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Réduction ou augmentation du temps de travail, quels enjeux pour la sortie de crise ?

À la une | publié le : 01.06.2021 | Laurence Estival

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Réduction ou augmentation du temps de travail, quels enjeux pour la sortie de crise ?

Crédit photo Laurence Estival

Réfléchir à la durée du temps de travail serait-il une piste féconde de sortie de crise ? S’ils s’accordent autour de cette idée, Bertrand Martinot, auteur d’un rapport sur le sujet pour l’Institut Montaigne et Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, ne font pas pour autant les mêmes propositions…

Travailler plus ou travailler moins ? Le débat est relancé aujourd’hui, dans ce contexte de sortie de crise. Quels sont pour vous les enjeux ?

Bertrand Martinot : Au niveau macro-économique, la France fait partie des pays où l’on travaille le moins, si on prend en compte l’ensemble des personnes en âge de travailler, y compris les demandeurs d’emploi, sur la durée de leur vie professionnelle, ont montré différents rapports. Cela signifie qu’il y a globalement un problème de durée du temps de travail qui se porte sur le nombre d’heures par semaine, de jours par an, mais aussi sur l’âge d’entrée sur le marché du travail comme de départ à la retraite ou le taux de chômage… Quand je parle de problème, ce n’est pas pour moi un jugement moral mais une constatation : nous créons moins de richesse par actif que nos principaux concurrents et cela risque de devenir un handicap au moment de la reprise.

Catherine Perret : Nous sommes d’accord, au moins, pour reconnaître que la question du travail est centrale. Mais nous n’avons pas la même grille d’analyse : la CGT demande, d’ailleurs, depuis plusieurs années, un débat national autour de l’avenir du travail profondément bouleversé avec l’arrivée de nouvelles formes d’emploi et de nouvelles pratiques professionnelles. Il est temps de s’interroger sur sa réduction. Celle-ci est inscrite dans le sens de l’histoire et du progrès social. Rappelons également que nous sommes face à un chômage de masse (3,6 millions de chômeurs en catégorie A), à un temps partiel imposé énorme, en particulier pour les femmes (10 % du salariat féminin) et, parallèlement, un surtravail tout aussi massif avec un volume conséquent d’heures supplémentaires réalisé chaque année (800 millions d’heures supplémentaires, soit l’équivalent de 500 000 emplois à temps plein). De telles évolutions concourent à une fracturation toujours plus grande de la société et du monde du travail, avec une généralisation de l’insécurité permanente, la dégradation des conditions de travail, des salaires, des traitements, des pensions de retraite, qui ne permettent pas aux personnes de vivre décemment.

Entre créer des richesses pour créer des emplois et réfléchir au partage du travail pour insérer davantage de personnes, les positions semblent inconciliables… Comment trancher ?

Catherine Perret : En sortant des postures et en regardant ce que nous dit l’Insee : il n’y a pas de contradiction entre réduction de la durée du travail et augmentation de la productivité. Selon l’Insee, les 35 heures sont à l’origine de gains de productivité de 4 à 5 % pour les entreprises. Suite aux 35 heures, la France se place au deuxième rang mondial pour la productivité horaire du travail (devant les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni, l’Italie…) et à 20 % au-dessus de la moyenne européenne. Donc rien n’empêche la France d’être compétitive. Prenons un exemple, Yprema, entreprise de recyclage est passée en 1997 aux 35 heures et à la semaine de 4 jours avec maintien de salaire. Cette évolution a eu des effets positifs sur la productivité et sur la pénibilité pour les équipes de production. L’entreprise envisage de passer à 32 voire 30 heures, toujours dans l’objectif d’améliorer l’efficacité du travail. Pour la CGT, le passage à la semaine des 32 heures doit être une nouvelle étape.

