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Quand Amazon arrive en ville

Décodages | Recrutement | publié le : 01.06.2021 | Pascale Braun

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Quand Amazon arrive en ville

Crédit photo Pascale Braun

Après cinq ans de rumeurs et de spéculations, le groupe américain Amazon a dévoilé le projet d’implantation de son huitième centre logistique français, près de Metz. Le géant de l’e-commerce y créera 1 000 emplois au lieu des 2 000 escomptés, ce qui laisse au territoire un goût amer. Reportage.

L’arrivée d’Amazon dans le village d’Augny, près de Metz, fut d’abord une rumeur. Puis, à compter de 2017, un secret de Polichinelle que les élus de Metz Métropole ont fini par confirmer du bout des lèvres. Le « projet Delta » porté par la société foncière Argan a, peu à peu, pris corps avec la construction, sur une bande excentrée de l’ancienne base aérienne 128, d’un bâtiment de 185 000 m2 sur quatre étages. Ce n’est qu’en mai, lors du lancement de la campagne de recrutement de 1 000 CDI sur trois ans, qu’Amazon a officialisé l’existence, au sud de Metz, de son huitième centre logistique français. « Nous sommes toujours locataires de nos entrepôts et annonçons notre présence assez tard, ce qui peut alimenter les spéculations », reconnaît Ronan Bolé, président d’Amazon France Logistique.

L’opacité du projet a suscité une opposition, qui a saisi la commission d’accès aux documents administratifs pour obtenir communication de la clause de confidentialité signée par le vice-président de Metz Métropole en décembre 2016. Ils n’ont obtenu qu’une copie floutée conclue avec une SARL de droit luxembourgeois. Actée en décembre 2018, la délibération communautaire approuvant le projet Delta s’appuyait sur une étude évoquant 2 000 emplois. Or, la campagne de recrutement porte sur un millier de postes, avec, au mieux une centaine de d’embauches entre septembre et décembre 2021. « Les élus n’ont pas eu l’intention de mentir, et Amazon a laissé courir des bruits et des chiffres. Mais l’annonce de 1 000 emplois d’entrée de jeu n’aurait rien changé », estime un proche de l’ancienne équipe. Amazon présente Metz comme le « site frère » du « Robotics » ouvert en 2019 à Bretigny-sur-Orge (Essonne). Or, ce site francilien, qui annonçait un millier de emplois lors de son ouverture, en compte aujourd’hui le double…

« L’arrivée d’Amazon constitue une immense joie pour notre territoire, qui a souffert des restructurations administratives et militaires. Elle nous aide à relever le double défi de la reconversion de la base militaire et de la reconstitution d’emploi, tout en apportant du pouvoir d’achat », se réjouit François Grosdidier, élu en juin 2020 maire de Metz (LR) et président de Metz Métropole. En 2008, la fermeture de la base aérienne 128, a été vécue comme une grave injustice. Dans le territoire messin qui ne s’est jamais remis de la quasi-disparition de la sidérurgie, Amazon constitue la plus grosse création nette d’emplois depuis l’arrivée de PSA à Borny, au nord de Metz, dans les années 1970. Mais la manne d’emploi apportée par Amazon ne suscite, paradoxalement, guère d’euphorie. « Lors des échanges que nous avons eus avec des personnes en âge de travailler ou ayant des enfants en recherche d’emploi, personne ne considérait qu’Amazon correspondait à ce qu’elles souhaitent, ni pour le territoire, ni pour la planète », assure Jacques Maréchal, secrétaire départemental du Parti communiste et membre du collectif Stop Amazon Augny. La contestation a repris les griefs écologiques, fiscaux et sociaux maintes fois avancés contre Amazon. Mais les manifestations, compliquées par la crise sanitaire, ont rarement réuni plus d’une cinquantaine de personnes.

Lors d’une conférence de presse tenue à Metz début mai, Stefano Perego, vice-président Europe d’Amazon, a balayé les questions sur la situation fiscale de son groupe (« Nous avons investi 78 milliards d’euros en dix ans en Europe et nos 130 000 CDI y payent des impôts »), et rappelé le « Climate Pledge » qui engage le logisticien à atteindre la neutralité carbone dès 2040. À Metz, l’argument porte peu. Le bâtiment logistique répond certes aux normes environnementales Breaam et l’utilisation d’une friche militaire a limité l’artificialisation de terres, mais les expéditions et livraisons des 30 millions d’articles en stock se feront exclusivement par camion, à raison d’environ 500 passages par jour. Amazon a choisi Metz, non pas pour la proximité de la vaste plateforme de fret ferroviaire de Metz-Sablon ou du port fluvial de la Moselle, mais de la position du plateau de Frescaty à la jonction des autoroutes A4 et A31.

La desserte du site par le transport en site propre Mettis a été envisagée, mais la municipalité lui préfère l’organisation de navettes mieux adaptées aux horaires d’Amazon et des autres entreprises attendues sur la zone. L’entrepôt fonctionnera sur trois postes sans rotation (matin et après-midi et, sur la base du volontariat, week-ends et week-end nuit). Au long des 25 kilomètres de tapis roulants, les tâches de réception des colis, de picking et d’emballage seront indéniablement répétitives. Les chaînes sont conçues pour limiter les déplacements et ports de charge, et les salariés seront invités à changer de poste pour rompre la monotonie. Amazon ne lésine pas sur les promesses de formation et d’évolution de carrières pour rendre ses postes attractifs tant vis-à-vis des cadres que pour les non-diplômés (voir encadrés).

Les collectivités et les pouvoirs publics, qui ont constitué un comité de pilotage pour faciliter les recrutements, voient dans l’arrivée du logisticien une opportunité pour les jeunes des quartiers prioritaires et les chômeurs longue durée, qui représentent 50 % des demandeurs d’emploi du territoire. La contestation du modèle social d’Amazon ne s’est pas éteinte pour autant. Militants écologistes et anticapitalistes pointent, les uns, une invitation à la surconsommation, les autres, un risque d’accroître l’économie informelle de livreurs auto-entrepreneurs surexploités et sous-payés. Fatalistes, les commerçants messins considèrent qu’une implantation du leader mondial de l’e-commerce dans leur ville n’impactera en rien leur quotidien.

Le sentiment prédominant est, finalement, celui d’un moindre mal : d’autres sites du nord-lorrain, du Luxembourg ou d’Allemagne étaient en lice pour accueillir Amazon. Quitte à en subir les inconvénients, Metz bénéficiera au moins des taxes fiscales et des emplois. « En fermant la porte à Amazon, Metz aurait perdu sur les deux tableaux. La concurrence entre bassins de vie fait des groupes mondiaux les maîtres du jeu et rend de plus en plus difficile le choix d’écosystème vertueux », note Xavier Bouvet, chef de file de l’opposition messine. En 2015, Metz Métropole avait lancé un concours d’architecture et d’urbanisme pour redessiner un avenir au plateau Frescaty. Les candidats avaient unanimement souligné les atouts naturels de ces 400 hectares de champs et de forêts contigus à la ville. Le projet retenu laissait une large place à l’agriculture périurbaine, au recyclage et aux circuits courts. Le leader mondial de la logistique aura, pour le moins, écorné cette utopie.

Auteur

  • Pascale Braun