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Comment accélérer sur l’Europe sociale ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2021 |

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Comment accélérer sur l’Europe sociale ?

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L’Union européenne, dont les compétences sont limitées en matière sociale, entend renforcer son action dans ce domaine. À l’issue du sommet social de Porto, en mai 2021, des objectifs sur l’emploi, notamment des jeunes, la formation et la lutte contre la pauvreté ont été adoptés pour 2030. Mais alors que la crise économique prend corps, c’est aujourd’hui qu’il faut protéger les travailleurs. Dès lors, la question se pose :

Marc Botenga : Député européen pour le Parti du travail de Belgique.

La crise sociale est profonde. L’Union européenne a royalement manqué son modeste objectif de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté avant 2020. Au sommet social de Porto, elle s’est alors contenté de réduire ses ambitions en la matière, évitant scrupuleusement toute autocritique. Au vu du rôle essentiel qu’ils ont joué pendant la crise Covid-19, les travailleurs méritent respect. Cela implique de sérieuses augmentations salariales. Toute forme de salaire minimum européen devrait y contribuer. Actuellement, à défaut d’une stricte conditionnalité sociale, comme le maintien de l’emploi, les plans de relance risquent de ne profiter qu’à quelques entreprises, voire à leurs actionnaires, tandis que les travailleurs resteraient sur le carreau. Il faut aussi en finir avec les politiques qui sapent les droits sociaux. Les appels réguliers à un retour à l’austérité budgétaire rappellent en outre aux travailleurs les expériences révoltantes de l’après-crise financière de 2008-2009. Un retour de l’austérité servira à détruire davantage les systèmes publics des retraites, comme le Livre Vert sur le vieillissement de la Commission européenne le présage déjà. Imposons des mesures de bon sens qui permettent de lutter contre le dumping social, comme la notification préalable en cas de détachement ou pluriactivité, et le paiement des cotisations sociales les plus élevées afin de protéger les systèmes de sécurité sociale. Et plutôt que de détricoter davantage les services publics à travers toutes formes de recommandations et de coupes, reconnaissons et garantissons le rôle fondamental qu’ils jouent dans notre société.

Maxime Legrand : Président de la Confédération Européenne des Cadres (CEC)

Si l’on compare l’Europe à d’autres puissances mondiales, l’un de ses traits distinctifs est précisément son modèle social. Il va de pair avec notre démocratie. L’Europe a pris des risques ces dernières décennies en jouant la carte unique de la libéralisation. Il y a eu croissance, mais la répartition en a été inégale. Surtout, les Européens ne sont pas que des consommateurs. D’une certaine façon, nos dirigeants se sont occupés davantage de leur économie et moins de leurs concitoyens. Il était donc temps d’agir. Aussi, je salue le lancement du Plan d’action sur le socle européen des droits sociaux. C’est un bon document et, à mon avis, la bonne façon de communiquer. Il fallait rassurer. Les compétences de l’Europe sont bien dérivées de la volonté des États Membres. Ils impulsent les grandes décisions, selon des principes établis dans les Traités. La présidence portugaise et le Sommet social européen de Porto sont allés dans le bon sens. Je suis un peu moins optimiste pour la présidence française au 1er janvier 2022. Indépendamment des réelles intentions des protagonistes, l’élection présidentielle en France risque bien de taire ou d’instrumentaliser le sujet. Or il faut traiter des sujets de fond. En raison de sa forte sensibilité, l’Europe sociale doit bien s’ancrer dans des réalités juridiques. Tant qu’on n’aura pas éclairci certains principes de droit, on risque de créer des malentendus, des déçus ou des mécontents. Je prends pour exemple le salaire minimum. Quant au dialogue social, c’est l’un de ces niveaux décisionnels les plus fructueux en la matière. La déclaration de Porto a donné un signe clair sur le fait que les institutions, elles aussi, partagent cette vue. Mais pour que les fruits de ce dialogue social soient plus rapidement bénéfiques, il faut que tous les acteurs économiques soient impliqués. Cela vaut d’autant plus pour les cadres, qui sont les moteurs du changement et les preneurs de décisions au niveau de l’entreprise. Les réflexions autour de la Conférence sur l’avenir de l’Europe peuvent représenter une opportunité. La CEC s’y investit.

