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“Il faut clarifier le rôle de l’État et des partenaires sociaux dans la gouvernance de l’Unédic”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2021 | Benjamin d’Alguerre

 

Le rôle d’amortisseur social joué par l’Unédic durant la crise sanitaire devrait se traduire par un endettement record de 67 milliards d’euros dès la fin 2021. En attendant la future lettre de cadrage qui doit venir borner la future négociation de la prochaine convention d’assurance-chômage, les administrateurs du régime entendent impliquer celui-ci dans l’accompagnement de la reprise économique. Rencontre avec Eric Le Jaouen* (Medef) et Patricia Ferrand** (CFDT), président et vice-présidente de l'Unédic. 
 
Fin août, l’exécutif a annoncé la fin de sa politique du « quoiqu’il en coûte ». Qu’a représenté ce « quoi qu’il en coûte » pour les finances de l’Unédic ?

Eric Le Jaouen : Les prévisions financières de l’Unédic ont été bouleversées en profondeur par la pandémie. La trajectoire de désendettement dans laquelle nous nous étions engagés laissait espérer une réduction de la dette à 32 milliards en 2022 et même un retour à l’équilibre à l’horizon 2023. Mais les répercussions économiques de la crise sanitaire ont lourdement impacté les finances de l’assurance-chômage sous les effets conjugués du financement d’un tiers des dépenses d’activité partielle, d’un ralentissement du marché de l’emploi qui a notamment amené au prolongement de l’indemnisation des demandeurs d’emploi en fin de droits, et du report des cotisations qui ont privé l’Unédic d’une partie de ses ressources. Tout cela s’est traduit par un endettement massif qui devrait atteindre le seuil de 67 milliards d’euros en fin d’année.

Patricia Ferrand : Tous ces facteurs – auxquels il faut rajouter « l’année blanche » pour les intermittents du spectacle – ont fait exploser la dette. L’assurance-chômage fonctionne selon une mécanique complexe et contracyclique. L’activité partielle a coûté 12 milliards d’euros depuis le début de la crise, mais en parallèle, cette dépense a permis d’éviter une hausse massive du chômage, laquelle aurait généré à son tour de nouvelles dépenses au titre des allocations-chômage. Il est difficile de calculer le coût total de la crise à ce stade.

Le président de la République a annoncé le 12 juillet dernier son intention de mener à son terme la réforme de l’assurance-chômage mise de côté le temps de la crise. Qu’en pensez-vous ?

Patricia Ferrand : En tant que gestionnaire de l’Unédic, je ne suis pas amenée à me prononcer sur cette décision de l’État. À titre plus personnel, je partage l’analyse de mon organisation, la CFDT : ce n’est ni la bonne réforme, ni le bon moment pour la faire. Personne ne conteste les difficultés des entreprises à trouver les compétences dont elles ont besoin, mais les tensions existant sur le recrutement ne tiennent pas aux conditions d’indemnisation par l’assurance-chômage. Leurs origines sont multifactorielles et il serait bon d’engager un travail avec les branches pour les analyser et proposer des réponses adaptées. Par ailleurs, la situation que nous connaissons en cette rentrée est encore incertaine : le rebond économique que nous vivons sera-t-il durable ? Pour en revenir à la réforme elle-même, le référé suspensif du Conseil d’État de juin dernier ne portait que sur le salaire journalier de référence (SJR) que l’État voulait appliquer au 1er octobre. Il s’agira aussi d’examiner si les indicateurs de « retour à meilleure fortune » auxquels est conditionnée l’application de certaines mesures de la réforme comme la dégressivité des allocations ou le passage de la durée d’affiliation à six mois pour être éligible à l’assurance-chômage, sont atteints.

E. Le J. : Même si la reprise semble se confirmer, les difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises dépassent les secteurs structurellement en déficit de compétences. Tous les secteurs sont concernés, mais aussi, ce qui est nouveau, tous les types de fonctions. Économiquement, nous sommes rentrés dans une situation instable depuis la crise de 2008. Pour notre part, en tant que partenaires sociaux gestionnaires de l’Unédic, nous sommes mobilisés pour assurer notre rôle d’airbag social et accompagner la reprise Nous prendrons acte des décisions réglementaires de l’État et en tirerons les conclusions en matière de gestion budgétaire.

Existe-t-il en cette sortie de crise un risque de reprise en main du régime d’assurance-chômage par l’État ?

E. Le J. : Le risque principal pesant sur l’Unédic reste avant tout son endettement, d’une dimension inédite dans toute l’histoire du régime. Quant à la volonté de l’État d’en reprendre le contrôle, c’est un fait avéré depuis la lettre de cadrage de 2018 [qui demandait aux partenaires sociaux de négocier, en quatre mois, un nouveau calcul du SJR et un bonus-malus pour les entreprises décourageant le recours aux contrats de courte durée, la création d’une indemnité pour les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants, la mise en place d’un système d’indemnisations différentes selon les qualifications des demandeurs d’emploi ou la réalisation d’une économie d’1,3 milliard en trois ans pour les finances du régime, NDLR]. L’urgence de la pandémie a un peu brouillé les cartes entre l’État et les partenaires sociaux de l’Unédic sur qui décide quoi. C’est pour sortir de cette situation déresponsabilisante que nous demandons depuis plusieurs mois à accompagner la sortie de crise de discussions où seront clarifiés les rôles de chacun. Les problématiques de financement et de gouvernance de l’Unédic figurent d’ailleurs dans l’agenda social. Pour notre part, au Medef, nous avons déjà avancé des propositions de réforme. Que l’on revoie le fonctionnement de l’institution, cela semble nécessaire, mais il faut se mettre autour de la table et en débattre.

P. F. : La volonté de reprise en main de l’État date de bien avant la crise. Nous comprenons parfaitement que cette question n’ait pas été abordée pendant la pandémie : ce n’était pas le sujet du moment. Au contraire, nous avons démontré que les partenaires sociaux étaient capables d’assumer leurs responsabilités et le bon fonctionnement du régime, en coopérant pleinement avec les services de l’État et ce, dès mars 2020. À présent, il est de temps de discuter des attributions des uns et des autres. La question de la dette sera sur la table à l’occasion des débats, mais pour nous, ce n’est pas l’angle premier pour aborder la réforme du régime. Rappelons par ailleurs que l’État n’est le garant que d’une partie de la dette de l’Unédic.

Comment abordez-vous la future négociation de la convention d’assurance-chômage 2022 ?

E. Le J. : Si on reste dans le fonctionnement actuel, les objectifs de cette négociation figureront dans une future lettre de cadrage qui nous sera communiquée dans plusieurs mois. Mais l’assurance-chômage reste le bien commun des entreprises et des salariés dont nous sommes les gestionnaires à l’instant T. L’enjeu, c’est de préparer l’avenir de ce régime afin de lui permettre de s’adapter au mieux aux réalités du marché du travail. Les partenaires sociaux prendront leurs responsabilités le moment venu s’agissant d’une prochaine négociation. En tout cas, du point de vue de l’institution Unédic, il n’est selon moi pas anormal de revoir le fonctionnement d’une organisation qui est aujourd’hui âgée de plus de 60 ans. Mais il faut se laisser le temps de la discussion et engager les débats dans un climat apaisé.

P. F. : La lettre de cadrage pourrait nous être transmise courant du premier semestre 2022. Elle arrivera donc dans un contexte politique que nous ne connaissons pas encore, avant ou après l’élection présidentielle. Aujourd’hui, nous sommes encore dans la problématique du rebond économique et de l’entrée en vigueur de dispositifs de la réforme de l’assurance-chômage. L’enjeu à terme, c’est d’adapter le régime à un marché du travail que la crise a profondément modifié et qui évoluera encore. Cela doit nous amener à élargir la réflexion, au-delà de l’évolution des emplois, par exemple analyser les nouveaux rapports au travail ou le lien entre emploi et croissance. Beaucoup de choses vont être bouleversées à moyen terme. C’est de cela que les organisations syndicales et patronales devront discuter avec le Gouvernement. Le désendettement sera sans doute au cœur des débats, mais les partenaires sociaux doivent aussi réfléchir au rôle protecteur qui doit être celui de l’assurance-chômage en temps de crise et d’aide au rebond en période de reprise. Cela doit nous amener à aborder d’autres problématiques complémentaires à celles de l’indemnisation, comme le développement des compétences ou l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

E. Le J. : Depuis deux ans, on a beaucoup parlé du rôle protecteur de l’assurance-chômage qui a sauvegardé nombre d’emplois et d’entreprises durant la crise. Nous sommes aujourd’hui en phase de reprise économique et nous pouvons commencer à travailler sur le développement de nouveaux outils d’aide au retour à l’emploi. Je pense par exemple au contrat de sécurisation professionnelle (CSP), une création des partenaires sociaux qui donne la priorité à la réembauche. Il existe depuis maintenant dix ans et a bénéficié, depuis 2011, à 1,5 million de personnes dont une sur quatre a retrouvé un emploi dans les six mois ! Nous avons décidé de le prolonger jusqu’en 2022 et rien que pour 2020, 80 000 personnes sont entrées dans ce dispositif. Cet outil peut servir, en période de rebond, à accélérer les retours à l’emploi.

*Fondateur et dirigeant du cabinet de conseil Ginkgo RH, Éric Le Jaouen est membre du Conseil d’administration de l’Unédic depuis 2012 pour le Medef. Vice-président entre 2018 et 2020, il préside l’Unédic depuis 2020.

**Vice-présidente de l’Unédic, Patricia Ferrand est secrétaire confédérale et responsable du service emploi-sécurisation des parcours professionnels à la CFDT. Également vice-présidente de Pôle Emploi, elle a présidé l’Unédic à deux reprises.

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  • Benjamin d’Alguerre