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Stellantis, une fusion à forts enjeux sociaux

Décodages | Emploi | publié le : 01.06.2021 | Lys Zohin

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Stellantis, une fusion à forts enjeux sociaux

Crédit photo Lys Zohin

Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a promis que le mariage franco-italo-américain ne se solderait pas par des fermetures d’usines. Les syndicats sont conscients des adaptations nécessaires face à la révolution de l’électrique. Mais c’est surtout l’obsession de la performance qui les inquiète et qui affecte le moral des troupes.

Encore, au moins, six mois d’attente : Carlos Tavares, devenu directeur général de Stellantis, né le 16 janvier dernier du mariage franco-italo-américain entre Groupe PSA et Fiat Chrysler Automobiles (FCA) ne devrait présenter son plan stratégique qu’à la fin 2021 ou au tout début 2022. « Le connaissant, il le fera sans doute dès septembre : il aime à être en avance », relève Olivier Lefebvre, délégué syndical central Force Ouvrière, premier syndicat au sein de PSA. Ce plan très attendu détaillera la vision, déjà partiellement dévoilée par Carlos Tavares. « Nous comprenons que les équipes soient en attente de réponses immédiates. Mais nous mettons en place, étape par étape, l’organisation d’une entreprise qui vend des millions de voitures, composée de 300 000 personnes de 150 nationalités, et sa feuille de route sur le long terme, afin de répondre aux enjeux de la mobilité de demain », souligne la direction des ressources humaines.

Le nouveau patron de Stellantis mise sur l’avènement d’un grand marché mondial de la voiture électrique, imposé par les nouvelles normes écologiques, qu’il entend bien approvisionner. En matière d’achats ou de R&D, il vise logiquement des synergies avec la fusion. Il a promis aux actionnaires qu’elle pourrait permettre d’économiser à terme jusqu’à cinq milliards d’euros par an. Mais surtout, à défaut d’être le premier constructeur mondial (Stellantis n’est que le quatrième), Carlos Tavares veut diriger l’un des plus performants. « Il a dit : « chez PSA, nous sommes devenus des psychopathes de la performance » ! [dans une interview au « Monde » du 28 septembre 2018, NDLR] », s’exclame Franck Don, délégué syndical central CFTC chez PSA. Un discours qu’il a infléchi depuis. Mais cette culture de la performance est bien ancrée. C’est elle qui a permis de relancer PSA, au point que Carlos Tavares a pu aborder la fusion avec FCA en position de force.

Mais « la performance à tous crins a ses limites », estime Franck Don. Selon les syndicats, elle fait même des ravages. Alors que la production doit s’adapter à la crise sanitaire et appliquer un protocole de mesures renforcées depuis l’an dernier et, ces derniers temps, doit affronter une pénurie de semi-conducteurs, ces éléments ne seraient pas pris en compte par un management lui-même sous pression, qui en demande toujours plus aux équipes. « La coupe est pleine, nous n’avons cessé d’alerter la direction », précise Christine Virassamy, déléguée syndicale centrale CFDT. Car l’adhésion des salariés à cette culture de la performance serait, selon les syndicats, de moins en moins forte, y compris au sein des équipes managériales.

Les orgaisations syndicales ont interpellé Carlos Tavares sur ce sujet, le 8 mars dernier, lors de leur première rencontre avec le directeur général depuis la fusion. Une réunion au cours de laquelle la direction a rappelé que « c’est la performance qui protège l’entreprise, et par là même, les emplois ». Olivier Lefebvre (Force Ouvrière) a fait valoir que les salariés, « gardiens de la bonne performance », devaient eux aussi être protégés. « Le salarié est et sera toujours au cœur de ce groupe que nous construisons, répond la DRH. Son épanouissement et sa motivation sont des leviers de réussite durable de notre entreprise. »

Mais les syndicats n’en sont visiblement pas convaincus. « Dans le cadre du briefing de cinq minutes quotidien dans les unités de production, nous avons proposé de garder deux minutes et de les accumuler chaque mois pour suggérer des améliorations ergonomiques ou autres. La direction n’a pas repris la balle au bond », regrette Christine Virassamy. Parmi les 32 mesures de l’accord « bien-être et motivation », signé en janvier 2020 entre PSA et la majorité des syndicats, la formation des managers figure en bonne place. Mais en raison de l’épidémie, l’accord, qui vise à améliorer le quotidien au travail des 47 000 salariés du groupe en France, a du mal à être déployé. Xavier Chéreau, le DRH Monde, qui accompagnait Carlos Tavares le 8 mars, a promis de veiller à ce que le dossier avance.

Le nouveau directeur général de Stellantis, qui a conclu avec les syndicats de PSA plusieurs accords de performance collective, instaurant de la flexibilité sur le temps de travail et prévoyant un gel des salaires, en contrepartie de garanties sur l’emploi, a montré qu’il était sensible au dialogue social. Mais la « méthode Tavares » axée sur la performance opérationnelle, est au cœur de la fusion avec FCA, selon certains observateurs… « Quelles que soient les situations, Stellantis sera toujours une entreprise socialement responsable et dont le principe de coconstruction avec ses partenaires sociaux constitue un élément clé pour préparer l’avenir », rappelle la DRH.

Révolution technologique.

S’ils attendent la vision du groupe à l’horizon 2030 pour en avoir le cœur net, les syndicats, dans tous les pays où opère la nouvelle organisation, sont bien conscients qu’il existe des doublons, aussi bien en matière de production que de R&D (en Europe mais aussi en Chine et en Inde), avec la tentation d’une délocalisation accrue vers ces deux pays. Ils savent bien, aussi, que tous les sites de production ne tournent pas à plein régime. En outre, certaines unités devront se réinventer avec l’avènement de la voiture électrique.

« La fusion n’est pas la plus structurante pour l’emploi, c’est la révolution technologique qui l’est », relève Olivier Lefebvre, de FO. « Les impacts des nouvelles technologies ne se résument pas à une suppression de postes de travail, souligne Juan Sebastian Carbonell, spécialiste de l’automobile à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Les technologies ont de multiples effets sur les conditions de travail, notamment sur la qualification du travail, l’intensité du travail, la fluidité des process, l’autonomie des salariés… » Mais les calculs sont vite faits : s’il faut dix ouvriers pour produire un moteur diesel, voué à disparaître, il n’en faut que six pour un moteur à essence et deux ou trois pour un moteur électrique. Autant dire qu’il faudra accompagner les salariés par la formation si la France veut jouer un rôle clé en Europe dans le véhicule électrique et assurer son indépendance en matière de batteries.

Le premier test, dans ce domaine, pourrait venir d’une unité de production de moteurs, à Douvrin (Nord). Les syndicats ont appris – « avec stupeur, compte tenu des engagements pris », selon Christine Virassamy – qu’en attendant le moteur électrique, la production, à partir de 2023, d’une nouvelle génération de moteurs à essence, plus respectueuse de l’environnement, sera délocalisée sur le site Opel de Szentgotthárd, en Hongrie. Stellantis a, cependant, annoncé en avril dernier affecter au site de Douvrin une autre génération de moteur essence trois cylindres. Interrogé par les syndicats le 8 mars, Carlos Tavares avait également annoncé que l’usine du Nord accueillerait de nouvelles activités de la coentreprise de fabrication de batteries électriques Automotive Cells Company, créée entre PSA/Opel et Total/Saft en septembre dernier. Elle devrait être opérationnelle dès 2023. Les négociations, sur le site de Douvrin, qui compte quelque 1500 salariés, devraient débuter dans les mois qui viennent, car il faut, selon les syndicats, agir très en amont pour accompagner les salariés dans leur reconversion.

D’autres tests interviendront aussi en Italie. « Les Français sont inquiets du fait que FCA bénéficie d’un prêt garanti par l’État italien, ce qui pourrait impliquer un protectionnisme de sa part et rendre difficile la rationalisation des usines sous-utilisées sur place. Quant aux Italiens, ils se posent la même question, du fait que Bpifrance détient une participation dans le Groupe PSA », souligne Olivier Lefebvre. « Comme le président du conseil des ministres est Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, il n’y a aucune chance de voir du protectionnisme du côté italien », assure toutefois Giuliano Noci, professeur de stratégie à Polytechnique Milan. Le futur plan stratégique devra en tout cas équilibrer les intérêts français et italiens, sans oublier le reste de l’Europe et les États-Unis, ni les ambitions en Chine.

Fiat en sous-régime.

Carlos Tavares a déjà eu à relever ce genre de défi, entre la France et l’Allemagne, après le rachat d’Opel en mars 2017. « Ce rachat s’est traduit par un rééquilibrage en R&D, où il y avait des doublons, rappelle Juan Sebastian Carbonell, à l’Ires. Même chose au niveau des sites d’assemblage, où il fallait répartir les volumes. Certains estiment qu’il y a eu la suppression de 6 000 emplois chez Opel depuis le rachat. C’est pour cette raison que les organisations syndicales étaient partagées sur la fusion PSA-FCA, FO ayant donné un avis favorable, la CGT, un avis défavorable et la CFDT, un avis favorable, mais avec des réserves. »

Reste que les ventes d’Alfa Romeo, déjà en berne ces dernières années, se sont effondrées en 2020, et que chez Fiat, l’un des principaux employeurs privés italiens, les unités de production, d’une capacité de 1,5 million de véhicules, fonctionnent en sous-régime depuis de longs mois, en raison d’un recul de la demande, intervenu avant la crise sanitaire. Selon Carlos Tavares, les coûts de production y sont jusqu’à quatre fois plus élevés qu’en France ou en Espagne. « Si les usines sont moins chargées, il est normal qu’elles soient moins performantes », s’exclame Franck Don. Pour le directeur général de Stellantis, cette situation n’est pas due aux coûts de main-d’oeuvre. « Les syndicats sont conscients du fait que la fusion était obligatoire, précise le professeur Noci. Elle permettra à l’ensemble d’être plus compétitif au niveau mondial et les Italiens, spécialistes de voitures haut de gamme, pourraient profiter de la demande asiatique, très forte, si Stellantis accroît ses positions en Asie. » Ce qui augurerait d’un taux de production plus élevé, et bien sûr, d’un maintien de l’emploi.

Bras de fer britannique.

Reste enfin les autres unités de production européennes et nord-américaines. Au Royaume-Uni, à Ellesmere Port, près de Liverpool, c’est le sort de l’usine Vauxhall, rachetée en 2017 à General Motors, qui est en jeu, avec, à la clé, 1 000 emplois directs et 7 000 dans toute la chaîne d’approvisionnement, selon le syndicat Unite. Alors que le gouvernement britannique a décidé d’avancer à 2030 l’interdiction de la vente de nouveaux véhicules à moteur thermique, Stellantis veut bien envisager, au lieu d’y assembler, comme aujourd’hui, l’Opel Astra, d’y produire des véhicules électriques, mais à une seule condition : que les autorités investissent dans le projet. Sans cela, l’usine fermera. Les discussions sont en cours et le ministre de l’Industrie, Kwasi Kwarteng, qui a rencontré les représentants de Stellantis à plusieurs reprises, assure que Londres est « à 100 % engagé dans le maintien des emplois » sur le site…

Pendant ce temps, les ouvriers américains font le dos rond. Ils savent qu’ils ne sont pas en première ligne. De fait, si les unités de production de FCA en Europe fonctionnent, selon les experts de Detroit, à 55 % de leurs capacités (contre 68 % pour PSA), en Amérique du Nord, ce taux, pour FCA, est de 75 %. Mais ces statistiques ne dissipent pas leurs craintes face à un nouveau management étranger avide de performance.

Auteur

  • Lys Zohin