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“La crise a été un puissant accélérateur du dialogue social”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2021 | Jean-Paul Coulange, Benjamin d’Alguerre

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“La crise a été un puissant accélérateur du dialogue social”

Crédit photo Jean-Paul Coulange, Benjamin d’Alguerre

Depuis son élection en 2018, le président de l’organisation patronale a relancé, contre toute attente, le dialogue social au niveau interprofessionnel, et conclu deux accords sur le télétravail et la santé au travail avec les syndicats.

Le Medef a-t-il changé de doctrine en proposant aux syndicats un agenda pour relancer le dialogue social interprofessionnel ?

Geoffroy Roux de Bézieux : Durant ma campagne pour la présidence du Medef en 2018, j’ai expliqué que la négociation ne pouvait plus fonctionner comme dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. Les 35 heures ont été le dernier grand soir avec une décision prise unilatéralement au niveau de l’État et s’appliquant à toutes les entreprises. J’ai rappelé qu’on avait besoin de développer le dialogue social et de réinventer le paritarisme. À la fois le paritarisme de gestion, dont les prérogatives ont été rognées au fil des années par l’intrusion de l’État – de façon parfois justifiée, parfois moins –, et le paritarisme de négociation, qui a perdu de son influence en raison d’une fragmentation de l’organisation des entreprises. Même si la négociation doit avoir lieu au plus près du terrain, les partenaires sociaux ont un rôle à jouer au niveau interprofessionnel.

Comment les choses se sont-elles passées depuis 2018 ?

G. R. de B. : Depuis mon élection, la crise sanitaire a été un puissant accélérateur du dialogue social. Les acteurs ont su trouver des solutions, sur le terrain, en s’emparant de dispositifs comme l’APLD, à partir du protocole signé au niveau national. Le succès de ces accords nous a surpris. Quand, avec l’UIMM, nous avons mis au point l’APLD, nous pensions que cela ne dépasserait pas quelques centaines d’accords dans l’industrie lourde. À l’arrivée, le marché a acheté, si j’ose dire ! Ensuite, le niveau interprofessionnel a réussi à signer deux accords sur le télétravail et la santé au travail, qui ont, pour moi, valeur de références. Le sujet du télétravail est révélateur du nouveau rôle que doit jouer le niveau interprofessionnel, en n’établissant pas de normes et en laissant les acteurs de terrain négocier des accords. La bonne nouvelle concernant la santé du dialogue social en France est que quatre syndicats sur cinq ont signé. Nous avons pu également réformer une institution paritaire qui était fortement remise en cause, la santé au travail, dans un temps relativement court. Forts de ces deux succès, j’ai pris l’initiative d’écrire aux syndicats pour leur proposer huit thèmes de travail.

Est-ce une initiative offensive ou défensive, vis-à-vis de l’État ?

G. R. de B. : C’est proactif dans la mesure où les partenaires sociaux ont un rôle à jouer dans une société très fragmentée. Si des acteurs nationaux parviennent à se mettre autour de la table et à s’entendre, cela peut contribuer à pacifier les choses. Il y a bien entendu un côté réactif, pour prendre date vis-à-vis du Gouvernement en place et des gouvernements futurs. Le plus dur est devant nous car il reste à délivrer. Mais si nous parvenons à montrer que le dialogue social national est utile et efficace pour les entreprises comme pour les salariés, ça nous rend, non pas incontournables, mais pertinents dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.

Quelle méthode de négociation préconisez-vous ?

G. R. de B. : À chaque fois, nous essayons de poser d’abord un diagnostic en faisant un bilan des accords déjà signés. Exemple, le bilan de l’ANI sur la formation professionnelle. La loi de 2018 qui a transcrit cet accord a très bien marché sur l’apprentissage, moins bien sûr la formation professionnelle. Mais la formation professionnelle en période de télétravail, ce n’est pas tout à fait la même chose. Ensuite, s’il y a accord des parties, nous pouvons envisager d’aller plus loin. Même chose pour l’accord de 2012 sur le développement du paritarisme. A-t-il bien fonctionné ? Sur les prud’hommes, que s’est-il passé depuis les différentes réformes ? Que peut-on améliorer ? C’est une méthode pragmatique.

Sur des sujets comme la transition écologique, l’accueil des syndicats a été mitigé ; sur les ATMP, ils sont franchement hostiles. Les thèmes peuvent-ils changer ?

G. R. de B. : Bien entendu. Ce sont d’ailleurs des thèmes que nous avons programmés pour 2022. Sur les ATMP, il y a une forte suspicion des organisations syndicales sur notre volonté de baisser les cotisations alors que notre objectif est d’avoir un système de gestion paritaire « pur », l’utilisation des excédents sera discutée entre les partenaires sociaux pour faire, par exemple de la prévention. Sur la transition écologique, les avis sont partagés. Mais au niveau de l’entreprise on peut pousser, par exemple, les forfaits de mobilité durable, améliorer l’efficacité thermique des bâtiments, améliorer la qualité de la restauration collective. La discussion peut avoir lieu au niveau du CSE, le niveau interprofessionnel fournissant un référentiel utile pour les deux parties.

L’absence de la CGT, deuxième syndicat de salariés, de ces négociations remet-elle en cause la légitimité des accords ?

G. R. de B. : Je ne peux que le regretter. Mais au niveau national, la CGT signe très peu d’accords. Ce qui nous intéresse, c’est de discuter avec des gens qui ont envie de négocier et la capacité de signer.

Les deux agendas sociaux, le vôtre et celui de l’État, sont-ils compatibles ?

G. R. de B. : L’autre agenda social, qui a démarré au cours de l’été, a été construit à partir d’une liste de sujets sans se soucier de savoir s’ils étaient consensuels et s’il y avait un point d’atterrissage possible. Les dix-sept sujets sont de nature et d’importance très différentes. Dès le départ, cet agenda social n’en est pas un. Le nôtre est construit de façon plus systématique, sur un temps plus long, sur des sujets où il y a cette possibilité d’atterrir. Les seuls points de chevauchements concernent notamment la formation.

L’État vous convie-t-il à des concertations ou à des négociations ?

G. R. de B. : Le mode de l’État est majoritairement celui de la concertation, qui est une consultation avec plus ou moins d’écoute, alors que je prône l’autonomie des partenaires sociaux, que ce soit dans les organismes paritaires ou sur des sujets de nature interprofessionnelle. Se quitter en constatant qu’il n’y a rien à négocier n’est pas, en soi, un échec.

Que va-t-il rester de cette période, au niveau interprofessionnel quand la crise sera derrière nous ?

G. R. de B. : Il restera, je l’espère, cet agenda social, qui a aussi été rendu possible parce que les huit leaders se sont vus et parlé très régulièrement.

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de l’État depuis le début de la crise sanitaire ?

G. R. de B. : L’État a été très présent et a compensé, en partie, les pertes d’activité des entreprises qui ont été fermées. Je n’emploierai pas le terme d’aides car ce sont des compensations aux fermetures administratives. J’insiste sur ce point car je vois venir, y compris du côté syndical, une demande de conditionnement des aides. Ce que nous disons, c’est qu’il faut rouvrir vite, même avec des restrictions sanitaires et une jauge réduite, plutôt que d’attendre la fin des restrictions sanitaires. Il faut donc que la réduction de ces compensations et du « quoi qu’il en coûte » soit progressive et proportionnelle à ces restrictions sanitaires, secteur par secteur. Nous vivons une crise économique totalement atypique qui ne ressemble pas à celle de 2008-2009 car l’économie a été mise sous cloche. Il n’est donc pas certain que le chômage et les faillites explosent en 2021 et 2022. Tout dépendra de la vitesse à laquelle on lève les restrictions sanitaires et à laquelle on vaccine.

Les mesures en faveur des jeunes vous semblent-elles suffisantes ?

G. R. de B. : Lors de la REF de 2020, j’avais émis le souhait qu’on ait autant d’apprentis qu’en 2019, qui était une année record. Or l’objectif, très ambitieux, a été tenu, puisque le cap des 500 000 apprentis a été pour la première fois franchi, grâce à la réforme de 2018, aux aides à l’embauche d’apprentis… Nous devons nous assurer que les entreprises continuent d’embaucher des jeunes, comme en 2020, afin qu’il n’y ait pas de génération sacrifiée.

Le débat sur le revenu universel va-t-il rebondir à l’approche de l’élection présidentielle ?

G. R. de B. : La France dispose d’un filet de protection sociale qui s’approche d’un revenu universel, sous conditions de ressources. Mais le système d’aides est difficile à lire et difficile à obtenir. Mais là, nous sortons un peu du champ de l’entreprise.

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef

• Juillet 2018 : élu président du Medef

• Juillet 2013 : vice-président délégué du Medef

• 2005 : président de CroissancePlus

• 1996 : Crée The Phone House

• 1986 : entre chez L’Oréal

Auteur

  • Jean-Paul Coulange, Benjamin d’Alguerre