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Quelle inclusion pour les handicaps invisibles et les situations personnelles handicapantes dans l’entreprise ?

Idées | Recherche | publié le : 01.05.2021 |

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Quelle inclusion pour les handicaps invisibles et les situations personnelles handicapantes dans l’entreprise ?

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Représentant plus de 20 % de la société française, les personnes en situation de handicap font encore face à de nombreuses difficultés au sein des entreprises. Parmi elles, 80 % sont concernées par un handicap invisible, mais toutes ne sollicitent pas la reconnaissance juridique. Parallèlement, de nombreux salariés rencontrent des situations personnelles difficiles, d’ordre familial ou personnel qui ne sont pas reconnues en tant que telles par le droit. Or la situation des aidants touche et touchera à l’avenir un grand nombre de personnes dans un contexte de population vieillissante. Comment gérer ces situations en entreprise et notamment le passage de l’invisible au visible ?

1. La pertinence d’aller au-delà du HI avec le concept de SPH

Alors que le handicap est aujourd’hui encore très stigmatisé, cette notion a connu maintes évolutions au cours du temps. Si la « situation de handicap » est évoquée aujourd’hui et officiellement depuis la loi de 2005, c’est pour mettre l’accent sur les dimensions sociale et environnementale créant ou accentuant la situation de handicap. Ainsi, selon un médecin du travail (Cadic-Gautier, 2020), le handicap est une « perte de chance par rapport à la population générale », que vise notamment à compenser la RQTH (reconnaissance de la qualité du travailleur handicapé).

Au-delà du handicap juridiquement reconnu, il est difficile de ne pas admettre que tout individu est porteur de forces et de faiblesses, de fragilités. Le terme « fragilité » est ici entendu comme une dimension de ce qui fait la singularité d’une personne, notamment du fait de son histoire de vie. Cette fragilité peut aussi être due à des situations personnelles vécues par le salarié. À travers l’expression « situation personnelle handicapante », nous souhaitons mettre l’accent sur la « situation » fragilisante pour le salarié au regard de l’entreprise, peu importe la raison (endogène ou exogène) à l’origine de la difficulté temporaire ou pérenne subie par ce salarié.

2. L’importance d’un cadre juridique existant et évolutif qui ne résout cependant pas tous les problèmes de ces situations invisibles

Si, d’un point de vue juridique, le principe de non-discrimination protège les personnes handicapées et promeut le principe d’égalité, des mécanismes de compensation doivent être mis en œuvre pour permettre au travailleur d’accéder à un emploi ou de s’y maintenir. Par exemple, le statut de travailleur handicapé engage l’entreprise à des aménagements raisonnables. Mais cela suppose déjà que la démarche de reconnaissance ait été réalisée. Et, une fois accordée, jusqu’à quel point ces aménagements peuvent-ils aller ? Comment, dans l’entreprise, des aménagements visibles au profit de personnes qui auront révélé juridiquement leur handicap mais qui n’auront pas nécessairement dévoilé leur situation à leurs collègues, peuvent-ils être perçus par ces derniers ? Ainsi, malgré le cadre juridique de la reconnaissance et de la pratique des aménagements raisonnables en cas de handicap invisible (HI), des problèmes managériaux se posent. En effet, la littérature managériale montre que la révélation du HI fait l’objet de nombreux débats, oscillant entre le fait d’être perçue comme un atout mais aussi comme un acte risqué (Richard &Barth, 2017). Richard et Barth montrent ainsi que la révélation légale peut amener, d’un point de vue positif, des dispositifs comme des adaptations de postes, une meilleure visibilité des personnes sur le marché du travail. Elle peut aussi, d’un point de vue négatif, servir à redorer l’image de l’entreprise sans dispositif managérial efficace, compliquer l’insertion professionnelle, renforcer les jugements stéréotypés au sein des collectifs de travail. Ainsi ce rapport « coûts-bénéfices » de la révélation est important en pratique et conduit une partie des salariés en situation de HI à faire le choix de rester, définitivement, dans l’ombre. La situation est encore plus complexe pour les situations personnelles handicapantes (SPH). Leur prise en compte juridique est limitée puisqu’elle passe par un statut particulier, comme un arrêt maladie ou encore un congé de proche aidant (décret n° 2020-1208 du 1er octobre 2020). De plus, la question de savoir si les salariés concernés demandent en pratique ces congés se pose. En effet, une étude menée auprès de 50 salariés sur la place des situations de fragilité en entreprise montre les peurs que ressentent les salariés à l’évocation de cette situation qui les fragilise (Joyeau, 2020). Par ailleurs, si cette considération juridique permet une prise en charge au titre des soins, une plus grande disponibilité personnelle ou encore une protection des revenus, cette situation ne donnera pas nécessairement les clés pour adapter, même à moyen terme, l’activité de travail de la personne concernée. En effet, lors du retour du salarié suite à une difficulté personnelle (cancer, divorce, proche à aider), ce dernier ne bénéficie plus d’une protection juridique. Il recouvre ses engagements « en l’état » et l’entreprise n’a pas l’obligation de procéder à des aménagements particuliers de son travail. Ainsi les difficultés sont les mêmes, que le salarié ait bénéficié d’un arrêt de travail, d’un congé, ou d’aucune mesure. Seule une politique volontariste de l’entreprise pourra y faire face.

3. La nécessité d’une approche managériale reposant sur une volonté de politique globale cohérente

Si la place du droit dans le traitement des questions de HI et de SPH est essentielle, elle est donc insuffisante : les réalités des pratiques managériales le révèlent clairement. La prise en charge des HI et des SPH peut répondre à trois types d’arguments en entreprise, pas nécessairement exclusifs.

Le premier argument est d’ordre réglementaire : la loi impose de recruter des salariés en situation de handicap. Le second argument est d’ordre économique : la conscience des conséquences d’une non-gestion des situations invisibles est souvent ce qui conduit une entreprise à s’engager. En effet, les impacts des SPH sont bien identifiés par les salariés : avec des conséquences physiques et/ou morales, elles induisent potentiellement une baisse d’efficacité dans le travail, des perturbations dans l’exercice de l’activité professionnelle, un impact sur les relations professionnelles, une baisse de la motivation. Pour l’entreprise, il s’agit de pouvoir rendre l’activité des salariés « soutenable » pendant cette période plus ou moins durable (Joyeau, 2020). Le troisième argument est d’ordre sociétal : il relève d’une approche de responsabilité sociale de type « entreprise inclusive et citoyenne ». Longtemps facteur de différenciation stratégique, la RSE devient de plus en plus un défi que les entreprises se doivent de relever, les attentes sociétales étant fortes dans ce domaine. Bien-sûr, si de telles pratiques améliorent l’image et la réputation de l’entreprise, l’argument marketing ne fonctionnera sur le long terme que si les pratiques effectives sont bien alignées sur celles affichées. La prise en charge des HI et SPH s’intègre dans ces actions de RSE.

Comment doivent-elles agir ?

Au vu des échanges interdisciplinaires académiques, croisés avec la parole de praticiens, donner du sens aux actions de prise en compte des HI et des SPH exige de travailler, en entreprise, sur une approche globale : à la fois multi-situationnelle, multi-dimensionnelle et multi-acteurs. En premier lieu, l’approche managériale doit être multi-situationnelle. En effet, si le droit propose des traitements différenciés pour le HI et les SPH (reconnaissance avec impacts managériaux comme les aménagements raisonnables pour le HI et détermination de droits par le seul biais des congés ou arrêts pour les SPH), le travail interdisciplinaire montre que toutes ces situations présentent des éléments communs dont l’approche managériale doit se saisir. Ce qui est obligatoire, comme les aménagements raisonnables pour le HI, doit donc profiter à tous.

En second lieu, une approche multidimensionnelle va s’appuyer non pas sur la mise en place d’un seul dispositif mais sur un ensemble d’actions, parfois simples : de l’aménagement du temps de travail jusqu’à celui du poste, en passant par un dispositif d’écoute, par exemple. À travers ces actions multiples, il s’agit de donner du sens et de démontrer une volonté politique de l’entreprise d’agir non pas seulement en réaction à une contrainte réglementaire, mais de manière proactive. La mise en cohérence des actions conduit à donner une vraie place à la notion de différence et de singularité en entreprise. En troisième lieu, certains notent qu’« en l’absence de la dimension multi-acteurs […], les dispositifs mis en place ne peuvent être efficients qu’au niveau « stratosphérique » » (Richard & Barth, 2017). C’est alors l’opérationnalité des actions qui sera étouffée. Les actions doivent être appropriées par tous les acteurs (direction, DRH, IRP, mangers, salariés) et ainsi faire partie d’un projet d’entreprise cohérent. Les témoignages des entreprises engagées sur ces questions, lors de ce colloque, vont en ce sens (Joyeau & Moisdon-Chataigner, 2020).

À travers cette politique globale, cette « posture » de l’entreprise, l’idée est de créer un climat facilitant la révélation du HI ou de la SPH, puis d’assurer un accompagnement de ces salariés. Il s’agit de créer une culture de confiance permettant de libérer la parole, de lever les tabous, de favoriser la communication au sujet des HI et des SPH et ainsi de limiter la solitude et l’isolement ressentis par les salariés (Joyeau, 2020).

Et maintenant ?

En gestion, il serait pertinent d’étudier plus précisément le rôle des acteurs : quel rôle et quelles compétences pour les managers en particulier ? Si ceux-ci sont pleinement concernés, ils ne sont pas les seuls : la DRH doit être présente pour les guider et les former sur ces sujets, elle-même soutenue par sa direction. Des tiers acteurs peuvent être leur appui : référents, groupes d’écoutes, médecine du travail par exemple. D’un point de vue juridique, il est nécessaire d’envisager ces concepts de HI et de SPH au regard des principes directeurs d’égalité et de non-discrimination, pas nécessairement de manière contraignante mais dans le cadre de démarches volontaires, de soft-law, RSE, etc. Finalement, le respect, à tous les niveaux de l’entreprise, des HI et des SPH ne peut être que source d’un climat de confiance nécessaire au vivre ensemble dans l’entreprise.

Ce texte est la synthèse d’un colloque qui a réuni une vingtaine d’intervenants et près de cent participants, le 19 novembre 2020 à Rennes, dans le cadre des travaux de la chaire vivre ensemble (fondation université Rennes 1). Le replay est disponible : https://chaire-vivre-ensemble.univ-rennes1.fr/evenements/du-handicap-invisible-la-situation-personnelle-handicapante-du-droit-aux-realites.

Références

• Cadic-Gautier E. (2020), « Les formes de handicap invisible et des situations personnelles handicapantes », https://youtu.be/-TAzZAqgBS0.

• Joyeau A. (2020), « La gestion des fragilités en entreprise », colloque national interdisciplinaire, Rennes, 19 novembre, https://youtu.be/JtX55NfjE_c.

• Joyeau A. &Moisdon-Chataigner (2020), « Du handicap invisible à la situation personnelle handicapante : du droit aux réalités managériales », https://chaire-vivre-ensemble.univ-rennes1.fr/evenements/du-handicap-invisible-la-situation-personnelle-handicapante-du-droit-aux-realites.

• Richard S. & Barth I. (2017), « Entre attentes et réalités : une analyse des conséquences de la révélation légale du handicap en entreprise », « Management et Avenir », n° 96, pp 15-67.