Le numéro 1 du premier syndicat français est à l’origine du « pacte du pouvoir de vivre », une série de mesures pour faire face à l’urgence sociale et climatique. Pour lui, la question environnementale doit devenir un enjeu central du syndicalisme.
Laurent Berger : Le pacte du pouvoir de vivre a été créé en pleine crise des « gilets jaunes », à un moment où la démocratie était gravement mise en danger, notamment parce que la société civile n’a pas été associée, malgré les ouvertures que nous avons faites. En janvier 2019, avec quelques organisations dont nous sommes proches, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire. Nous avions la volonté de faire des propositions et de changer le cours des choses. Nous sommes ressortis avec 66 propositions qui répondaient, de notre point de vue, aux enjeux de la période et qui obéissaient, aussi, à une méthode démocratique. C’est donc un travail au long cours, ce n’est pas de la communication. Nous sommes désormais 65 organisations, des associations d’éducation populaire, de lutte contre la pauvreté, environnementales, des syndicats, des mutuelles… Une trentaine de collectifs locaux se sont créés. Nous sommes en train de réaliser un gros travail de fond pour sortir des propositions en septembre sur la ligne d’une transition juste dans un cadre démocratique et pour s’inscrire dans le débat public, dans la perspective des échéances présidentielles.
L. B. : En janvier 2019, il y avait une remise en cause de la société civile. À la CFDT, nous avons pris conscience qu’il fallait nouer de nouvelles alliances, avec d’autres composantes organisées. Mais l’environnement n’est pas un sujet nouveau pour la CFDT qui s’y intéresse depuis les années soixante-dix. Ce qui est nouveau dans cette démarche, c’est cette alliance construite avec d’autres. Ces nouvelles alliances, ces nouvelles façons de travailler sont une expérience nouvelle pour une organisation syndicale, qui nous enrichit beaucoup. Le syndicalisme, je l’ai dit, doit se réinventer dans ses propositions et dans sa manière de peser dans le rapport de force. Le pacte du pouvoir de vivre est une réalité, qui nous fait progresser.
L. B. : Aujourd’hui, il y a une sur concentration du débat sur la question sanitaire. Les périodes de crise ont ceci de particulier qu’elles chassent les enjeux de long terme – or la transition écologique est trop vue comme un enjeu de moyen-long terme – et de rendre invisibles les citoyens les plus fragiles, qui constituent deux axes forts du pacte du pouvoir de vivre. La crise a rendu les choses plus complexes mais elle a rendu d’autant plus nécessaire de faire ce travail sur la question de la transition climatique, sur la paupérisation d’une partie de la société, la montée des inégalités et sur le gros risque démocratique.
L. B. : Les militants de la CFDT ont conscience qu’il faut défendre l’emploi, l’outil industriel, mais qu’il faut aussi prendre des virages. Le slogan du syndicalisme international est « il n’y aura pas d’empois sur une planète morte ». L’objectif, maintenant, est de passer aux exercices pratiques. Dans l’automobile, le moteur électrique a besoin de moins d’emplois que le moteur thermique mais les constructeurs continuent de faire fabriquer, à l’extérieur de l’Europe, à moindre coût de main-d’œuvre. Le gain écologique de la voiture électrique ne doit pas être amoindri par le coût de véhicules que l’on fait fabriquer dans des pays low cost et que l’on rapatrie en Europe à un grand coût carbone. À la CFDT, le pacte du pouvoir de vivre est aujourd’hui un élément de fierté, de mobilisation, de référence, mais pas de débat conflictuel. Nous avons lancé ce pacte six mois après un congrès qui n’avait pas été de tout repos. Au moment du bilan, lors du prochain congrès, en 2022, je pense qu’il fera partie de l’actif du bilan de la CFDT.
L. B. : La loi va dans le bon sens, mais elle ne va pas assez loin. Sur l’association des représentants des salariés à la transition écologique, cela ne va pas assez loin parce que la négociation devrait être à l’ordre du jour partout, dans toute la société, et notamment dans l’entreprise. Nous allons être confrontés à de profondes transformations qui ne passeront socialement, démocratiquement et même sans doute économiquement que si elles sont négociées. Or la loi ne prévoit qu’une information du CSE. Il faut en faire un objet de négociation, avec un droit à l’expertise. Plus les représentants du personnel seront informés, conscients des enjeux, associés à la négociation, plus on les responsabilisera. Sinon, il y aura une réaction. Quand on ne peut pas peser sur quelque chose qui dérange et bouscule, ça bloque. Dans les entreprises, la transition écologique ne se fera pas sans les travailleurs.
L. B. : Dans l’agenda social présenté avec le Medef, parmi les huit thèmes, il y a la transition écologique et climatique. L’idée est de fournir un guide de bonnes pratiques, des repères, plutôt que d’ouvrir une négociation normative. Mais face aux mutations en cours, les entreprises, encore une fois, doivent comprendre que cela ne se fera pas de façon unilatérale. Sur ces questions, il faut développer le dialogue social, or les ordonnances de 2017 ont dégradé la situation. Elles ont fait beaucoup de mal en réduisant les moyens des instances représentatives du personnel. Les entreprises ont appliqué la loi sans plus, sans chercher à innover, sans faire preuve de créativité et d’innovation. Le monde patronal pense que si l’on accroît le pouvoir de négociation des représentants des salariés, les dirigeants vont voir rogner leur pouvoir de décision. Je souhaite qu’on instaure, dans l’entreprise, un droit de négociation sur la transition écologique, car il vaut mieux traiter le sujet en amont plutôt que gérer les conséquences, ce qui suscitera de la conflictualité.
L. B. : Ce qui intéresse les travailleurs, c’est bien sûr l’emploi, les conditions de travail, le dialogue social dans l’entreprise. Mais la transition écologique, le réchauffement climatique, les inégalités de revenus, la répartition des richesses, la question démocratique seront des thèmes importants. Et je suis convaincu que l’on peut éclairer utilement le débat. Nous n’aurons pas de candidat, contrairement à l’intention qui nous est parfois prêtée. Mais nous aurons des idées, à la disposition de ceux qui voudront bien les entendre. Notre pays est dans un état démocratique fragile. Partout, les choses peuvent se tendre, donc nous avons besoin de débattre sereinement sur le fond des sujets.
L. B. : Non, cela traduit surtout une méconnaissance de l’action syndicale et notre incapacité à dire et à montrer ce que l’on fait. Il ne suffit pas de s’appeler écosyndicat pour parler d’écologie et il ne suffit pas d’être un syndicat pour être présents auprès des travailleurs. À la CFDT, certaines fédérations sont en train, par exemple, de développer des « sentinelles vertes », des gens qui sont en train d’irriguer partout pour que la question environnementale devienne un enjeu central du syndicalisme. Longtemps, l’environnement a été une question un peu à côté de notre cœur de métier. Maintenant, c’est pleinement intégré. Nous ne traitons pas les questions économiques, industrielles, sociales, sans mettre en jeu la question environnementale. Nous formons nos militants à ces enjeux-là. Le syndicalisme est déjà trop éparpillé, il n’a pas besoin que se créent des micro-syndicats dans tous les sens, mais plutôt que les organisations se regroupent pour créer quelques pôles syndicaux. Le syndicalisme ne souffre pas de ne pas traiter l’écologie. Il souffre de ne pas rendre le sujet assez visible. Il ne faut pas laisser croire que la CFDT est un affreux syndicat productiviste, ce qu’elle n’a jamais été. À nous de montrer ce que l’on est en train de faire.