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Idées

Maladies professionnelles : un siècle de législation défaillante

Idées | Livres | publié le : 01.09.2021 | Lydie Colders

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Maladies professionnelles : un siècle de législation défaillante

Crédit photo Lydie Colders

Dans « Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles », des chercheurs analysent le poids de l’héritage des législations drastiques des pathologies du travail. Un livre édifiant sur un déni politique, qui masque l’ampleur du problème.

La sous-reconnaissance des maladies professionnelles reste « un fait social massif », en France comme dans d’autres pays industriels, selon les historiens et sociologues auteurs ce livre. Ecrit à l’occasion du centenaire de la loi de 1919 qui a introduit la notion de maladie professionnelle, cet ouvrage collectif retrace « les résistances » politiques à indemniser les pathologies liées au travail, phénomène toujours actuel en France, en Espagne ou en Belgique. Dès l’origine de loi française, la position de financeur des employeurs jouera dans la négociation paritaire des tableaux de maladies professionnelles, et le système sera « peu avantageux pour les travailleurs » notent ces spécialistes de la santé au travail. Et cette « asymétrie des ressources » favorable au patronat siégeant à l’AT-MP n’a pas changé depuis, selon eux. Mais ils critiquent aussi « l’inertie » des pouvoirs publics : la décision de l’État en 1996 de transférer annuellement une part de l’excédent de la branche AT-MP vers celle du régime général maladie de la Sécurité sociale « symbolise l’absence de réformer le système ». Et renforce « l’invisibilité des origines professionnelles de nombreuses maladies et décès ». Très détaillé, nourri de rapports officiels, le livre dresse un bilan sévère d’un siècle de carence, éclairant sur la sélection drastique des « tableaux » reconnaissant les cancers professionnels, de la houille à l’amiante dans les années 1990. Cancers largement sous-estimés, TMS aux conditions durcies en 2011, la législation s’avère toujours « incapable de réparer correctement les maux du travail ».

Un système à deux vitesses

Certes, ces chercheurs en santé du travail reconnaissent des progrès : en 1993, la décision de l’État de créer des centres régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour les maladies « hors tableaux » constitue a priori une avancée. Mais tend aussi « déporter le problème », et à « devenir une voie de recours majeure » face à la montée des risques psychosociaux. À lire à ce sujet : cette contribution éclairante de Rémy Ponge, sociologue à l’Inserm, sur l’histoire des CRRMP et les débats houleux entre patronat et syndicats sur la reconnaissance « des maladies psychiques » professionnelles. Pour lui, plus que le lien de causalité, le système se heurte encore à une vision juridique de reconnaissance des pathologies « construites sur la souffrance des corps », avec des taux d’invalidité partiels élevés (25 %), qui « font obstacle ». Résultat : alors la souffrance au travail explose dans les rapports officiels, seuls « 990 affections psychiques ont été reconnues par les CRRMP en 2018 » note-t-il. Effet pervers de ce système parallèle, tableaux ayant peu évolué, pénurie de médecins de travail, disparition des CHSCT : les chercheurs plaident pour réformer en profondeur ce système de reconnaissance et d’indemnisation toujours défaillant. Un ouvrage politique fécond.

Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles,

Catherine Cavalin, Emmanuel Henry, Jean-Noël Jouzel et Jérôme Pélisse. Ed. Presses des Mines, 292 pages, 29 euros

Auteur

  • Lydie Colders