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Conciliation et médiation : la politique des petits pas

Dossier | publié le : 01.06.2021 | Judith Chetrit

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Conciliation et médiation : la politique des petits pas

Crédit photo Judith Chetrit

Soulager une justice embouteillée, rétablir un dialogue, résoudre des litiges à faible valeur : en matière sociale, la conciliation et la médiation se développent mais peinent à prendre de l’ampleur.

La statistique est instructive : environ 8 % des affaires portées devant les prud’hommes sont résolues par voie de conciliation entre les parties, avec une grande hétérogénéité en fonction des conseils. Malgré la présence de cette étape procédurale devant le bureau de conciliation et d’orientation, obligatoire pour un grand nombre de situations, le bureau de jugement est l’étape suivante qui se profile pour une bonne partie des saisines. « Selon mon expérience, il est possible de trouver un accord quand c’est une histoire d’argent. Lorsque le justiciable se sent personnellement lésé, voire ressent une injustice, la conciliation est bien plus difficile à trouver », admet Evelyne Delbos, conseillère prud’homale à Dieppe.

Certains professionnels déplorent que le temps alloué, la forme et les compétences du bureau de conciliation et d’orientation ne sont pas pleinement utilisés pour participer activement à la recherche des éléments d’une entente, le transformant parfois en « chambre d’enregistrement ». Pourtant, des pistes d’intervention restent à exploiter, d’après Valérie Valadas-Batifois, avocate en droit social au cabinet Picovschi. « On peut inciter un cadre à saisir les prud’hommes en lui expliquant qu’il est plus favorable de signer un procès-verbal de conciliation en respectant le barème fixé par la loi car dans cette hypothèse le barème permet de s’exonérer de la carence en matière de chômage. »

Seulement, s’en tenir à la conciliation comme la seule facette de ces fins d’affaires sans décision tranchant le litige (un peu moins de 50 % des affaires terminées) ne serait qu’une partie de la photographie. Comme le rappelle la sociologue du droit et directrice de recherches au CNRS, Evelyne Serverin, « il y a toujours très peu de procès-verbaux de conciliation. Les accords entre les parties prennent souvent la forme de la radiation d’une affaire ou d’un désistement de la part du demandeur ». Parfois, il y aura eu des constats d’accords en amont entre les parties, voire la demande d’une homologation auprès des conseils prud’homaux pour lui donner une force exécutoire. L’ensemble de ces issues, poursuit-elle, traduit aussi une « diminution de la propension à négocier » dans l’enceinte de ces tribunaux et donc un « durcissement des conflits » avec des prétentions d’indemnités qui peuvent conduire des salariés – et des avocats – à vouloir continuer le litige entamé.

Même si la culture de l’affrontement plutôt que l’encouragement à la négociation explique une partie des réticences encore exprimées, les dernières années ont été parallèlement traversées par une promotion un peu plus assumée de la médiation dans les relations de travail. C’est d’abord le cas de la médiation judiciaire où certains magistrats y accordent plus d’intérêt. À Nanterre, exception notable, la convocation à une audience de départage peut se doubler d’une convocation à une médiation. Depuis 2017, il existe des listes, devant être renouvelées tous les trois ans, pour référencer les médiateurs ayant prêté serment auprès de chaque cour d’appel. À la chambre sociale de la cour d’appel de Paris, il y a des permanences de médiateurs au début d’audiences dont les dossiers ont été sélectionnés en amont par le magistrat. Même si cela fonctionne pour 30 % de ces affaires (avec un accord comme issue pour deux tiers d’entre elles), la pratique a pu décontenancer certains avocats avant leur plaidoirie ! « L’injonction à la médiation est un débat qui questionne encore beaucoup de praticiens et de formateurs », souligne Julia Fabiani, avocate associée au cabinet Saint-Sernin qui vient de suivre une formation à la médiation à l’Institut de formation à la médiation et à la négociation (Ifomene). Auprès de ses clients, majoritairement cadres, en fonction de la qualité du dossier, la fiscalité peut freiner ce choix : « Les indemnités judiciaires sont exonérées fiscalement tandis que les indemnités transactionnelles sont fiscalisées. »

