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« L’expérience collaborateur ne se décrète pas »

Dossier | publié le : 01.05.2021 | Irène Lopez

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« L’expérience collaborateur ne se décrète pas »

Crédit photo Irène Lopez

Notion à la mode, l’expérience collaborateur est un chantier prioritaire des entreprises. Qu’en est-il après un an de crise sanitaire ? Réponses avec Michelle Duport, chercheuse chargée d’enseignement à l’université Paul Valéry (Montpellier 3) et vice-présidente de l’Institut international d’audit social.

Quelle est votre définition de l’expérience collaborateur ?

Michelle Duport : Je suis très critique sur ces mots empruntés au marketing, aujourd’hui très à la mode, artificiels. On badigeonne la responsabilité sociale d’un vernis qui, une fois gratté, ne révèle rien. Les entreprises au sein desquelles l’expérience collaborateur a un sens n’ont pas besoin d’en parler. D’ailleurs, elles n’ont pas conscience de la pratiquer. Néanmoins, j’y vois un intérêt car elle remet, sous d’autres mots, un besoin qui, lui, est bien réel. Nous avons appelé cela bien-être au travail ou encore conditions de travail. Au xixe siècle, ces notions étaient qualifiées de paternalistes et contenaient un aspect péjoratif. Si les mots « expérience collaborateur » permettent de retrouver de l’humanité, alors je suis d’accord pour les employer. Le postulat qui est derrière l’expérience collaborateur est la compatibilité entre l’efficience sociale et l’efficience économique.

Peut-on suivre un mode d’emploi pour améliorer l’expérience collaborateur ?

M. D. : Je suis particulièrement gênée par les articles écrits par des consultants. Ils promettent d’augmenter la performance des salariés, de renforcer leur engagement… Sous réserve de faire appel aux services de leurs cabinets et de faire l’acquisition d’un outil bien spécifique. Or, cela ne marche pas car il n’y a pas de sincérité ni d’attention derrière cette démarche. L’expérience collaborateur ne se décrète pas, tout comme la RSE et la culture d’entreprise. Rien ne peut se décréter par le service communication ni le service marketing. L’expérience collaborateur relève du style de management. Pour que cela fonctionne, il faut prendre en compte les individus et se baser sur la symétrie des attentions : si un individu bénéficie d’une qualité relationnelle agréable, il la répercute à son tour sur un tiers. Au sein d’une entreprise, si un salarié développe de bonnes relations avec ses responsables, ses collègues et son environnement de travail, il traitera les clients de la même façon et l’on peut supposer qu’il entretiendra une relation commerciale positive.

Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur les collaborateurs ?

M. D. : Les crises sont de bons moments pour bouger les lignes. Il y a toujours du positif dans une crise. C’est l’opportunité de changer quelque chose. C’est cette opportunité qui m’intéresse. Lors de la crise sanitaire, il a fallu prendre des décisions dans l’urgence et passer au télétravail. Par conséquent, nous avons été obligés d’accepter certaines choses comme l’enfant qui passe dans le champ de la caméra pendant que sa mère est en visioconférence. Idem pour les bruits incongrus. Cela peut paraître un détail mais c’est nouveau. Une autre conséquence est celle de la confiance. Avant la crise, des collaborateurs souhaitaient télétravailler. Mais leurs supérieurs avaient peur de ne pas pouvoir contrôler ce qu’ils faisaient. Ce qui est absurde car, en présentiel, ce contrôle n’est pas accompagné d’un coût de production. Le collaborateur peut être en train de naviguer sur Internet, son supérieur n’aura pas plus de contrôle sur certaines de ses activités mais il aura son subordonné sous les yeux. La crise n’a pas donné le choix. Et le télétravail s’est révélé très productif. Des collaborateurs que l’on ne jugeait pas être autonomes l’ont été. Finalement, une confiance a été mise en place. En outre, les managers ont eu la volonté de maintenir le lien social, de se préoccuper de ceux qui avaient les enfants à domicile et une souplesse des horaires de travail a été acceptée.

Une fois la crise passée, peut-on envisager de retravailler comme avant ?

