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Quand le syndicalisme se convertit à l’écologie

Décodages | Environnement | publié le : 01.05.2021 | Judith Chétrit

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Quand le syndicalisme se convertit à l’écologie

Crédit photo Judith Chétrit

En parlant plus ouvertement de l’environnement et du réchauffement climatique à leurs adhérents, les organisations syndicales veulent montrer qu’il est toujours possible de (ré)concilier l’écologie et le social. Mais les leviers d’action sont encore embryonnaires.

Au beau milieu de la marche « pour une vraie loi Climat », fin mars, à Paris, un militant CGT prend la parole, debout sur une estrade, micro en main. Rien d’anormal, sauf qu’Adrien Cornet, 33 ans, est l’un des piliers du piquet de grève qui a occupé, pendant un mois et demi, le parking de la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne, la seule raffinerie d’Île de France, où il exerce en tant que chef de feu. « Ça peut vous paraître bizarre de voir des raffineurs au milieu des écolos et du mouvement qu’ils portent, entame le délégué CGT. Nous travaillons dans une raffinerie, parce que c’est le seul moyen de nous éloigner de la précarité ». Son « appel à une grève générale pour la transition écologique » conclut un passage sur le « lien profond entre la fin du monde et la fin du mois », un slogan un temps scandé ensemble par les marcheurs pour le climat et les Gilets jaunes.

La présence, ce jour-là, des grévistes de Grandpuits est d’autant plus surprenante qu’ils se sont mobilisés contre le projet de reconversion du site pétrolier de Seine-et-Marne en unité de production d’agrocarburants et de bioplastiques ainsi que contre l’exploitation de deux centrales photovoltaïques d’ici à la fin 2023. Face aux 150 supressions de postes envisagées (sur 450) et aux centaines d’emplois menacés chez les sous-traitants et fournisseurs de la plateforme, l’intersyndicale CGT-CFDT-FO a dénoncé du « greenwashing » de la part de la direction de Total. Selon elle, « alors que l’activité de raffinerie se poursuit dans d’autres pays avec des normes sociales et environnementales moins contraignantes », ce projet sert surtout de justification à un plan social engagé sans qu’il n’y ait suffisamment de dialogue social et d’anticipation sur les reclassements et les changements de métier. Leur bras de fer avec la direction n’est pas passé inaperçu. En quelques semaines, les raffineurs ont été publiquement soutenus par le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, des élus écologistes, des organisations environnementales comme Greenpeace et les Amis de la Terre, qui redoutent une déforestation accrue et une pression sur les surfaces agricoles.

Prise de conscience écologique.

Ce type de coalition, plus ou moins formelle, envoie surtout un signal. Les syndicats se montrent davantage enclins à intégrer plus systématiquement des préoccupations environnementales à leurs revendications sur l’emploi et les conditions de travail. Même le Medef a inclus l’écologie dans son propre agenda social, indépendant de l’État, pour « renouveler le paritarisme » avec les organisations qui défendent les salariés. Cette prise de conscience écologique a transcendé leurs frontières traditionnelles : entre 2019 et 2020, tant la CGT et Solidaires qu’un trio CFDT-CFTC-Unsa ont partagé des réflexions et des propositions transversales avec d’autres organisations de la société civile, autour du collectif « Plus jamais ça » pour la première, et le « pacte du pouvoir de vivre » pour la seconde. Ces deux initiatives ont pour objectif d’être source d’actions communes et structurées au niveau local. Exemple, à Toulouse, un pêle-mêle de convergences, réunissant la coordination CGT du secteur, des chercheurs, des riverains, des associations et des étudiants, a émis des propositions sur l’avenir de la filière aéronautique dans une métropole quasi mono-industrielle.

Le passé a pourtant montré que le terrain était parfois délicat, lorsqu’il était investi par la CFDT par exemple. Dans les années 1970, il s’agissait surtout de dénoncer les pollutions industrielles, de parler de santé au travail, d’aménagement urbain ou de consommation énergétique. Au fil des décennies, au gré des forums sociaux mondiaux et des sommets nationaux et internationaux, cette prise de conscience a débouché sur des objectifs plus globaux à long terme, autour du développement durable puis du réchauffement climatique. « Dès qu’il y a eu des difficultés économiques et des projets de restructuration, un tel engagement a perdu de sa vitesse s’il n’était pas suffisamment réfléchi, avance Renaud Bécot, historien au laboratoire Pacte à Grenoble. Aujourd’hui, cette même dimension peut être utilisée pour rendre un combat plus audible auprès du grand public. » Par exemple, la défense des relocalisations réduisant le bilan carbone ou la création de nouveaux emplois guère délocalisables, développée par Véronique Martin, la secrétaire confédérale CGT en charge des questions environnementales. « La crise sanitaire doublée d’une crise économique et sociale a mis en exergue l’importance de l’indépendance énergétique et industrielle. Il faut réussir à imposer le lien entre les conséquences sociales et les conséquences environnementales. »

Stratégie et pragmatisme.