Enfin, dans les entreprises, la médiation conventionnelle a été autorisée du 6 août 2015 pour y régler des différends de travail par la voie amiable – et par ce biais, espérer réduire, entre autres, l’engorgement des juridictions civiles et le risque financier et d’image pour les employeurs. Dans son dernier bilan annuel, et une des rares sources statistiques qui existe sur le sujet, le centre de médiation et d’arbitrage de Paris, créé par la chambre de commerce et d’industrie, pointait que les médiations en droit social avaient augmenté de 13 points en dix ans. Une pratique qui progresse, certes, mais s’apparente encore à un travail de longue haleine, notamment auprès des organisations syndicales ou de l’encadrement. Résultat, dans un marché de la médiation qui, au-delà du complément d’activité, est en cours de professionnalisation et de structuration, « il y a encore très peu de médiateurs qui se spécialisent dans les litiges du travail par rapport à la médiation de la consommation, familiale, commerciale ou assurantielle », relève Didier Morfoisse, président de l’Association nationale des médiateurs, laquelle compte un petit millier de médiateurs indépendants.

Institutionnaliser la médiation

En général, même si beaucoup de dossiers ne sont pas toujours éligibles à la médiation, le taux de réussite des médiations intra-entreprise s’avère plus élevé que dans le cas d’une médiation judiciaire où le conflit a déjà dépassé les portes de l’entreprise. « Pour le médiateur, il doit y avoir une stratégie bien pensée en amont pour savoir comment poser un cadre. Souvent, le périmètre de discussion et de solutions dépasse bien plus ce qui aurait été traité par le juge comme des promotions, des affectations ou des reconversions », relève Isabelle Aoustin Hercé, médiatrice et formatrice qui vient de publier Stratégie de médiation pour les entreprises (éditions Hermann). Officiant tant en médiation judiciaire auprès des cours d’appel qu’en médiation conventionnelle pour les entreprises, elle fait ainsi partie des six médiateurs extérieurs qui ont été sélectionnés par Air France. Depuis le printemps 2018, pour réduire ses contentieux sociaux, la compagnie aérienne a mis en place un dispositif de médiation interne accessible aux salariés pour leurs litiges individuels avec leur employeur – et qui sont d’ordre juridique. En trois ans, pour une durée moyenne de deux mois, près de 150 médiations ont été entreprises et acceptées, dont une centaine ont abouti à une solution. « Avoir déjà saisi la justice prud’homale n’est pas un préalable à cette médiation. Et le fait de saisir ce dispositif n’empêche pas de saisir la justice », précise Marie-Lucie Dubois-Galliez, la responsable du contentieux social. Dans son bilan social, confidentiel, Air France estime avoir réduit par cinq son nombre d’affaires prud’homales, concernant majoritairement des pilotes et des cadres supérieurs. Face à cette démarche unilatérale qui fait l’objet d’une charte interne, plusieurs organisations syndicales restent encore méfiantes, faute d’avoir disposé d’un suivi. Certains élus ont pu assister des salariés dans des médiations et craignent une « minimisation des demandes et des transactions ».

L’économie de temps et d’argent est au fondement de la majorité des argumentaires pro-médiation qui sont reçus avec moins de scepticisme, dans l’espace public, que l’arbitrage par exemple. À tel point que l’avocat Hubert Flichy compte bien reprendre prochainement son « bâton de pèlerin » pour promouvoir l’activité de la vingtaine de médiateurs que compte le centre de médiation et d’arbitrage du travail qu’il a fondé. « Il faut aller convaincre des DRH qui interprètent parfois l’arrivée d’un médiateur comme un échec de leur part. » Comme lui, le professeur à l’école de droit de la Sorbonne, et également médiateur de la protection sociale, Xavier Lagarde a rencontré beaucoup de monde, dont la fédération du bâtiment et des assureurs, avant de lancer un centre d’expertise et de médiation des litiges individuels du travail. Mais faute de saisine et d’un lancement peu de temps avant la crise sanitaire, celui-ci est actuellement « en sommeil ». Pour lui, l’inclusion d’une clause médiation dans un contrat de travail, une convention collective ou un accord de branche pourrait être un fort incitatif. « Institutionnaliser la médiation l’aiderait à sortir du tropisme qui l’oppose à la bataille judiciaire », abonde Marina Cluzet, élève avocate et doctorante à l’université Paris-2 Panthéon Assas avec une thèse en cours sur le marché des modes alternatifs de résolution des conflits. Sans la rendre obligatoire, un groupe de travail, à l’initiative du garde des Sceaux, préconise déjà d’accroître la formation de magistrats sur le sujet et qu’un référent médiation soit nommé dans chaque juridiction.

Auteur

  • Judith Chetrit