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Décodages

Les gendarmes du protocole sanitaire

Décodages | Inspection du travail | publié le : 01.05.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Les gendarmes du protocole sanitaire

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Déployée depuis le début de la pandémie pour faire appliquer le protocole sanitaire, l’Inspection du travail se retrouve parfois à la peine, par manque de moyens de coercition sur les entreprises fautives. D’autant que sa récente réforme lui enjoint désormais de privilégier la prévention et le conseil aux employeurs à la sanction.

L’Inspection du travail est sur le gril. Depuis un an que dure la crise Covid, ses 3 500 agents multiplient, en sus de leurs missions ordinaires, les visites en entreprises pour y vérifier l’application du protocole sanitaire et le suivi des consignes ministérielles sur la pratique du télétravail pour limiter les risques de contamination. Selon la dernière enquête de l’Institut Pasteur dévoilée fin février, 19 % des contaminations se produiraient sur le lieu de travail. De quoi pousser le Gouvernement à resserrer la vis sur les employeurs en mobilisant son bras armé en matière de contrôle. Parfois en montant des opérations coups-de-poing à fort potentiel de sidération médiatique. À l’image de celle du 25 mars dernier qui a vu un véritable commando d’inspecteurs déployé dans le quartier d’affaires de La Défense pour y contrôler près de 25 entreprises de plus de 400 salariés. Au total, sur l’année écoulée, l’Inspection du travail aura procédé à quelque 75 000 contrôles sanitaires en entreprise. Résultat : 400 employeurs négligents ont été mis en demeure de mieux respecter le protocole et quinze ont fait l’objet d’une procédure de référé auprès des tribunaux administratifs pour mise en danger de la santé des salariés.

Police du protocole sanitaire.

En apparence, le message envoyé par le Gouvernement aux patrons est clair : la santé des salariés avant tout. Mais certains syndicats de l’administration du travail grincent des dents. Selon eux, l’exécutif mobilise l’Inspection à des fins de communication politique. « Tout ça, c’est de l’affichage. Nous n’avons jamais attendu les directives du ministère pour effectuer des contrôles sur des sites identifiés comme potentiellement dangereux pour la diffusion d’un virus comme les bureaux en open space. C’est dans l’ADN de l’Inspection ! » peste Julien Boeldieu, secrétaire général du SNTEFP-CGT. À l’en croire, la sévérité gouvernementale servirait d’écran de fumée au manque récurrent de moyens et d’effectifs de l’Inspection, dénoncés de longue date par ses syndicats. De fait, l’analyse est partagée par la Cour des comptes. En 2016 et 2018, les sages de la rue Cambon pointaient déjà la déliquescence de l’Inspection du travail qui voit depuis une dizaine d’années ses effectifs fondre comme neige au soleil. « Il importe plus que jamais de dégager des moyens humains pour le contrôle des entreprises », avertissaient-ils déjà dans leur rapport 2018.

Pour la CGT, le recrutement de 120 nouveaux inspecteurs cette année ne compensera pas les 300 postes vacants au sein du service – notamment en régions – ni les départs à la retraite à venir. Sans compter, ajoute Vadim Hosejka, secrétaire général de FO-TEFP, les récentes fusions des directions régionales et départementales de l’Emploi (Direccte) avec celles de la Cohésion sociale (DRCS) au sein des DDETS et des DREETS qui risquent de perturber l’Inspection durant le temps de la mise en cohérence des services et systèmes d’information. Surtout, il y a de l’incompréhension face à des décisions ministérielles en dents de scie. « La fermeté qu’on exige de nous aujourd’hui est celle qui a valu à notre collègue Anthony Smith de se faire sanctionner par sa hiérarchie voici huit mois, justement pour avoir effectué un contrôle jugé trop tatillon portant sur l’irrespect des consignes sanitaires dans une entreprise de services d’aide à la personne », lance Julien Boeldieu.

