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Quelles mesures pour lutter contre la précarité des jeunes ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2021 |

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Quelles mesures pour lutter contre la précarité des jeunes ?

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Face à l’augmentation de la pauvreté chez les jeunes, sur fond de pandémie, le Gouvernement mise avant tout sur le développement de la Garantie jeunes. à cet effet, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a annoncé, le 15 février, un assouplissement des critères d’entrée dans le dispositif d’insertion des jeunes sans emploi ni formation, dans le but de doubler le nombre de bénéficiaires en 2021, qui passerait à 200 000. Mais des voix s’élèvent pour permettre le versement du RSA aux jeunes de moins de 26 ans… Dès lors, une question se pose.

Veerle Miranda Senior économiste, direction de l’Emploi, du Travail et des Affaires sociales, OCDE.

Le taux de pauvreté des jeunes en France est trois fois supérieur à celui des personnes âgées. Cet écart générationnel est parmi les plus élevés de l’OCDE. En 2018, 13 % des jeunes entre 18 et 25 ans avaient un niveau de vie inférieur à 50 % du niveau de vie médian du pays. La France est l’un des neuf pays de l’OCDE (sur 37 pays membres) où un jeune de 20 ans sans revenus n’a pas accès à des prestations d’aide sociale (RSA). Cependant, la période minimale de travail exigée pour accéder à l’assurance chômage est très courte (4 mois), par rapport à la plupart des pays de l’OCDE (généralement 6 à 12 mois), ce qui facilite l’indemnisation pour de nombreux jeunes. Les limites du filet de sécurité sociale français pour les jeunes sont devenues clairement visibles pendant la crise de la Covid-19, avec un recours record des jeunes aux programmes alimentaires. En temps normal, les étudiants peuvent compter sur des emplois à temps partiel pour financer leurs frais de subsistance pendant les études. Mais la plupart de ces emplois ont disparu au cours de l’année 2020. Certains pays de l’OCDE, comme la Finlande et l’Australie, ont des aides financières en place pour les étudiants, une option qui pourrait être envisagée en France pour mieux soutenir les jeunes générations, tout en leur permettant de poursuivre leurs études. Des prestations d’urgence pour les jeunes jusqu’à ce que l’économie se redresse sont certainement les bienvenues. La France pourrait également envisager un filet de sécurité sociale plus étendu pour les jeunes. Cette stratégie a été engagée avec la mise en place et l’extension de la garantie jeune dont l’allocation est proche du RSA et qui offre un accompagnement renforcé. Mais celle-ci ne dure qu’un an et cible essentiellement les jeunes les moins qualifiés. Un élargissement plus ambitieux permettrait aux jeunes de 18 ans et plus d’accéder à l’aide sociale. Mais il serait alors essentiel, en parallèle, d’augmenter les moyens d’orientation vers l’activation et un soutien suffisant pour aider le jeune à reprendre ses études ou à entrer sur le marché du travail afin d’éviter que la prestation ne devienne un piège à pauvreté.

Jean Michel Mourouvin Membre du Synami (Syndicat national des métiers de l’insertion) CFDT.

Vivement critiquée mais surtout caricaturée, l’idée d’un revenu pour les jeunes revient sur le devant de la scène avec la crise actuelle. Jusqu’ici, notre pays se complaisait dans un bizutage social des jeunes de 18 à 25 ans. Pendant sept ans ans, un jeune en difficulté se voit privé de sécurisation financière. Alors que les professionnels de l’insertion la côtoient depuis toujours, la pauvreté des jeunes est devenue visible avec les files d’attente de jeunes étudiants devant les banques alimentaires… Les débats tournent autour de la Garantie jeunes, la Garantie jeunes universelle (GJU), le RSA jeunes ou le revenu universel. La Garantie jeunes concerne 100 000 à 150 000 jeunes pour le moment. Une GJU s’appliquerait a priori à 1,4 million de jeunes suivis dans les missions locales. Le RSA jeunes est désormais posé sur la table par la CFDT. Dans le cadre des propositions du pacte du pouvoir de vivre, porté notamment par Laurent Berger, ce revenu, lié à un accompagnement de qualité pour les 18-25 ans, viendrait faire la jonction entre la majorité et l’accès à un droit à la subsistance. C’est l’accès aux soins, au logement, à la culture, bref, à l’autonomie qui doit être visé et cela nécessite d’être « libéré » des aspects financiers, au moins en partie. Contrairement au RSA adultes, l’accompagnement des 18-25 ans est un choix politique d’investissement. Le RSA jeunes est une étape vers l’universalité. Un revenu universel dès 18 ans refléterait la capacité de notre pays à faire preuve d’un progressisme jamais atteint. Le revenu serait non discriminatoire car ouvert à tous et cumulable avec d’autres droits, et installé dans notre protection sociale. Je ne connais pas de jeune qui ait pour projet de vie d’être bénéficiaire d’un minima social. Nous serions dans une logique de responsabilisation et non de contrôle infantilisant. Chaque jeune ferait son choix : épargne, dépense, voyage, études, année de césure, logement… sans jugement moral. D’autres pays européens ont fait le choix ou pris le risque pour leur jeunesse. Les résultats sont intéressants alors pourquoi pas pour notre jeunesse ? Serait-elle moins responsable qu’ailleurs ? Je crois plutôt que les adultes doivent changer de vision.

Cathel Kornig Sociologue du travail, membre associée du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest-Aix-Marseille université-CNRS). Isabelle Recotillet Économiste du travail, membre associée du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest-Aix-Marseille université-CNRS).

