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Le coronavirus accélère les fins de carrière

Décodages | Gestion des âges | publié le : 01.05.2021 | Lucie Tanneau

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Le coronavirus accélère les fins de carrière

Crédit photo Lucie Tanneau

La crise économique liée à la pandémie de Covid-19 pousse les entreprises à réduire leurs effectifs. Les seniors sont particulièrement concernés. S’il ne s’agit pas de « préretraites » puisque l’état ne finance plus les départs anticipés, on note une multiplication des accords pour permettre des départs accélérés pour les salariés proches de l’âge légal de la retraite. Un dispositif qui coûte cher aux entreprises mais une solution plus douce qu’un plan social en temps de crise.

Les préretraites avaient disparu depuis presque dix ans, avec la fin de l’allocation spéciale du Fonds national de l’emploi (FNE) actée le 10 octobre 2011. Il ne restait que quelques préretraites « amiante » résiduelles. À la faveur de la crise sanitaire, ces mesures de départs anticipés semblent renaître. Un moyen de réduire les effectifs pour faire face au ralentissement de l’activité et aux difficultés économiques pour certains grands groupes. On évoque 5 000 fins de carrière anticipées programmées chez Airbus. Quelques milliers d’autres chez Michelin, Aéroports de Paris, Renault et Bosch, quelques centaines chez Sanofi. « Cela ne concerne que peu de personnes dans quelques très grandes entreprises, sur la base du volontariat, nuance d’emblée Annie Jolivet, chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). C’est une mesure qui coûte cher et qui concerne le sommet de la pyramide des âges », précise la spécialiste de la gestion des âges en entreprise qui parle de « préretraite chirurgicale », comme une « retraite anticipée ciblée » bien différente des préretraites qui existaient avant, financées avec l’aide de l’État.

Car – et c’est la première grande différence avec le passé – ces mesures sont entièrement à la charge de l’entreprise. François Fillon avait durci les conditions d’octroi des préretraites dès 2003, avant qu’elles ne soient supprimées définitivement dès fin 2011, car la mesure a un coût élevé pour les finances publiques et n’a que peu d’impact sur l’embauche des jeunes. Elle permet, néanmoins, en temps de crise, de se séparer de quelques collaborateurs comptant beaucoup d’ancienneté, sans passer par des licenciements imposés. Dans les cartons des entreprises, la plupart des programmes choisissent d’intégrer ce départ anticipé au sein d’un accord de rupture conventionnelle collective (RCC). « Nous n’avons pas de statistiques car les négociations se déroulent dans le cadre interne des entreprises, mais les faisceaux d’indices montrent un triplement des ruptures conventionnelles collectives entre le premier et le deuxième semestre 2020 (respectivement 8 par mois et 22 par mois) », analyse Olivier Mériaux, chercheur en sciences politiques et ancien directeur général adjoint de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) en charge du rapport « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés » remis au Gouvernement le 14 janvier 2020. « On ne sait pas qui en bénéficie mais on suppose avec les indications parues ici ou là qu’il s’agit de restructurations et que les entreprises mettent l’accent sur les mesures d’âges et l’accélération des fins de carrière », poursuit-il. Il y voit deux intérêts : répondre à une attente de la part d’une partie des salariés concernés, sachant que cette mesure à laquelle les collaborateurs sont favorables peut « faciliter la négociation d’un accord plus général », et alléger la masse salariale et donc les coûts, de manière « socialement indolore ».

C’est le cas chez Aéroport de Paris. En grande difficulté économique avec la chute du trafic aérien depuis un an, l’entreprise doit s’adapter. « On a signé un accord le 9 décembre avec trois dispositions, dont le congé de fin de carrière pour les salariés qui sont à quatre ans de partir : l’accord leur offre 65 % de la rémunération de 2019 et des cotisations à 100 % jusqu’à leur départ », confirme Véronique Pigueron, secrétaire CFE-CGC chez ADP. L’accord fixe la jauge à 1 150 départs. « 1 350 collaborateurs ont déjà montré leur intérêt », indique la déléguée syndicale. 85 % d’entre eux sont concernés par les mesures de retraite ou préretraite. Des « salariés heureux », selon Véronique Pigueron qui a préféré « signer un accord de RCC sur la base du volontariat plutôt qu’un plan social » alors que 700 emplois ne seront remplacés. « On a eu un peu de chantage, mais pour nous c’est préférable que les salariés partent d’eux-mêmes », justifie-elle, alors que le sujet de la privatisation demeure et demande de réduire la masse salariale.

Un remède de choc adapté à la crise ?

« Ces dispositifs fonctionnent car la demande existe, de la part de salariés qui sont prêts à réduire leur revenu immédiat voire différé, confirme Olivier Mériaux. On peut imaginer que le contexte pousse certains salariés à prendre la décision de s’arrêter plutôt que de rester en télétravail pendant un an et demi. »Télétravail, voire chômage partiel pour certains. Chez Safran, 20 % de l’effectif est ainsi encore en chômage partiel (au 11 février 2021). Le groupe a donc décidé lui aussi de s’adapter avec un « accord de transformation de l’activité de l’entreprise ». Le directeur groupe des responsabilités humaines et sociétales, Stéphane Dubois, a refusé la mise en place de préretraites. « J’ai connu les plans sidérurgiques du nord de la France qui faisaient partir les gens dès 50-55 ans et les laissaient durablement désoeuvrés, je m’y refuse par conviction », argumente-il, mais des mesures d’âge ont cependant été aménagées. L’accord signé le 8 juillet 2020 prévoit en effet une indemnité de départ de cinq mois pour les salariés qui ont déjà leurs trimestres ou les carrières longues. Sur les 43 000 collaborateurs français, 1 500 salariés entre 62 et 70 ans seraient visés, en plus des 1 000 personnes qui pourraient entrer dans un dispositif de carrières longues. Une possibilité de racheter jusqu’à quatre trimestres a été ajoutée. Un plan jugé assez peu incitatif, qui devrait concerner « 500 à 600 personnes par an », comptabilise le DRHS. Ces départs s’ajouteront aux 900 départs annuels, sachant que le plan prévoit un nombre minimal d’embauches (350 recrutements par an sur trois ans). « Mais nous avons recruté 850 personnes l’an dernier et 950 apprentis (450 minimum prévus par le plan), et nous espérons dépasser ces chiffres cette année également pour aller chercher de nouvelles compétences, notamment sur le digital et les nouveaux modes de propulsion », détaille Stéphane Dubois. À l’étranger et notamment dans les pays où les mesures de protection sociale comme le chômage partiel n’existent pas, Safran s’est séparé de 15 000 collaborateurs (sur 95 000).

Comme lui, 78 % des DRH interrogés dans le dernier baromètre de l’ANDRH « n’envisagent pas de mettre en place de plans de départs ». Et les 9 % qui comptent le faire malgré tout entendent recourir aux dispositifs d’amortissements que sont les PSE, les RCC ou les APC « en limitant les départs à 10 % de l’effectif » précise la présidente de l’ANDRH, Audrey Richard. D’ailleurs, plus de la moitié (53 %) des professionnels RH indiquent la volonté de leur entreprise de poursuivre leurs recrutements, y compris des alternants (49 %). « On est dans une crise profonde et il faut des remèdes de choc adaptés », souligne François-Xavier Albouy, directeur de recherche de la chaire transitions démographiques, transitions économiques (lieu de recherche sur l’impact du vieillissement de la population sur l’économie et la société en France). « Un système de retraite doit s’adapter aux transitions démographiques mais aussi au marché du travail et donc c’est intéressant de pouvoir permettre à ses salariés de partir plus tôt ». Intéressant mais paradoxal, voire déstabilisant, après des années d’un discours sur la nécessité d’un allongement de la durée de cotisation, le recul de l’âge pivot et l’importance des seniors dans l’emploi…

Variable d’ajustement.

« Le problème est qu’il n’y a pas de mesure incitative pour recréer de l’emploi pour les plus jeunes », regrette François-Xavier Albouy, qui aimerait aussi une « révolution rapide des mentalités » pour ne pas laisser partir les seniors à la retraite sans leur proposer une activité socialisée. « Les seniors peuvent accepter une mesure de crise, plutôt que de se retrouver au chômage dans six mois », mais on doit les accompagner. Selon une étude réalisée par le Club Landoy, un groupe de réflexion sur la transition démographique, 64 % des actifs de plus de 45 ans se disent prêts à partir pour laisser la place aux jeunes. Un chiffre qui monte à 69 % pour les catégories qui exercent les métiers les plus pénibles, comme les ouvriers. « Les départs anticipés sont un phénomène qui prend de l’ampleur et qui fait consensus entre employeurs et salariés, fait assez rare pour être souligné dans le dossier des retraites », note Victor Poirier, spécialiste des questions de finances publiques et industrielles à l’Institut Montaigne, réputé proche d’Emmanuel Macron. Pour lui, cette solution « est moins mauvaise que des licenciements », même s’il met en garde contre le « risque de pertes d’expertises et d’expérience » côté entreprise d’une part, et de « dégradation du bien-être et de la santé de ces nouveaux retraités, coupés de la vie active » d’autre part. S’il reconnaît que sur le papier la mesure s’apparente « à une mesure miracle », et relève l’enjeu de solidarité générationnelle, Victor Poirier se bat pour améliorer l’image des seniors dans l’emploi et voudrait que la mesure reste « une variable d’ajustement pour que les entreprises survivent à la crise économique ». « L’objectif est de libérer de la place sur le marché de l’emploi pour intégrer les nouvelles générations », défend-il. C’est là où le bât blesse : l’ANDRH distingue clairement une tendance au sein des grands groupes de plus de 10 000 salariés à la stagnation des effectifs.

« Les gens voient que l’entreprise ne va pas bien, comme tout le transport aérien, et le directeur a annoncé le 31 janvier une baisse des salaires. Donc les salariés se disent qu’il vaut mieux rester chez soi et défiscaliser ses indemnités de départ », rapporte Véronique Pigueron chez Aéroport de Paris. « Mais 65 % du salaire, c’est peu, surtout si on a des prêts à rembourser ou des enfants à charge », met-elle en garde. Pour Annie Jolivet, le risque est, en effet, de saisir l’opportunité d’une retraite anticipée sans avoir bien fait ses calculs de revenus pour les années à venir, surtout pour les salariés qui ont des revenus variables, avec des primes. Même si les mesures actuelles concernent des salariés beaucoup plus proche de l’accès à la retraite à taux plein que les anciennes préretraites, les négociations sont compliquées, car elles sont raccourcies et les délégués syndicaux doivent avoir les différents dispositifs en tête. « Certaines entreprises avaient fait un plan de performance collective avant la crise et activent la mesure de préretraite pendant la crise, ça reste une mesure facile à annoncer », tranche-t-elle. Pour elle, après les années d’annonces de la retraite à 62-63 ans minimum et 67 ans pour beaucoup, la possibilité de retraite sans préparation est « un saut précipité et contraint dans la retraite » avec en plus, « l’amertume d’avoir fait sa carrière dans une entreprise qui allait bien et de partir quand tout s’écroule ». La plupart des mesures de retraite anticipée déjà signées le sont pour un laps de temps très court et doivent s’arrêter dans les semaines ou mois à venir. Avant une deuxième vague ?

Auteur

  • Lucie Tanneau