Bertrand Martinot : Je ne fais pas des 35 heures un dogme ! Et les entreprises n’ont pas réellement utilisé les différents assouplissements qui ont eu lieu au cours des ans. Je ne pense pas d’ailleurs que c’est par la loi que la question de la durée du travail doit se régler mais en fonction des réalités de l’entreprise. La situation n’est pas la même selon les secteurs, les régions… Il faut de l’adaptation. Et encore plus aujourd’hui où toutes les entreprises ne sont pas touchées de la même manière par la crise : certaines sont en forte croissance, d’autres en grande difficulté. Le partage du travail ne va pas réduire ces disparités car les salariés ne sont pas interchangeables. Former de nouvelles compétences prend du temps. Partager le travail suppose aussi de partager la rémunération. Les 35 heures qui ont eu lieu à salaire constant sont d’ailleurs largement responsables de la modération salariale, ce qui semble aujourd’hui être un problème pour nombre de salariés. Les Français ne peuvent pas travailler moins que les autres et avoir les mêmes rémunérations que les Suisses, qui sont, selon l’OCDE, le peuple qui travaille le plus…

Les débats qui ressurgissent autour des 35 heures ne sont-ils pas en train de prendre un coup de vieux avec le développement du télétravail ? Certaines études montrant même que le télétravail augmente la productivité, la question sur la durée n’est-elle pas en train de se déplacer sur le terrain de l’intensité du travail ?

Bertrand Martinot : Je ne suis pas sûr que le télétravail augmente l’intensité du travail car il n’y aurait plus de temps morts. En entreprise, tout ce qui se passe autour de la machine café, ce n’est pas que du temps mort… Nous manquons en réalité de recul et aujourd’hui les études disent tout et son contraire.

Catherine Perret : Le télétravail s’est bien entendu intensifié mais les problématiques restent les mêmes. Pour la CGT, la question du temps de travail se pose depuis le début et c’est pourquoi nous avons fait campagne pour un véritable droit à la déconnexion depuis 2015, ce qui a contribué à de premières avancées pour les télétravailleurs. Cette définition réglementaire du temps de travail est demandée par deux tiers des salariés. Face à cette intrusion intempestive dans la sphère privée, à l’heure du « tout connecté », il y a nécessité d’encadrer l’utilisation professionnelle des technologies de l’information et de la communication.

Mais ce droit est-il effectif ?

Catherine Perret : Pour assurer un droit effectif à la déconnexion, il est tout à fait possible de recourir à diverses solutions (mise en vacances des boîtes mail, reconnaissance du travail à domicile, blocage des serveurs le soir et les week-ends…) Plusieurs groupes internationaux l’ont déjà fait : Le constructeur automobile allemand Volkswagen de 18 h 15 à 7 heures et le week-end pour 1 000 salariés (hors managers) en Allemagne en 2011. Aujourd’hui, 3 000 salariés ne peuvent plus recevoir de mails professionnels sur leur téléphone en dehors des heures de bureau. En France, le groupe bancaire BPCE envisage une mesure identique.

Redéfinir la durée légale nécessite-t-il de redéfinir les droits qui lui sont attachés ?

Bertrand Martinot : Je pense que plus que la durée, c’est la manière dont on calcule ses droits qui compte. On le voit pour le calcul des pensions de retraite. Intellectuellement, le système à points semble plus juste, car le montant de sa pension dépendra de ce qui a été réellement gagné. Mais à court terme, ce système crée des inégalités… Et pour résorber ces inégalités, il faut du temps et de l’argent. Je ne pense pas que ce sujet soit de toutes les façons aujourd’hui d’actualité. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’il ne va pas falloir travailler plus longtemps pour encore une fois rattraper notre retard par rapport à nos concurrents.

Catherine Perret : Pour nous, il est aussi urgent de s’interroger sur la finalité du travail. Dès lors qu’il est à l’origine de la production des richesses et de la valeur ajoutée produite, le temps passé au travail aurait pour le patronat vocation à être sans cesse augmenté par différents leviers. Notre projet de réduction du temps de travail est lui un choix de société qui se veut respectueux des travailleurs mais aussi du développement harmonieux des richesses de la planète, car pour répondre au défi climatique, nous allons collectivement devoir travailler moins…

Auteur

  • Laurence Estival