La précarité des jeunes touche à tous les volets de la vie : précarité de logement, financière, sur le marché du travail, les trois étant liés. La pauvreté monétaire touche davantage les jeunes : en 2017, 1,7 million de jeunes âgés entre 18 et 29 ans ont un niveau de vie inférieur à 1 041 euros. Pour favoriser leur insertion dans l’emploi, les gouvernements successifs développent depuis 50 ans de nombreux dispositifs qui visent à les accompagner de l’école vers l’emploi et/ou à former les moins qualifiés. Malgré cela, les jeunes restent plus souvent que leurs aînés employés en CDD, en intérim et sont deux fois plus au chômage que leurs aînés. La politique de l’emploi peine à porter ses fruits, et laisse dans l’ombre la question d’un revenu minimum. Parmi les arguments opposés à sa généralisation, celui d’un effet « désincitatif » est prégnant. Or, différentes études montrent qu’il ne ralentit pas la recherche d’emploi, mais soutient au contraire les personnes les plus démunies, afin qu’elles puissent trouver un emploi. La création d’un revenu minimum est indispensable aujourd’hui pour réduire la précarité des jeunes. Par ailleurs, le paradigme des politiques publiques de l’emploi s’inscrit fortement dans l’idée « d’activer » les individus pour accélérer leur accès à l’emploi. L’autonomie et la responsabilité de l’individu y sont centrales, mais c’est oublier combien le recrutement résulte d’une offre et d’une demande de travail ! Le rapport au travail des jeunes est encore trop souvent stigmatisé par les employeurs. Considérés comme moins motivés ou moins fiables, ne détenant pas les codes de savoir être, ils sont cantonnés à des emplois précaires. En complément d’un revenu minimum pour les jeunes, ne faut-il pas renforcer aussi l’accompagnement des entreprises qui recrutent afin de permettre un travail de construction d’emplois durables ?

Des dispositifs existent déjà, dont les études montrent qu’ils améliorent les processus de recrutement et l’embauche des jeunes.

Ce qu’il faut retenir

// Garantie jeunes… Créée sous le quinquennat Hollande, la Garantie jeunes assure aux jeunes de 16 à 26 ans qui ne sont « ni en emploi, ni en études, ni en formation » une allocation mensuelle (d’un montant maximal de 497 euros – contre 564 euros pour le RSA). En contrepartie, les bénéficiaires s’engagent à suivre un parcours d’insertion intensif en mission locale. Selon la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, fin 2019, 43 % des bénéficiaires – dont 75 % n’avaient pas le niveau Bac – avaient ainsi accédé à un emploi, une formation, un contrat en alternance ou une création d’entreprise. Fin novembre, dans le cadre de son plan « un jeune, une solution », le Gouvernement a annoncé le doublement du nombre de bénéficiaires en 2021, à 200 000. Pour cela, les critères d’éligibilité seront assouplis. Ainsi, « le jeune n’aura notamment plus besoin d’être fiscalement autonome du foyer de ses parents », a précisé Élisabeth Borne. Cette exigence passée dissuadait en effet certains d’entrer en Garantie jeunes par peur de causer des difficultés financières aux parents. Ces assouplissements s’inscrivent dans la perspective de travaux sur une Garantie jeunes universelle, autrement dit, une généralisation de la rémunération des parcours vers l’emploi, que le gouvernement préfère à une extension du RSA aux moins de 25 ans.

// … ou RSA ? Généralisé par une loi de 2008 durant le quinquennat Sarkozy, le Revenu de solidarité active ne peut être attribué aux jeunes de 18 à 25 ans sans ressources, sauf au titre d’exceptions très restreintes : parents isolés, parents d’un enfant né ou à naître et personnes ayant exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans à temps plein au cours des trois ans précédant la date de la demande. La non-éligibilité aux personnes de moins de 25 ans concernait déjà le revenu minimum d’insertion (RMI), créé sous la présidence Mitterrand (1988). Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité et Pascal Mayaux (Fédération des associations générales étudiantes), ont publié, le 2 mars 2021, une tribune dans « Le Monde », argumentant que « l’extension du RSA aux moins de 25 ans est l’option la plus simple. Elle aurait le mérite de ne pas ajouter un nouveau dispositif à tous ceux qui existent déjà ».

// Initiative lyonnaise. La métropole de Lyon a annoncé, le 11 mars, sa volonté de lancer son Revenu solidarité jeunes à partir du mois de juin, destiné aux 18-24 ans en situation de précarité qui ne bénéficient pas d’autres aides. Le dispositif, doté d’un budget de 10 millions d’euros pour 2021, pourrait concerner quelque 2 000 jeunes. Un jeune sans aucune ressource pourra toucher 400 euros par mois et celui avec des ressources inférieures à 400 euros par mois touchera 300 euros mensuels. Cette aide pourra être perçue pendant une durée maximale de 24 mois.

En chiffres

+ 39 %

C’est la hausse du nombre d’étudiants aidés par le Crous en janvier 2021 par rapport à janvier 2020. Environ 9 100 étudiants ont bénéficié d’une aide de 400 euros par bénéficiaire en moyenne.

Source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/suivi-mensuel-des-prestations-de-solidarite-pendant-la-crise-sanitaire-0

33 %

C’est le pourcentage des étudiants interrogés par l’Observatoire national de la vie étudiante, qui ont rencontré des difficultés financières pendant le confinement.

Source : http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2020/10/La-vie-detudiant-confine-Difficultes-financieres.pdf