Habituellement, ce sont plutôt les contradictions entre les deux plans qui sont mises en avant : si elles sont créatrices d’emplois, la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique impliquent également la suppression de postes et la perte de savoir-faire dans les filières les plus polluantes, où il y a une importante présence syndicale. En fonction des secteurs d’activité, les arbitrages sont loin d’être évidents. Chez FO Métaux, le secrétaire fédéral, Éric Keller, fait partie d’un groupe confédéral sur le climat créé en 2019 après une longue période de retenue du syndicat sur ce sujet. Il parle de protection de l’environnement et d’une transition « juste » qui permette à l’industrie de « maintenir ses capacités de production ». Pour lui, « la faisabilité des objectifs du Gouvernement dans sa stratégie bas carbone n’a pas été anticipée. Si nous ne sommes pas capables de fabriquer des éoliennes, cela n’est pas une transition bénéfique pour l’industrie et ses emplois ». Ce type de constat explique en partie la méfiance et la lenteur d’action des débuts. « Il ne s’agit pas de nier la contradiction. Le risque majeur est que les deux dynamiques ne se fassent pas au même rythme », juge Philippe Portier, secrétaire national CFDT en charge de la transition écologique et du dialogue social.

Forcément, la thématique est tout aussi stratégique que pragmatique. Les syndicats y voient un sujet où ils peuvent être force de proposition sur le lieu de travail et dans l’espace public, et c’est une manière d’attirer des salariés désireux d’en faire plus pour la transition écologique. « C’est sur le même plan que le pouvoir d’achat », estime Laurent Saulnier, délégué syndical CFDT Capgemini, où le groupe a affiché son intention de réduire davantage les émissions de carbone de ses collaborateurs. Dans certains CSE, cela se traduit par des activités et des voyages plus écoresponsables, des ateliers sur le zéro déchet ou la permaculture mais aussi un soin porté à la mise en application du forfait mobilités durables. L’an dernier, huit « écosyndicats », rassemblés dans un nouveau collectif sous le nom « Printemps écologique », se sont ainsi créés dans différents secteurs d’activité comme le conseil, l’informatique ou la métallurgie pour mieux inscrire l’impératif écologique dans le droit du travail et les négociations collectives. « Il pourrait y avoir une commission spécifique en dehors ou à l’intérieur du CSE, l’intégration des questions environnementales dans les conventions collectives ou la généralisation des comptabilités carbone », énumère Maxime Blondeau, le cofondateur du Printemps écologique, qui a décliné les propositions de fusion avec d’autres syndicats et souhaite créer « une expérience syndicale différente pour les salariés ». En attendant d’avoir deux ans d’existence pour prétendre à une représentativité lors du premier tour des élections professionnelles, les quelque 300 adhérents de ce mouvement se sont déjà mis d’accord sur une charte fédérale. Celle-ci remet en cause le productivisme au profit d’une « décroissance » sélective qui saura mieux réorienter et sécuriser les salariés dont le travail est menacé.

Controverse autour du nucléaire.

Dans les organisations syndicales représentatives, certains sujets restent encore source de désaccords, notamment le nucléaire. Au sein de la CGT, le rapprochement avec Greenpeace, qui dénonçait quelques années auparavant « l’alliance nucléaire entre la CGT et le patronat », a fait grincer les dents de certains adhérents, reprochant au secrétaire général un manque de concertation. Ce débat a fait également monter au créneau la fédération énergie de la CFE-CGC. Avec d’autres fédérations européennes, elle a cosigné un courrier adressé à la Commission européenne pour que le nucléaire soit bel et bien inclus dans la taxonomie européenne conditionnant l’accès à des financements pour des activités jugées durables et compatibles avec les engagements européens. « Si le bas carbone est la cible que nous défendons depuis plusieurs années, alors il faut défendre la place du nucléaire et du gaz pour sortir du charbon et du pétrole », argue Alexandre Grillat, le secrétaire national en charge des affaires publiques qui regrette le « raccourci renouvelable = vertueux par essence ». Les syndicats allemands s’y frottent déjà. L’annonce faite en 2011 par la chancelière Angela Merkel de renoncer au nucléaire civil d’ici à 2022 puis au charbon d’ici à 2035 a entraîné le fort développement des énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque. Mais bien qu’ils soient peu implantés dans ces nouvelles activités vertes, les syndicats allemands y ont régulièrement pointé de mauvaises conditions de travail, un fort turnover et l’absence de conventions collectives pour une partie des salariés.

Cependant, hormis des tribunes ou des consultations publiques, les prises de position des syndicats français peinent encore à être toujours visibles et traduisibles de manière opérationnelle. Jusqu’à présent, l’environnement n’a guère été un objet de dialogue social. Une voie d’entrée a parfois été les administrateurs salariés, issus des rangs syndicaux, qui portent davantage ce sujet auprès du reste du conseil d’administration en prenant la tête d’une commission ad hoc. Selon plusieurs syndicats, l’article 16 de la prochaine loi Climat et résilience pourrait être un premier pas satisfaisant : il prévoit ainsi que les négociations sur la gestion de l’emploi et des parcours professionnels intègrent les enjeux de la transition écologique. Idem pour les consultations récurrentes du CSE sur la base de données économiques et sociales où les conséquences environnementales de l’action de l’entreprise pourraient être ajoutées. Mais, à condition d’avoir des moyens suffisants pour les élus « en formation, en heures de délégation ou en sollicitation d’une expertise » selon Philippe Portier. « C’est le parent pauvre des discussions entre les partenaires sociaux alors qu’il y a des conséquences sur l’emploi et le partage de la valeur. La place qui nous est laissée sur le sujet est faible, et nous ne la prenons pas nous-mêmes », concède-t-il. En matière de transition écologique, la doxa syndicale n’est pas encore prête…

Auteur

  • Judith Chétrit