M. D. : On ne pourra pas complètement revenir en arrière. Certains parlent de résilience, terme emprunté à la physique : on tord la matière et, à l’issue de la torsion, elle doit retrouver sa forme initiale. Or, dans notre cas, nous ne devons pas retrouver la façon de travailler que nous avions avant la crise mais une nouvelle forme, meilleure. Cette nouvelle façon de travailler passera par la souplesse. Prenez l’exemple du salarié qui a réussi à obtenir un rendez-vous chez le dentiste. Si son supérieur lui répond : « Pose ta demi-journée », c’est raté. Il devrait lui dire : « À quel moment pourras-tu rattraper le temps pendant lequel tu ne seras pas disponible ? » Je prône la souplesse des horaires et dans les procédures. Nous sommes dans une société tellement normée. La crise a montré que les moules n’étaient pas si performants. D’ailleurs, doit-on avoir des gens pour penser le travail des autres en écrivant des procédures ? Est-ce que les opérationnels ne sont pas les mieux placés pour savoir ce qu’il convient de faire ? Il faut faire le tri dans tout ce qui est norme. Dans la vie, nous sommes toujours en train de nous demander quelles procédures respecter… car elles sont toutes contradictoires.

Sommes-nous finalement trop théoriques ?

M. D. : Il faut davantage s’intéresser aux pratiques. Nous sommes dans une société qui intellectualise tout, mais dans laquelle nous ne nous intéressons pas aux actions. Nous avons tendance, par exemple, à oublier la logistique. Prenez l’exemple des vaccins pour lesquels des aiguilles et des seringues n’avaient pas été prévues en dehors des hôpitaux. Nous ne pouvons plus raisonner en nous disant que la logistique suivra. Nous sommes dans le discours et nous ne regardons pas si cela est faisable ou pas. Le manque de pragmatisme a montré les incohérences managériales. Il n’y a qu’à observer les réactions des Français face au gouvernement. Il faut que les maîtres mots soient cohérence dans l’action et dans les processus.

L’expérience collaborateur peut-elle reposer également sur les équipements informatiques ?

M. D. : L’équipement informatique nous a fait franchir un cap. Je ne fais pas seulement allusion au casque dont l’employeur devrait équiper tout salarié pour que ce dernier puisse travailler dans les meilleures conditions possible. Avant la crise, nous considérions qu’un ordinateur portable correspondait à un certain niveau d’encadrement. Aujourd’hui, tout le monde a eu droit à un ordinateur. Avant, il m’est arrivé de finir de travailler chez moi. J’avais demandé à pouvoir doter mon ordinateur d’un pack Office. On me l’avait refusé. Aujourd’hui, ce pack a été installé pour tout le monde. On ne pourra plus dire non à un salarié. On ne pourra plus dire au jardinier qui s’occupe des espaces verts de l’université qu’il devra se conformer avec le seul ordinateur pour tout le service technique alors que, de chez lui, il commandait sur son ordinateur. Avec la crise, nous avons fourni du matériel informatique à tout le monde, y compris le personnel de catégorie C. Non seulement, ce matériel fait gagner du temps à l’entreprise, mais il participe à la considération des catégories les moins élevées. Et avec la crise de la Covid-19, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait considérer les petits métiers, car ils sont indispensables. La valorisation des salariés est une des conséquences sur l’expérience collaborateur de la crise que nous vivons. L’expérience collaborateur repose sur un comportement de respect des besoins de l’autre. J’ai réalisé ma thèse sur l’altérité. L’autre est comme identique à moi mais aussi différent. Cet autre a des besoins. Il ne les satisfait pas de la même façon. L’éboueur a des besoins, comme moi, et il a droit à la même considération. Attention, ce n’est pas une société béni-oui-oui. Dans ce type d’organisation, il y a des sanctions. Pour atteindre une expérience collaborateur satisfaisante, il faut encourager tout le monde à se concerter. L’altérité, c’est aussi la remise en compte de soi par ce que pense l’autre. Il faut être capable d’écouter et dire « je me suis trompé, je pourrais faire différemment ».

Comment faire pour que l’expérience collaborateur soit satisfaisante ?

M. D. : Il n’y a pas de recette. Si l’on en veut une, il suffit d’aller sur les sites de consultants. En revanche, il y a une chose simple à mettre en œuvre : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne souhaitez pas que l’on vous fasse. » La seule façon d’y arriver est de libérer la parole pour que chacun donne un avis. Il faut impliquer tout le monde dans les conditions de travail et toujours s’interroger : « Ce que je demande a-t-il du sens ? »

Auteur

  • Irène Lopez