Philippe Pochet : Directeur de l’Institut syndical européen

Le Sommet de Porto de mai 2021 et le plan d’action proposé par la Commission européenne constituent certainement un moment important de relance de l’Europe sociale. Toutefois, si l’on se place dans une perspective historique, ce n’est jamais que la cinquième fois que l’on parle de relance de la dimension sociale de l’intégration européenne. Serait-ce enfin la bonne ? Rien n’est moins sûr. Côté positif, on notera un plan de relance ambitieux, une possible taxation (d’une partie) des profits des multinationales, un débat sur les droits des travailleurs de plateformes, un autre sur le salaire minimum européen, une possible révision du Pacte de stabilité et de croissance… Côté négatif, on soulignera un ensemble de propositions non clairement articulées, l’absence d’approche structurelle des inégalités croissantes et surtout, une non-anticipation des enjeux sociaux climatiques et environnementaux. Or, ces derniers auront des conséquences sociales majeures. Outre le secteur du charbon, pensons à l’automobile, qui concerne des millions de travailleurs. Une transition électrique accélérée (même si toujours trop lente), couplée à de nouvelles formes de mobilités urbaines, aura des impacts profonds en matière d’emplois et de localisation de ceux-ci. Où sont les fonds européens pour amortir ces impacts ? Accélérer la transition vers des bâtiments passifs concernera des centaines de milliers d’emplois. Où sont les plans de formation massifs liés à ces opportunités ? Outre les changements sectoriels, une autre façon de consommer et de mesurer les progrès (au-delà du PIB) sera à l’agenda. Il faudra revisiter la question du bien-être, les enjeux de santé, mais aussi le temps de travail et sa réduction. C’est un chantier intellectuel beaucoup plus large à ouvrir pour lier social et environnement, au-delà des éléments de langage sur une « transition juste ».

Ce qu’il faut retenir

Des règles minimales

Emploi, conditions de travail, égalité hommes-femmes, protection sociale… : ces domaines relèvent avant tout de la compétence des États membres de l’Union européenne. En conséquence, l’UE ne déploie pas de politique sociale spécifique. Toutefois, la politique sociale est progressivement devenue une composante du projet européen. En 1986, l’Acte unique européen a ainsi étendu les compétences communautaires à la santé et à la sécurité au travail, tandis que les traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997) les ont renforcées, la question de l’emploi étant désignée comme d’intérêt communautaire et nécessitant une stratégie de coordination. Et, sous forme de directives, le législateur européen a établi des règles minimales. Ainsi, en matière de temps de travail, la directive de novembre 2003 fixe la durée maximale hebdomadaire de travail à 48 heures, heures supplémentaires comprises, et impose, entre autres, une période de repos de 11 heures consécutives par 24 heures. Enfin, le Traité de Lisbonne (entré en vigueur le 1er décembre 2009), a affirmé plusieurs objectifs dans le domaine social : plein emploi, progrès social et cohésion économique, sociale et territoriale. Et le Sommet social tripartite pour la croissance et l’emploi, créé en 2003, réunit les présidences du Conseil des ministres, du Conseil européen et de la Commission européenne, ainsi que les représentants des employeurs et des travailleurs, pour discuter, deux fois par an, des enjeux sociaux (progrès social, socle des droits sociaux…).

Avancées

En 2017, le socle européen des droits sociaux a été adopté par la Commission européenne. Ce texte a déjà inspiré 25 initiatives, telle la garantie de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. L’UE a également agi en matière de libre circulation des travailleurs (sachant qu’en 2019, 17 millions de citoyens européens vivaient ou travaillaient dans un autre État membre que celui de leur naissance) et de coordination des régimes de sécurité sociale, de même que sur l’égalité homme-femme, le droit du travail et la lutte contre les discriminations.

Ce qui reste à faire

En février 2021, la Commission a lancé une consultation des partenaires sociaux européens sur la manière d’améliorer les conditions de travail des personnes travaillant par l’intermédiaire de plateformes de travail numériques dans le but de parvenir à un accord entre syndicats et organisations patronales. S’ils n’y parviennent pas, la Commission européenne compte élaborer une législation d’ici la fin de cette année. Par ailleurs, l’UE a lancé une réflexion sur la question d’un salaire minimum horaire dans toute la zone, qui prendrait la forme d’un cadre garantissant, par pays, des revenus décents aux travailleurs les plus pauvres.

Chiffres

21 %

C’est, sur 27 États membres, le nombre de ceux qui disposent d’une législation nationale établissant un salaire minimum. Les six autres pays ont fixé un salaire minimum par branches ou prévoient que les salaires minimums soient déterminés par négociation entre les partenaires sociaux.

Source : https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/le-salaire-minimum-en-europe/

11 %

C’est la proportion estimée de la main-d’œuvre européenne qui a offert des services à travers des plateformes au moins une fois l’an dernier, selon le Centre commun de recherche de la Commission européenne. C’est l’activité principale de 3 millions de personnes (1,4 % de la main-d’œuvre totale), tandis que pour 9 millions de travailleurs (4,1 %), c’est une deuxième source de revenus, et pour 7 millions (3,1 %), une source marginale, et enfin, pour plus de 5 millions (2,4 %), une source sporadique de revenus.

Source : https://ioewec.newsletter.ioe-emp.org/industrial-relations-and-labour-law-april-2021-1/news/article/european-commission-launches-a-consultation-on-the-employment-status-of-platform-workers