Si, depuis le début de la pandémie, l’Inspection du Travail fait figure de « police du protocole sanitaire », il s’agit d’une force qui tire souvent à blanc. « Les mises en demeure effrayent peu : elles sont rarement suivies d’effets », confesse Frédéric Guzy, directeur général du réseau Entreprise &Personnel. « À moins de tomber sur une entreprise qui ne fournit pas de masque, où les réunions en présentiel sont maintenues et où les salariés se restaurent collectivement sans mesures de distanciation, difficile d’évaluer le niveau de respect ou d’irrespect du protocole sur la base d’une simple visite », reconnaît Vadim Hosejka. À mi-voix, certains syndicats admettent volontiers que les entreprises prises la main dans le sac ne sont pas toujours complètement fautives. « Les sous-traitants peuvent maintenir une présence importante de leurs salariés sur site sous pression de leurs donneurs d’ordres », glisse un syndicaliste. Et les injonctions contradictoires des pouvoirs publics rajoutent parfois au chaos ambiant. Exemple emblématique : la banque, tiraillée entre le ministère du Travail qui y juge le télétravail insuffisamment pratiqué, et Bercy qui continue à vouloir que les agences de ce secteur essentiel restent ouvertes…

Aide et accompagnement.

Le renforcement du télétravail illustre bien les contradictions auxquelles font face les inspecteurs. Jean Castex et Élisabeth Borne ont beau marteler qu’il doit être pratiqué « quatre jours sur cinq » pour le premier et « qu’il n’est plus une option » pour la seconde, les agents de l’Inspection ne disposent dans les faits d’aucun texte réglementaire sur lequel s’appuyer pour contraindre les entreprises à se conformer aux desiderata de l’exécutif. Et ceux qui essayent s’y cassent les dents malgré l’obligation pour les employeurs, quelle que soit la taille de l’entreprise, de mettre en place un « plan d’action » favorisant le travail à distance. « L’injonction au télétravail reste illégale : l’employeur est libre de choisir la manière dont il protège la santé de ses salariés », tranche l’avocat en droit social Benjamin Louzier. Cette interprétation a d’ailleurs été validée à deux reprises par le Conseil d’État. « Le protocole sanitaire a valeur de recommandation et rien d’autre », poursuit le juriste. Mais s’ils ne peuvent imposer, les inspecteurs peuvent jouer la carte de la pédagogie. « La fonction d’inspecteur du Travail a été redéfinie. Si la mission de contrôle demeure, elle s’accompagne désormais d’une fonction d’aide et d’accompagnement des entreprises et d’écoute de celles qui voudraient développer le télétravail mais ne le peuvent pas », explique Jean-Dominique Simonpoli, président du conseil d’administration de l’Intefp, l’institut de formation des agents du ministère du Travail… dont ceux de l’Inspection. Sur ce point, les inspecteurs ont plutôt le vent dans le dos. Si le ministère n’a pas inscrit le télétravail dans la loi, la pandémie l’a imposé dans les pratiques de nombre d’entreprises, comme en témoigne le nombre d’accords en ce sens conclus en 2020-2021 (plus de 2 000). Au niveau interprofessionnel, un accord ad hoc a même été signé par les partenaires sociaux en novembre dernier. Rien d’étonnant qu’une récente étude d’Adecco Analytics montre que le nombre d’offres d’emploi incluant des clauses de télétravail a bondi de 170 % depuis mars dernier. Le sujet fait clairement consensus dans les grandes entreprises. Mais, « dans les PME et TPE qui ne disposent pas de services RH, le télétravail reste une vraie problématique. Ici, le rôle de l’Inspection du travail ne devrait pas être de sanctionner – sauf en cas d’infraction manifeste, bien sûr – mais d’appuyer dirigeants et salariés dans sa mise en place », souligne Frédéric Guzy, directeur général d’Entreprise et Personnel. Bref, passer d’une logique de police de répression à celle d’une police de prévention…

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre