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Idées

Une autre histoire du temps de travail

Idées | Livres | publié le : 01.05.2021 | Lydie Colders

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Une autre histoire du temps de travail

Crédit photo Lydie Colders

Et si au fil des siècles, la baisse continue du temps de travail n’avait été « qu’un trompe-l’œil » ? Dans « Les rythmes du labeur », deux historiens montrent, loin des chiffres, que la flexibilité a toujours existé, loin de la pensée industrielle. Une enquête rare, éloignée des idées reçues.

Au cœur des luttes sociales, le temps de travail a fait l’objet de nombreuses études, en particulier depuis la révolution industrielle. Mais il faut se méfier des « illusions statistiques » attestant que la durée a baissé de façon « linéaire » au fil des siècles. La réalité « des labeurs » a été beaucoup plus complexe que cela, selon Corine Maitte et Didier Terrier, historiens du travail. Pour le prouver, leur enquête minutieuse brosse à rebours six siècles d’histoire du temps de travail en Europe, du Moyen Âge à la fin xixe siècle, en France, en Italie ou en Angleterre. Avec des témoignages rares, et des sources « lacunaires » admettent-ils. Allant des travailleurs payés par les Médicis aux livrets des manufactures ou des ouvriers miniers au xixe siècle, ils nuancent ce récit. Ainsi, si la journée était proche de 14 heures par jour au Moyen Âge, « le temps de travail effectif » aurait toujours été variable. Déjà à cette époque, « il oscillerait entre huit et onze heures à Bruxelles ». À la fin du xviiie siècle, « les employés du bâtiment parisien œuvreraient entre huit à dix heures par jour », notent-ils. L’histoire n’aurait donc pas été dictée uniquement « par la lumière du jour », le temps des horloges, ni l’électricité. D’ailleurs, les auteurs notent que sur six siècles, le travail nocturne a toujours existé et n’a pas « explosé » avec la révolution industrielle.

Recherche « d’optimisation » précoce

Idem, ils montrent que la recherche de productivité des travailleurs aurait été pensée bien avant Taylor, en particulier au xviie, évoquant les « calculs sur le rendement » de Vauban ou ceux des manufactures drapières. Au xixe siècle, les « débats » autour des premières lois encadrant le temps de travail « seront intenses », et les horaires légaux largement contournés par les patrons, expliquent-ils, exemples à l’appui. Plus classique, les historiens pointent que la réduction lente vers la journée de huit heures en 1919 (revendiqué par les socialistes européens) et le repos hebdomadaire de la loi de 1906 le dimanche en France aurait surtout été motivé, du côté patronal, par la volonté de préserver « la force » de la main-d’œuvre, et les grandes luttes ouvrières en Angleterre ou en France. Mais en dehors de l’usine, le temps et les rythmes de travail « resteront chaotiques », « les variations saisonnières fréquentes », y compris dans des entreprises de l’industrie et le commerce au gré des carnets de commandes, relèvent-ils, citant des cas dans l’industrie lyonnaise. S’il faudra attendre le xxe siècle pour « que l’on assiste à la réduction significative et durable des horaires de travail », rien ne dit qu’elle ait été aussi générale, et surtout qu’elle n’ait pas « densifié les heures de labeur ». Critique sur le capitalisme, ce livre fascinant résonne avec l’actualité, les historiens s’inquiétant du retour au « mot d’ordre » de la flexibilité.

« Les rythmes du labeur », Corine Maitte et Didier Terrier, Ed. La dispute, 420 pages, 28 euros.

Auteur

  • Lydie Colders