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La grande fatigue des candidats

À la une | publié le : 01.09.2021 | Catherine Abou El Khair

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La grande fatigue des candidats

Crédit photo Catherine Abou El Khair

 

La crise a amplifié les difficultés des demandeurs d’emploi à retrouver rapidement du travail. Confrontés à des processus de recrutement exigeants, les candidats multiplient les tentatives pour se démarquer.

Ils n’ont connu ni les affres du télétravail, ni les protocoles sanitaires dans les locaux… à eux l’interminable attente de la reprise, au-delà de l’ouverture des restaurants et des commerces. Être demandeur d’emploi en pleine crise sanitaire, c’est prendre son mal en patience tout en voyant le « trou » dans son CV s’agrandir : entre février 2020 et mai 2021, le nombre de chômeurs (catégorie A) sur une durée allant de 12 à 24 mois a augmenté de 14 %, selon Pôle emploi. C’est le cas de Zohra, dont le dernier CDD s’est terminé en mars 2020. Diplômée en ressources humaines, la Francilienne de 25 ans n’avait guère de difficultés à trouver des contrats avant la crise. Depuis le début de la pandémie, elle postule entre 5 et 10 fois par semaine pour des postes dans les relations sociales pour n’obtenir que… deux entretiens en 2020, et trois en 2021. Les réponses ? Évasives quand elles ne sont pas inexistantes. « Pas le profil », « manque d’expérience »… Certains processus de recrutement sont lancés avant même la création desdits postes. Quant aux quelques appels des cabinets de recrutement, ils suscitent plus souvent des faux espoirs qu’autre chose : « ils me disent qu’ils m’appellent pour remplir les bases de données ». Avoir zéro réponse ou le traditionnel « si vous n’avez pas reçu de message, veuillez considérer que votre candidature n’est pas retenue », Thibaut commence aussi à en avoir l’habitude. Au chômage depuis juillet 2020, il subit la double peine de vivre près de Toulouse, bassin d’emploi marqué par la crise de l’aéronautique. Ses efforts de reconversion vers le métier d’analyste de données n’ont pas encore payé, malgré un métier porteur et une formation de trois mois tout juste suivie. L’ingénieur en aéronautique, qui a enchaîné les missions pour Airbus pendant dix ans, chasse les offres d’emploi en ligne. Après « une lueur d’espoir » en mars, le reconfinement « a tout cassé » en matière d’offres d’emploi. « Depuis le mois de juin, ça bouge un peu plus », remarque-t-il.

 

Bloqués par les algorithmes

Plus ils multiplient les candidatures, plus la lassitude les guette. Le silence des recruteurs les interroge : est-ce leur profil qui pose problème, leur mode de candidature, ou la crise ? « Aujourd’hui, les employeurs prennent leur temps pour recruter. La situation s’est inversée. On me dit qu’il y a une saturation de mon type de profil », remarque Fadwa, développeuse informatique au chômage depuis juillet 2020, licenciée par son entreprise de services numériques. Âgée de 29 ans, la diplômée en sciences et technologies du logiciel observe que les barrières à l’entrée se sont accrues, malgré son expérience acquise depuis plus de quatre ans. « J’ai l’impression qu’ils veulent se rassurer, avec leurs tests, leurs entretiens où ils posent 10 000 questions », se plaint la Francilienne, devinant une situation d’hyper concurrence entre entreprises de services numériques pour décrocher des contrats auprès de clients, arrivant chacun avec leurs CV de développeurs. « Même les clients finaux font des tests ! », s’étonne-t-elle, s’interrogeant sur la pertinence de multiplier ce type de processus.

 

Des candidats prêts à payer

Les candidats ont intégré le poids du numérique dans le recrutement. « Quand on sort de son domaine, il n’y a aucune chance, à cause des algorithmes », estime de son côté Liliane, 43 ans. Aide-soignante s’étant formée au Royaume-Uni avant de revenir dans l’Hexagone, à Montpellier, elle cherche du travail tous azimuts depuis 2020. « Dès que les jobboards me demandent de faire des tests, j’arrête », indique cette bilingue anglophone, souhaitant éviter des processus sélectifs où l’échec semble certain. « Tout marche avec des robots », constate aussi Thibaut. Pour preuve, il a été contacté pour un poste de « support analyst », qui n’avait rien à voir avec son parcours mais qui collait avec deux expériences mentionnées dans son CV : le « support client » et l’ « analyse de données ». Pour passer le mur des algorithmes, il prend conscience de l’importance d’adapter au maximum son CV en fonction des mots clés de l’offre d’emploi. Un « travail supplémentaire » auquel il renâcle, démuni face à la science du CV : comment faire tenir tout un parcours en une page ? Que faut-il mettre en avant ? « L’Apec m’a dit que mon CV n’allait pas sur ce que j’écris, sur la forme, sur le message que je veux faire passer… », témoigne-t-il, un peu perdu.

Avec la crise sanitaire, l’usage d’Internet dans la recherche d’emploi s’est intensifié : selon une enquête de l’Unédic terminée en octobre 2020, 26 % des demandeurs d’emploi recouraient davantage aux canaux numériques, à travers la candidature spontanée ou en répondant à une annonce. Pour candidater en masse et à toute vitesse, certains décident de se faire aider. « On nous a acheté beaucoup de lettres de motivations. Des candidats pouvaient en acheter 50 à la fois », remarque Pauline Lahary, dirigeante de MyCVFactory, qui vend des CV de 9,90 à 90 euros selon le degré de personnalisation ainsi que des lettres de motivation à 5 euros le modèle, 30 euros la relecture et 90 euros la rédaction.

Mais la guerre pour se démarquer dépasse bien sûr le CV. Du premier contact téléphonique à la rédaction du premier mail de candidature, en passant par le ton de la messagerie vocale, l’apparence du profil LinkedIn, la manière de se présenter en entretien, ou encore l’apport des techniques de réseautage : tout doit être soigné, stimulant les besoins en coaching. « Le cahier des charges des recruteurs est plus épais qu’on ne l’imagine », avertit Mohamed Ben Kalfate, coach chez Jobtimise, dont l’activité, qui explosait déjà avant la crise, continue de progresser. Un discours qui convainc les candidats qui veulent mettre toutes les chances de leur côté. Diplômé d’une grande école de commerce, Mohamed n’a pas hésité à débourser 2 000 euros pour maîtriser les bases du CV et les techniques de réseautage, finissant par décrocher un poste qu’il visait dans un cabinet d’audit, au bout de deux mois… Un investissement utile à son sens. « Ma plus grande crainte, c’était de me retrouver au chômage à la rentrée, je ne voulais pas de trou sur mon CV. »

 

Se vendre comme un produit

Pour réduire la distance numérique qui les sépare des recruteurs, les candidats sont en recherche de contacts humains. Nicolas, qui voit sa candidature pour un poste de chef de produit rejetée via un cabinet de recrutement, décide de solliciter directement le dirigeant de l’entreprise sur LinkedIn. « Ça démontre une motivation », veut croire le trentenaire, qui sort ainsi de plus de deux années de chômage. Bien lui en a pris : il finit par se faire recruter. Mais « il a pris un risque à double tranchant », commente Émilie Narcy, la directrice d’Approach People Recruitment, qui a fait l’intermédiaire avec l’employeur, d’abord interloqué par cette insistance. « En première année d’école, on nous explique que le décisionnaire n’est pas le RH mais le manager », souligne Mohamed, qui estime, dans son cas, que le réseautage a joué en sa faveur. Mais cette démarche n’apporte pas toujours les résultats espérés. « J’engage la conversation sur LinkedIn, mais on ne m’envoie pas de message », constate Zohra. Pour rebondir, certains candidats changent alors de stratégie. Sur LinkedIn en particulier, les bouteilles à la mer de candidats sont devenues monnaie courante, stimulant la course à la visibilité. « Sur un simple CV, on ne peut pas se battre contre les autres, si on ne coche pas les bonnes cases, si on n’a pas le bon diplôme. Sur Linkedin, on peut montrer ce que l’on vaut avant l’entretien », commente Christel de Foucault, conférencière et formatrice sur les recherches d’emploi. Selon elle, les réseaux sociaux viennent rééquilibrer la relation entre des candidats et recruteurs. « Maintenant, les candidats font des visuels, des petites vidéos. Ils sont le produit autour duquel ils développent leur communication ». C’est sur ce terrain que Yanis Oudjiane a justement décidé de jouer. Tirant les leçons de ses 120 candidatures sans réponse, ce diplômé d’un bachelor en webmarketing de 22 ans décide de « laisser parler la créativité » pour décrocher sa seconde alternance. Visant un poste dans le marketing ou la communication pour démarrer son master, il publie trois CV vidéo différents sur LinkedIn. Publie des posts humoristiques. Des publications bien tournées qui font mouche. Ayant reçu des centaines de « like », c’est à son tour d’être courtisé par quelques employeurs.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair