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La bataille du barème Macron continue

Dossier | publié le : 01.06.2021 | Catherine Abou El Khair

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La bataille du barème Macron continue

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Le barème Macron, qui encadre les indemnités en cas de licenciement abusif, est rejeté par certains conseils de prud’hommes. La fronde s’étend aujourd’hui aux cours d’appel. Dans l’attente d’un arrêt qui ferait jurisprudence, supporteurs et opposants s’affrontent devant les juridictions.

De Troyes à Angers, en passant par Créteil, Bordeaux, Montauban ou Nevers, les conseils de prud’hommes ont rejetté le barème Macron. L’entrée en application, en septembre 2017, de l’ordonnance fixant des limites minimales et maximales d’indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a déclenché une fronde sur le terrain judiciaire. Dernier épisode en date : l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, le 16 mars dernier a décidé d’allouer 32 000 euros à une plaignante au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un montant justifié par son âge au moment de la rupture (53 ans), sa « capacité à retrouver un nouvel emploi » et les « conséquences » de son licenciement. L’application stricte du barème lui aurait donné droit à indemnité oscillant entre 13 211 et 17 615 euros à cause de son ancienneté inférieure à 4 ans. Alors que le système antérieur ne fixait qu’une indemnité plancher à six mois de salaire brut à partir de deux ans d’ancienneté pour les entreprises de plus de 11 salariés, celle-ci est désormais abaissée à trois mois. Plafonnée, l’indemnité maximale s’accroît, en revanche, avec la durée de l’emploi : un salarié ayant 29 ans d’ancienneté peut ainsi toucher jusqu’à 20 mois de salaire brut.

La décision de la cour d’appel de Paris, qui succède à d’autres arrêts remettant aussi le barème en cause, a de quoi ragaillardir les opposants à cette réforme. Depuis l’instauration du barème, deux camps s’opposent. « On a formé nos défenseurs syndicaux et nos conseillers prud’hommes pour tenter d’écarter les barèmes, avec des arguments juridiques assez complexes », indique Anaïs Ferrer, responsable du service juridique de la CGT. Le syndicat des avocats de France a diffusé un argumentaire dès 2018. Destiné à être utilisé dans les conclusions des avocats devant les juridictions, il s’appuie sur les textes supranationaux dont la France est signataire. Les avocats revendiquent ainsi l’applicabilité directe de l’article 10 de la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail qui pose le principe d’une « indemnité adéquate » en cas de licenciement injustifié. Ce terme est également employé par l’article 24 de la charte sociale européenne, ratifiée par la France en 1999.

Si l’organisation internationale du travail ne se prononce pas sur la conformité des législations nationales, c’est en revanche possible s’agissant de la charte, dont l’interprète est le Comité européen des droits sociaux (CEDS). Saisie par la CGT et Force ouvrière, elle doit se prononcer sur la compatibilité du barème. Si l’applicabilité directe de la charte en droit français n’est pas acquise, une condamnation politique venant de cette instance mettrait le législateur français en porte-à-faux. En 2020, l’Italie avait été ainsi mise en cause concernant son propre barème, semblable à la version française.

Contre-argumentaire

En face, c’est AvoSial, une association qui regroupe des avocats défendant les employeurs, qui a donné la réplique à travers un contre-argumentaire à l’usage de ses adhérents. « Les arrêts des cours d’appel ne sont pas représentatifs des décisions. Les juges se sont arrogé le droit d’estimer dans quels cas le barème s’applique alors que seul l’État peut en juger », répond Amélie d’Heilly, membre du bureau d’AvoSial et avocate associée chez Latournerie Wolfrom Avocats. Selon elle, la position de la Cour de cassation exprimée en juillet 2019 – saisie pour un simple avis par deux conseils de prud’hommes et non dans le cadre d’un pourvoi – aurait stoppé les contestations des confrères.

La partie, pourtant, n’est pas terminée. La position de la Cour de cassation, qui doit s’exprimer à l’occasion d’un pourvoi formé suite à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 mars, est très attendue. Elle pourrait mettre fin à la « grande disparité » des décisions, tant en première instance qu’en appel, remarque Raphaël Dalmasso, maître de conférences en droit privé à l’Université de Lorraine. Ce désordre tient aussi à l’absence de données statistiques à propos de l’application du barème selon cet universitaire, qui travaille sur l’évaluation de l’impact du barème pour France Stratégie. « Il n’y a pas de base informatique qui collecte et classe les jugements des conseils de prud’hommes. Et au niveau des cours d’appel, en octobre 2020, l’immense majorité des décisions concernant les licenciements sans cause réelle et sérieuse appliquait encore l’ancien droit », explique-t-il.

SI les contestations sont fortes, c’est en raison des impacts du barème. Selon une simulation du groupement de recherche Droit et Justice, les indemnités versées avant 2017 étaient conformes au barème dans seulement 31 % des cas. Dans 59 % des cas, l’application des nouvelles fourchettes de dommages-intérêts aurait donné lieu à des montants plus bas.

Le préjudice réinterrogé

« Le barème Macron défavorise surtout les salariés ayant moins de cinq ans et plus de quinze ans d’ancienneté », observe de son côté Valérie Valadas-Batifois, avocate en droit social au cabinet Picovschi. Selon Françoise de Saint-Sernin, avocate spécialisée dans la défense des cadres, « le barème pénalise une catégorie très précise : les quinquagénaires qui ont déjà changé d’employeur parce qu’ils ont été poussés dehors ou ont démissionné. Comme ils n’ont plus d’ancienneté, ils sont licenciés sans rien ». Car dans le cas des seniors, le barème semble mettre au second plan le préjudice lié à la difficulté de retrouver un emploi. « Avant le barème, si on pouvait démontrer que la personne n’avait pas réussi à trouver du travail suite à son licenciement, on savait qu’on allait pouvoir lui obtenir des indemnités importantes », regrette encore l’avocate.

Ces reconfigurations finissent par susciter un débat sur la question du préjudice. Et ce d’autant plus que, depuis 2017, le législateur permet au juge de « tenir compte […] des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture », selon Raphaël Dalmasso. « On n’a jamais documenté ce que venait précisément réparer l’indemnité de licenciement. En raison des fourchettes, les cours d’appel pourraient se sentir davantage obligées de justifier les montants des indemnités qu’elles décident d’allouer. Jusqu’ici, leurs motivations sont peu détaillées, parfois stéréotypées », observe-t-il.

Sans attendre la fin de la partie, les avocats explorent d’autres voies pour obtenir meilleure réparation devant les juridictions. « En raison du barème, on observe plus souvent des demandes annexes à la contestation du licenciement. Désormais, les avocats chiffrent ces différentes demandes alors qu’auparavant les dommages et intérêts, jugés suffisants, étaient obtenus au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse », selon Fabienne Picon, conseillère prud’hommes CFTC à Nanterre. « On s’aperçoit que les chefs de demande se multiplient, mais cette logique est aussi liée au fait que toutes les demandes doivent être faites dès l’introduction de l’instance », confirme Valérie Valadas-Batifois. Pour obtenir des indemnités complémentaires, les avocats sont ainsi davantage tentés de vérifier l’existence d’objectifs liés aux rémunérations variables, parfois oubliés. Mais aussi, le classique de la bonne application des conventions de forfait jours qui, en cas d’usage abusif, peut coûter cher en heures supplémentaires ou en indemnités de travail dissimulé. Le licenciement vexatoire peut également donner lieu à des dommages et intérêts.

Autre stratégie : les demandes en nullité qui permettent de s’exonérer du barème Macron : le plancher minimum passe alors à six mois de salaire brut, avec une réparation intégrale du préjudice. Elles peuvent être acceptées par le juge en cas de discrimination, de harcèlement ou encore de violations des libertés fondamentales (liberté d’ester en justice, d’expression, syndicale, religieuse…). Ce contentieux, plutôt rare, a été stimulé par l’arrivée du barème. Mais encore faut-il avoir des dossiers solides, en cas de harcèlement ou de discrimination. « Très clairement, on voit de plus en plus de demandes en nullité depuis l’entrée en application du barème. On voit de la stratégie judiciaire, mais les conseillers prud’hommes et les juges ne sont pas dupes », rapporte Amélie d’Heilly, du cabinet Latournerie Wolfrom. Reste que certaines erreurs peuvent coûter cher. Une lettre de licenciement maladroite qui reprocherait au salarié sa menace de saisir les prud’hommes peut à elle seule déclencher une nullité, au titre de la liberté d’ester en justice.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair