qui donne ensuite droit au sésame dans sa version civile – représente un autre temps fort du parcours, qui attire à lui seul certains candidats au service militaire volontaire. Au moins trois semaines à temps plein sont consacrées à l’apprentissage de la conduite, à raison de huit heures par jour. Pour pallier les lacunes en langue française de certaines recrues, le suivi est individualisé. L’examen du Code de la route peut être repassé cinq fois. Pour la conduite, plusieurs moniteurs sont présents auprès des volontaires afin de varier la pédagogie si nécessaire. À la clé : un taux de réussite de 70 %. D’autres titres viennent, encore, étoffer les CV des jeunes volontaires. Le certificat de sauvetage secouriste du travail, également requis, complète ainsi la formation. Le parcours s’achève par un Certificat d’aptitude personnelle à l’insertion (CAPI), un titre issu du service militaire adapté – version ultramarine à l’origine du SMV. De quoi faciliter, espère Jean-Louis Guitard, le dialogue avec les futurs recruteurs…

Enfin, 20 heures sont consacrées aux techniques de recherche d’emploi. Sortant justement d’un atelier sur le CV et la lettre de motivation, Esther, 18 ans, mesure ses progrès, depuis son entrée. « [Avant], je n’aurais jamais pu parler, j’étais trop timide, dit-elle à voix basse. J’ai repris confiance en moi. » L’habitante de Gonesse (Val d’Oise), titulaire d’un bac professionnel accueil, est arrivée ici après un an d’inactivité complète : lorsqu’elle cherchait un employeur pour démarrer un BTS tourisme, en 2020, la pandémie a percuté ses plans.

Taux d’insertion de 75 %.

Le 2e régiment du service militaire volontaire revendiquait, au global, un taux d’insertion de 75 % en 2019. Exception faite de l’année 2020 où la part des jeunes ayant retrouvé un emploi ou une formation a chuté à 56 %, crise oblige, ce résultat s’avère conforme aux objectifs. Il s’explique d’abord, selon Jean-Louis Guitard, par un encadrement important des jeunes au quotidien : un chef de groupe s’occupe de 15 personnes, auxquels s’ajoutent deux encadrants supplémentaires. Mais une fois remis à niveau, les volontaires bénéficient aussi du carnet d’adresses de l’institution pour obtenir du travail. « Grâce au réseau des chefs de section, j’ai un large spectre d’offres d’emploi pour les jeunes », assure le chef de bataillon. Le régiment s’est positionné sur des métiers en tension, davantage susceptibles d’embaucher : aéroportuaire, sécurité, logistique, BTP, transports, restauration ou encore fibre optique figurent actuellement parmi les choix possibles pour les volontaires, qui reçoivent alors une formation adaptée de 300 heures, financée par les conseils régionaux, Pôle emploi ou les opérateurs de compétences (OPCO). Aux entreprises de ces secteurs, ils vendent le « savoir-être », de leurs jeunes : ponctualité, bonne présentation, politesse…

Exigeants vis-à-vis de leurs volontaires, les militaires nourrissent aussi certaines attentes vis-à-vis de ces employeurs. Dans les partenaires modèles, ils citent Transdev, qui recrute les volontaires dès l’obtention de leur permis de conduire. Mais aussi et surtout Disneyland Paris, un exemple qui gagnerait à être davantage suivi : si les jeunes passent un entretien de recrutement pour la forme, leur place est quasiment acquise. « C’est un programme d’insertion et non pas de recrutement, qui demande que l’employeur s’investisse », clarifie Marie-Françoise Arrighi, coordinatrice RSE de l’entreprise et également réserviste. Le parc à thèmes dispose même de sa propre filière de formation au SMV : les jeunes peuvent préparer un test d’anglais, travailler leurs compétences douces ou encore suivre une formation en hygiène alimentaire dans le cas où ils veulent intégrer un métier de bouche.

Intégrer l’armée.

Reste à amener les volontaires au bout du chemin qui leur a été dessiné… Or, ces jeunes « ne connaissent pas beaucoup de métiers », remarque Jean-Louis Guitard. Certains veulent devenir maîtres-chiens après avoir fait un simple test d’orientation sur Internet. Veillant à ne pas démolir leurs projets, « on écoute et on fait un travail d’orientation. On va commencer par les métiers de base », explique le capitaine Baptiste Boissinot. Si besoin, des petits stages ou des présentations de métiers pour leur permettre d’y voir plus clair. Pas de quoi, toujours, dissiper la brume. « Je n’ai pas vraiment de projet professionnel », avoue une volontaire. Titulaire d’un CAP en hôtellerie-restauration, elle suit une formation d’agent de sécurité incendie et doit obtenir un CQP agent de prévention et de sécurité (APS). « À la base, je voulais être conductrice de bus, mais l’incorporation était prévue en septembre. C’était trop long pour moi », ajoute-t-elle. Privée de revenus à cause de la crise, elle est arrivée ici sur les conseils de sa mission locale – qui lui a indiqué, à tort, que l’allocation perçue au titre de la garantie jeunes était cumulable avec le solde du SMV.

Pour d’autres en revanche, le projet semble plus affirmé : en dépit de l’intention première du dispositif, ces jeunes veulent intégrer l’armée, renforcés par cette première expérience… Quand ils expriment un tel souhait, ils peuvent être orientés vers la sécurité, « un métier d’ordre ». Dans le cas d’Esther, ce sera l’aéroportuaire, qui se prépare pour le métier de bagagiste ou d’agent d’escale. « Si je vais dans l’armée de l’air, je peux être hôtesse de l’air », a-t-elle compris. « On est une dizaine sur trente à vouloir s’engager », croit savoir Ambre au sujet de sa section. Se voyant bien maître-chien ou chasseur alpin, la jeune fille de 18 ans compte bien déposer son dossier dans un centre d’information et de recrutement des forces armées. En pratique, moins de 3 % des volontaires intègrent l’armée.

Quel avenir pour le SMV ?

Créé en 2015, le service militaire volontaire a été pérennisé dans le cadre de la loi de programmation militaire de 2019-2025. Le dispositif va-t-il s’étendre au-delà ? « C’est un peu tôt pour le dire. On verra, en 2025, quelle sera la volonté politique », déclare le général Benoît Brulon, commandant du service militaire volontaire. En attendant, l’armée voit ses objectifs augmenter : à partir de 2022, 1 500 volontaires devront être accueillis dans les centres, soit 500 de plus. Ce qui suppose d’étendre la présence sur le territoire mais aussi de diversifier les débouchés professionnels pour les jeunes.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair