Trois ans après la dernière réforme de la formation professionnelle qui visait entre autres à donner davantage de liberté aux individus, le CPF (Compte personnel de formation), dispositif phare de la loi, fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques de la part des partenaires sociaux qui en contestent l’efficacité. Au grand dam des organismes de formation.
Sur le papier, tout va bien. Près de deux ans après sa création, l’application Mon compte formation a le vent en poupe : elle a été téléchargée par 3,4 millions de personnes entre le 21 novembre 2019 et le 7 septembre 2021, selon le dernier bilan de la CDC (Caisse des dépôts et consignations). De quoi faire de cette plateforme une véritable « place de marché », permettant à chaque actif de choisir, depuis son smartphone, une formation parmi les 387 800 programmes recensés proposés par 23 150 organismes, et de la financer avec sa « cagnotte personnelle » alimentée directement par son employeur au rythme de 500 euros par an. Quitte à compléter si nécessaire de sa poche… 2,7 millions de dossiers ont ainsi été acceptés depuis le lancement de l’application pour un montant global de 3,47 milliards d’euros, ce qui représente un prix moyen de 1 286 euros. Avec au fil du temps une augmentation régulière des demandes, notamment depuis le premier confinement.
Si les organismes de formation se frottent les mains, chez les partenaires sociaux, le niveau d’inquiétude monte… Au point qu’en juin dernier, sept organisations patronales et syndicales – toutes celles représentatives à l’exception de la CGT –qui s’étaient autosaisies pour dresser un premier bilan, ont lancé un appel du pied à la ministre du Travail. Leur demande ? « Professionnaliser l’utilisation du CPF » afin d’en limiter les dérives. « Alors qu’il y a un vrai problème de compétences comme l’illustrent les pénuries de main-d’œuvre que nous rencontrons aujourd’hui, nombre de bénéficiaires s’orientent toujours vers des formations qui n’apportent pas réellement de solutions », tacle Patrick Martin, président délégué du Medef, fustigeant la dérive de l’outil laissé entre les mains de salariés pas suffisamment accompagnés dans leur choix. Et le responsable de pointer du doigt le répertoire des formations éligibles, pour demander aux pouvoirs publics de recentrer la liste sur celles correspondant « aux enjeux de l’économie ». Les partenaires sociaux souhaitent d’ailleurs conditionner l’acceptation de la demande de formations visant des certifications hors du RNCP – toutes les formations non diplômantes qui représentent près de 80 % des demandes – à un avis favorable émis par un conseiller en évolution professionnelle.
Dans le viseur, même s’ils ne le disent pas de manière explicite : les demandes liées à l’obtention du permis de conduire représentant 13,4 % des certifications demandes, suivies des formations en langue (12,9 % des dossiers) et les formations à la création d’entreprise (8,4 % des dossiers), une appellation « fourre-tout » dans laquelle se sont engouffrées une multitude de propositions en développement personnel et surtout de véritables arnaqueurs professionnels (voir encadré). Ces programmes, dont il n’est pas facile de mesurer l’impact direct sur l’évolution professionnelle des salariés, pèsent pour plus d’un tiers dans les demandes et financements. Ils trustent les trois premières places du podium quand des formations plus directement en lien avec les mutations sur le marché de l’emploi, par exemple sur la transition numérique ou environnementale, n’arrivent pas à se frayer leur chemin dans le top 10 des dossiers déposés… « C’est une conséquence directe de la loi qui a fait de la formation un objet de consommation, critique Lionel Lerogeron, membre de la commission exécutive de la CGT, en charge du dossier formation. Il faut redonner un sens à ce qui aujourd’hui n’en a plus. Les salariés ont besoin d’être guidés. » Des propos étrangement proches de ceux de Patrick Martin, demandant le développement de formations cofinancées par les employeurs. Car si la possibilité d’abondements par les entreprises du CPF des salariés dans une démarche co-construite existe, elle a été opérationnelle juste avant la pandémie et n’a pas encore pu faire ses preuves. Organisations patronales et syndicales se sont d’ailleurs mises d’accord pour demander de simplifier les procédures d’abondement sur l’application et d’autoriser les employeurs à cibler des formations identifiées mises en œuvre sur le temps de travail et finançables par le CPF des salariés.
Cette bronca des partenaires sociaux irrite les organismes de formation. « On manque encore de recul pour dire dans quelle mesure, l’obtention du permis de conduire n’a pas permis à son titulaire de résoudre son problème de mobilité qui ne lui permettait pas de trouver un poste », lâche Anaïs Prétot, administratrice de la FFP. Même incompréhension pour Arnaud Portanelli, cofondateur de Lingueo, un organisme de formations linguistiques : « La maîtrise des langues, et notamment de l’anglais, est de plus en plus demandée par les employeurs. Nous voyons aussi revenir des salariés qui ont commencé à se former, avec l’aide de leur employeur, pendant le confinement et qui utilisent aujourd’hui leur CPF pour poursuivre leur formation. »
« Surtout, ajoute Anaïs Prétot,je suis étonnée d’assister au retour du paternalisme : comment oser dire que certaines catégories ne sont pas suffisamment armées pour choisir leur formation ? » Et la responsable de souligner le véritable intérêt populaire rencontré par le CPF : « C’est la première fois que les cadres ne sont pas les premiers bénéficiaires d’un dispositif : ils ne représentent que 17 % des dossiers de CPF. » « Plus grave encore, poursuit Arnaud Portanelli, en voulant réinstaurer les contraintes qui avaient disparu, les partenaires sociaux vont gripper le dispositif au moment où la crise sanitaire a créé une véritable prise de conscience et un attrait pour la formation. » Certains les soupçonnent en outre de vouloir prendre leur revanche face à une réforme qui les a exclus des instances de gouvernance. La proposition des partenaires sociaux d’être associés à la gouvernance du CPF apporte de l’eau au moulin de leurs détracteurs.
Les prochains mois permettront-ils de trouver un terrain d’entente entre deux conceptions de la finalité de la formation ? Les partenaires sociaux espèrent bien déboucher d’ici la fin de l’année sur la signature d’un accord national professionnel sur la base des 49 propositions rendues à la ministre du Travail, Elisabeth Borne. « Il ne s’agit pas d’une nouvelle réforme mais simplement d’une adaptation de celle de 2018 », insiste Patrick Martin qui sait toutefois que la fenêtre de tir pour que ses vœux soient exaucés est très étroite. La perspective des élections présidentielles en mai prochain et l’encombrement d’ici là du parlement rendant l’exercice compliqué. Ensuite, il conviendra au prochain président de décider que faire.
Dans l’attente, l’obligation pour tous les organismes recevant des financements publics à partir de janvier 2022 d’avoir obtenu la certification Qualiopi, devrait participer à la moralisation du marché et exclure les organismes les moins vertueux. Tout comme le « nettoyage » prévu du Répertoire spécifique, toutes les formations devant être de nouveau validées. « Une occasion de s’interroger sur leur utilité réelle », espère Maxime Dumont, chef de file Formation professionnelle continue et apprentissage à la CFTC. Comme nombre d’acteurs, y compris des organismes de formation, il estime que seule l’obligation de tout programme d’être adossé à une certification, constituerait une première victoire. Quitte à restreindre la liberté des individus…