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« No future » pour le quadra mâle dans l’entreprise ?

Décodages | Parité | publié le : 01.05.2021 | Irène Lopez

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« No future » pour le quadra mâle dans l’entreprise ?

Crédit photo Irène Lopez

Pour arriver à une mixité bénéfique à l’entreprise, les dirigeants ont recours à la discrimination positive et imposent des quotas de femmes à recruter ou promouvoir. À compétences égales, faire le choix d’une femme plutôt qu’un homme risque-t-il de bloquer les carrières des salariés de sexe masculin ?

« Tu as de la chance. Tu es une femme et tu es noire. » L’auteur de ses propos pour le moins ambigus est un chercheur à l’université de Genève. Kléa Faniko, chargée de cours en psychologie sociale dans cette même université, fait partie de l’équipe du service égalité pour la coordination du projet interrégional Laboratoire de l’égalité : « Cet homme était blessé de ne pouvoir accéder à un poste qu’il convoitait au sein de l’université et qu’il voyait comme une évolution professionnelle naturelle. Pour lui, la procédure de recrutement était gelée car l’université souhaitait avant tout faire évoluer une femme. » Ce chercheur, proche de la quarantaine, a vite trouvé une explication : « Je suis un homme, blanc de surcroît. Je ne reçois d’aide de personne pour accéder au poste alors qu’on déroule le tapis rouge aux femmes. C’est plus facile pour elles. »

Cette forme affichée de discrimination positive, Microsoft, Orange et Alcatel-Lucent l’ont mise en place dès 2010, en signant une charte en faveur de l’emploi des femmes dans l’informatique. À compétences égales, les DRH de ces groupes devaient recruter le candidat dont le sexe était sous-représenté. Orange, par exemple, avait choisi de laisser ouverte une procédure de recrutement tant qu’une femme ne figurait pas parmi les candidats. Autre exemple de discrimination positive, celle, revendiquée, en 2009, d’Anne Lauvergeon, alors présidente d’Areva : « Les embauches ne se limitent pas au mâle blanc. À compétences égales, eh bien désolée, on choisira la femme ou on choisira la personne venant de… autre chose que le mâle blanc, pour être clair. »

Des salariés hommes défavorisés.

Fondateur et directeur général d’Accordia, un cabinet de conseil et de formation spécialisée dans les situations de diversité, Marc Bernardin accompagne les DRH des entreprises privées et publiques à mieux communiquer sur la diversité, à mettre en place et à faire accepter des équipes mixtes. « Le sujet de l’égalité de l’évolution de carrière hommes-femmes a véritablement émergé il y a une dizaine d’années. Je rencontre des hommes qui se désengagent et quittent leur entreprise car ils ont le sentiment qu’ils ont moins de chances d’évoluer s’ils restent à leur poste. Je rencontre aussi beaucoup de salariés hommes qui se sentent défavorisés. Certains s’imaginent qu’une promotion leur est passée sous le nez à cause de leur genre. »

C’est le cas de Jean-François, commercial dans une grande enseigne de distribution de jouets. Le poste de direction du service des ventes s’est libéré. Ils étaient deux commerciaux, lui et une collègue. Il pensait obtenir le poste et, par conséquent, évoluer professionnellement car il était arrivé avant elle dans l’entreprise. Raté. C’est elle qui a été promue. Amer, il dit avoir été victime de discrimination positive. L’ancien directeur commercial l’a soutenu et a abondé dans son sens en suggérant que l’heureuse élue n’avait peut-être pas toutes les compétences pour assumer ses nouvelles fonctions. Pour le directeur général d’Accordia, cet exemple est intéressant. « Quelle crédibilité accorder à ces deux hommes ? Celui qui n’obtient pas la promotion cherche des réponses dans la politique RH de son entreprise avant de se remettre en question. À aucun moment, il ne s’interroge sur d’éventuels manques en matière de compétences ? » Quant à l’ancien directeur commercial, c’est un homme de l’ancien monde qui n’a peut-être jamais travaillé avec des femmes et ne connaît pas la performance d’une équipe mixte. »

Il n’existe aucune saisine du Défenseur des droits pour des raisons de discrimination en raison du sexe de la part de salariés hommes. Ces derniers sont néanmoins 5,5 % à déclarer avoir fait l’expérience de discrimination en raison de leur genre (contre 23,7 % de femmes) selon le dixième Baromètre Défenseur des droits/Organisation internationale du travail de la perception des discriminations dans l’emploi.

« Je ne rentre pas dans les quotas demandés. »

Caroline Degrave, coach carrière, observe la situation du côté des salariés. Ses clients sont des cadres hommes entre 45 et 50 ans, employés dans de grandes entreprises. Elle les accompagne dans leurs recherches de poste en interne et en externe. « J’assiste au mal-être de certains de mes clients qui ne peuvent progresser dans leur entreprise du fait de quotas qui privilégient leurs collègues femmes. Ils le vivent réellement comme une injustice. Entre 45 et 50 ans, c’est normalement l’âge de la récompense. Ces hommes ont fait un beau parcours au sein de l’entreprise, réalisé des performances, se sont investis, sont engagés et loyaux.

Aujourd’hui, certains d’entre eux se sentent lésés et perdent espoir car le poste convoité peut être proposé soudainement à une personne qui n’a pas coché toutes les cases du parcours « classique » pour y accéder habituellement mais qui bénéficie d’une politique de quotas pour favoriser la diversité ».

C’est ce qui s’est passé pour Laurent, un de ses clients. Il lui a dit qu’il avait « un excellent dossier pour rentrer dans le top 50 des meilleurs managers de mon entreprise. Basés sur mes résultats et un assessment dédié réussi, ma hiérarchie et mes mentors m’ont encouragé pour intégrer ce groupe ; ils ont pleinement encouragé ma candidature. Mais au final, je n’ai pas pu y accéder. Il semblerait que je ne rentre pas dans les quotas demandés. Je l’ai très mal vécu. »

Des hommes non machos en faveur de la parité.

Lorsqu’ils font appel à Caroline Degrave, ces cadres quadras n’en parlent pas spontanément. « Ils ne peuvent pas se plaindre, souffle la coach, car ce n’est pas politiquement correct. » C’est plus tard, au fil du coaching, qu’apparaît la véritable raison de leur désenchantement. Frustrés, certains se mettent à chercher un poste ailleurs.

« Ce ne sont pourtant pas des profils machos. Ils sont en faveur de l’égalité d’évolution de carrière entre hommes et femmes, explique Caroline Degrave. Ils sont juste lassés. À 45 ans, ils se sont vu privés de postes d’expatriés car, à l’étranger, les entreprises ont commencé à recruter des collaborateurs locaux. Puis, il y a eu la discrimination positive avec la priorité donnée aux femmes. Aujourd’hui, les entreprises privilégient les jeunes. Ils ont le sentiment que la diversité prend le pas sur leur expérience. »

Michel, un autre cadre qui a fait appel à un coach, s’interroge sur la manière d’obtenir la parité hommes-femmes en matière d’évolution de carrière : « Je suis favorable à l’égalité des chances et des salaires entre un homme et une femme. Je vois cependant que la politique menée actuellement ne s’attaque pas aux racines de l’inégalité. Parfois, en voulant faire la promotion à tout prix de femmes, l’entreprise a tendance à les propulser à des postes qui les exposent très vite alors qu’elles n’ont pas l’expérience requise et les mettent ainsi en danger. J’ai été témoin d’échecs alors que les personnes avaient un formidable potentiel. Accompagner les femmes à franchir les étapes de carrière pour accéder à des postes de direction est un des fondements de l’égalité des chances qui n’est pas toujours mis en place par les entreprises. À quand une vraie politique de fond ? »

Un problème de communication.

Caroline Degrave souhaite aussi sensibiliser les DRH qui laissent ainsi partir de bons profils et estime que c’est aussi un sujet de marque employeur. Si la politique d’équité entraîne des déséquilibres, elle peut être un frein au recrutement. « Nous avons tous conscience qu’il faut passer par là, par cette discrimination. Mais il y a peut-être des communications particulières à adopter ». « Tout est dans la communication, confirme Marc Bernardin. Le DRH doit rassurer le salarié non retenu en lui disant que l’entreprise est respectueuse de non-discrimination. Le directeur des ressources humaines doit apporter des éléments de preuve que la personne recrutée est le bon choix et qu’il souhaite un équilibre hommes-femmes dans les équipes. Le problème est qu’à partir du moment où on prononce cette dernière partie de phrase, l’homme recalé ne retiendra que le fait d’avoir été exclu du fait de son genre. » C’est pourquoi Accordia a pour mission d’accompagner des DRH pour leur éviter des discours d’exclusion. Pour son dirigeant, « la question est d’être dans une démarche de performance RH ».

Ancien DRH d’Orange et de la Caisse d’Épargne, Bruno Mettling, un financier reconverti ensuite dans les RH, n’a jamais eu d’état d’âme à favoriser l’évolution professionnelle d’une femme pour atteindre la diversité au sein d’un service ou d’une direction. En revanche, il a toujours ménagé les hommes évincés. « Lorsque je recevais un homme pour lui expliquer pourquoi il n’avait pas été retenu, je ne faisais jamais du genre un critère principal. Je trouvais toujours d’autres arguments. »

Discriminer, c’est faire du tort.

Pour Marc Bernardin, le ressenti des hommes qui se sentent lésés correspond à des expressions très individuelles. Et ces dernières, personnelles, conduisent tout droit à la « gender fatigue ». Concept venu des États-Unis sous la plume d’Elisabeth Kelan, professeure à l’université de Cranfield, experte du leadership, des questions de diversité et du management intergénérationnel. Elle définit la « gender fatigue » comme un « phénomène par lequel s’épuise l’énergie d’agir pour faire du lieu de travail un espace neutre, alors même que les discriminations ont encore cours ». Concrètement, c’est « le pas assez et le trop-plein », une perception différente de l’égalité. D’un côté il y a l’épuisement de ceux qui veulent plus de mesures et d’actions envers une égalité hommes femmes et, de l’autre, ceux qui s’agacent que l’on en fasse trop car on ne parle plus que de cela.

Si le mal-être est si grand dans la communauté des hommes blancs quadragénaires freinés dans leur évolution professionnelle, c’est parce qu’ils n’ont jamais été confrontés à des discriminations. Ils ont eu accès à un parcours académique privilégié. Le jour où ils touchent du doigt ce sentiment défavorable, la déception est à la hauteur de la nouveauté. Il s’agit d’une perte de pouvoir. Ils se rendent compte que le monde change et qu’il ne le fait pas de leur côté. Spécialiste de l’inclusion des femmes dans le numérique depuis plus de quinze ans, Isabelle Collet a fondé l’Argef, l’Association de recherche sur le genre en éducation, et elle est membre du conseil d’administration de la Fondation femme@numérique et vice-présidente du conseil d’administration de l’Insa Lyon. « Discriminer, dit-elle, c’est de toute manière faire du tort. Les hommes protestent car nous favorisons la population des femmes. Mais nous rattrapons l’inégalité que les femmes subissent. La discrimination positive est un coup de pouce, une aide. Les hommes ne se rendent pas compte des privilèges qu’ils accumulent à leur insu. » Elle aime illustrer ses propos en prenant l’exemple d’une course à pied où la ligne d’arrivée serait la même pour tous mais la ligne de départ, différente. Hommes et femmes ne partiraient pas du même endroit. Et il est temps, selon elle, de remettre hommes et femmes sur la même ligne de départ.

Auteur

  • Irène Lopez