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Sélectionner sans frustrer, la délicate équation des employeurs

À la une | publié le : 01.09.2021 | Catherine Abou El Khair

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Sélectionner sans frustrer, la délicate équation des employeurs

Crédit photo Catherine Abou El Khair

 

Par dépit ou logique assumée d’hypersélectivité, les entreprises brassent d’importants volumes de candidatures qu’elles peinent, par la suite, à trier et à traiter d’une manière ordonnée. Une machine à frustrer les recalés qui interroge toute la gestion de leur processus de recrutement.

À rebours des employeurs qui hurlent à la pénurie, Mazars a plutôt eu l’embarras du choix parmi les postulants. En effet, l’entreprise a reçu 60 000 candidatures en 2020, contre 45 000 en 2019. Comment expliquer ce rebond ? « Il y a forcément la crise », répond Charlotte Gouiard, responsable RH Tech & Expérience candidats chez Mazars. L’an dernier, elle a rezmarqué davantage de CV de jeunes diplômés venant des grandes écoles les mieux classées, ainsi que des profils plus « atypiques qui n’ont pas des parcours dans l’audit et la finance ». Mais au-delà du contexte économique compliqué qui fait du cabinet un refuge, la tendance a peut-être été stimulée par les changements apportés à son parcours candidat, lequel peut postuler « en un clic » et « sans lettre de candidature ». Un vrai défi pour les chargés de recrutement, s’ils veulent réserver un traitement humain à chaque personne. « Nous n’avons pas assez de recruteurs, et les opérationnels ne peuvent pas passer tout leur temps en entretien », constate Charlotte Gouiard.

Gérer d’importants volumes fait aussi partie du quotidien des cabinets de recrutement. Au pic de la crise sanitaire, quand le nombre d’annonces était au plus bas, « on passait notre temps à écrémer », témoigne Dan Guez, cofondateur du cabinet de recrutement open sourcing. Déréglé par la crise, le marché du travail risque pourtant d’accentuer les inégalités dans la recherche d’emploi, selon Matthieu Penet, directeur de Yaggo, un cabinet spécialisé dans l’expérience candidat. « La compétition est plus dure pour les profils non pénuriques », estime-t-il.

 

Des recruteurs accros aux candidatures

Les rejets répétés, sans aucune réponse ou au mieux, un mail automatique très pauvre en informations, nourrissent une frustration massive chez les postulants. « Les entreprises ne se mettent pas à la place des candidats. Leur sur-outillage conduit à une dégradation de l’empathie et de la transparence sur les processus de recrutement », observe Jean-Noël Chaintreuil, maître de conférences associé au Celsa et directeur du cabinet de conseil Change Factory.

Un problème qui trouve sa source dans les difficultés à traiter les masses de candidatures propulsées par les jobboards, plateformes auxquelles les entreprises sont devenues accros. Cette dépendance a des origines multiples. « On est essentiellement dans la quantité car on a de plus en plus de difficultés à atteindre la cible », selon Samira Sabbane, une ex-DRH qui lance son propre cabinet de recrutement, Retchee. « Sans vraiment s’en rendre compte, les recruteurs ont augmenté leur niveau d’exigence. La stratégie du volume augmente leurs chances de trouver la perle rare qui corresponde parfaitement à leur cahier des charges », analyse Jean Pralong, professeur de gestion en ressources humaines à l’EM Normandie.

Certains acteurs du recrutement cultivent aussi cette tendance à la sélection. Les logiciels de gestion des candidatures (Applicant Tracking Systems, ATS) s’enrichissent désormais de nouvelles techniques. « Nous sommes interfacés avec nos partenaires qui développent ces technologies », explique Raphaël Mazet, responsable de communication pour Beetween, un ATS qui s’est interfacé avec outils de digitalisation de la présélection : « parsing » (extraction de CV), « matching » (mesure de la compatibilité du CV avec l’offre), questionnaires, tests de personnalité, vidéo différée…

 

Approches implacables

Dans l’absolu, le moyen le plus direct pour moduler le volume de candidatures consiste à travailler sur la rédaction de l’offre d’emploi. Selon une étude de l’EM Normandie, en 2020, la sélectivité des annonces mentionnant des compétences, expériences ou qualifications « indispensables » a augmenté dans le cas des vendeurs et des comptables, postes peu pénuriques.

Mais à défaut de vouloir s’engager sur cette voie, comment filtrer ? Samira Sebbane déplore souvent « une logique bête et méchante » qui consiste à « ouvrir les premières candidatures et envoyer un mail générique aux suivantes ». L’emploi de mots-clés pour repêcher les CV lèse aussi des postulants qui n’ont pas employé le bon terme pour se décrire. Sur les postes moins pénuriques et surtout en période de crise, la tentation de sélectionner par des critères plus ou moins arbitraires d’expérience, de secteur ou de diplôme est forte. Autant d’approches implacables qui posent question sur le plan de la marque employeur. « Je suis contre la logique de scoring, selon laquelle si je veux un bac + 2, avec deux ans d’expérience, celui qui n’a par exemple qu’un bac pro n’aura pas les points nécessaires. Certes, les critères sont importants, mais il y a toujours la question de la marge : dans l’absolu, une personne avec une année et demie d’expérience peut aussi bien faire l’affaire que celle qui en a deux », estime Benoît Pacceu, directeur du développement RH de Kiloutou. Pour remettre plus de souplesse, l’entreprise de location de matériel choisit donc de miser sur ses effectifs de recruteurs. Et propose aussi, depuis mai, des créneaux d’entretiens « sans CV ». « On veut donner un autre accès. On sait que pour certaines populations, mettre en avant ses compétences et savoir-faire n’est pas toujours facile. »

Mais d’autres pratiques se développent, exploitant les possibilités du numérique. « Les entreprises doivent trouver des astuces pour identifier les candidats les plus motivés », observe Dan Guez, du cabinet de recrutement Open Sourcing. À rebours de la candidature en un clic, le recruteur a pu ajouter une étape dans son processus : il renvoie un formulaire à remplir mais après le dépôt du CV, de manière à éliminer les personnes qui ne donnent pas suite après cette première étape. Autre tendance potentiellement favorisée par la pandémie : le CV vidéo. « On ne le rend pas obligatoire, mais certaines entreprises le font », constate Dan Guez. Quand cette modalité remplace l’entretien téléphonique, elle permet d’aller plus vite dans la sélection. « C’est une première étape pour pouvoir se présenter qui est plutôt bien perçue », avance Charline Bouric, recruteuse chez Steeple (60 salariés), une entreprise spécialisée dans la communication interne.

 

Filtrage par les tests

Les grandes entreprises ayant à gérer des grosses masses de recrutements passent, de leur côté, à la vitesse supérieure en investissant dans des tests. C’est le cas de Mazars, qui mesure les soft skills des aspirants auditeurs (rigueur, organisation, travail en équipe…), à travers un jeu de 30 minutes. « Cela nous permet de gagner du temps sur la sélection », explique Charlotte Gouiard. En bout de course, l’objectif du cabinet d’audit – qui reçoit 600 personnes par an pour ses CDI – est d’avoir « moins de candidats, mais des candidats hypersatisfaisants », davantage susceptibles de réussir les sessions collectives de recrutement composées d’un business case à résoudre et d’entretiens. Mais en brisant la barrière de la bonne école ou du bon diplôme – objectif parallèle de Mazars –, le test permet en même temps « davantage de sélectivité », confirme la responsable.

Les tests gagnent aussi les cols-bleus. Chez Lidl, qui reçoit 700 000 candidatures par an, les candidats aux postes d’équipiers polyvalents et d’opérateurs logistiques doivent désormais passer un test de 20 minutes. L’épreuve consiste à réaliser une série d’opérations de calcul mental dans un temps imparti, doublé d’un questionnaire à choix multiples sur les réflexes à avoir dans des situations courantes en supermarché ou en entrepôt. Une fois le test validé, le CV est transmis au manager pour accéder à l’entretien. « Cela permet aux managers de voir moins de monde, mais des candidats déjà qualifiés et de les évaluer au-delà des savoirs de base », explique Claire Heiwy, directrice du développement RH de l’acteur discount. Aujourd’hui, 55 % des postulants réussissent. « On a été extrêmement vigilants à ce que le nombre de candidats ne baisse pas. Il y a eu tout une étape de calibrage auprès de nos propres salariés pour nous assurer que la note que l’on demandait n’était ni trop, ni pas assez exigeante », revendique-t-elle. En garantissant l’accès à un entretien en cas de note suffisante, le processus implique une certaine discipline pour éviter la cohue et un excès de réponses négatives. Pour cela, s’instaure « une vraie gestion de l’ouverture et de la fermeture des annonces en ligne ». D’ici le printemps 2022, Lidl aura totalement automatisé ce système qui pourra fermer ou suspendre les annonces à partir d’un certain seuil de candidatures.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair