logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Des salariés piégés dans l’obéissance moderne

Idées | Livres | publié le : 01.04.2021 | Lydie Colders

Image

Des salariés piégés dans l’obéissance moderne

Crédit photo Lydie Colders

Dans « L’insoutenable subordination des salariés », la sociologue Danièle Linhart critique la manipulation des nouvelles formes de management, comme l’entreprise libérée. Le patronat est efficace « pour sublimer » son pouvoir sur les salariés, et les syndicats devraient interroger cet étau du lien de subordination.

Est-il normal que les dirigeants d’entreprises aient « tout pouvoir » en matière de conditions de travail et d’utilité sociale de l’activité des salariés ? Que ces derniers soient tenus d’obéir à leur hiérarchie ? Sauf droit d’alerte, ils « sont dépossédés du droit d’intervenir sur la qualité et le sens de leur travail », rappelle Danièle Linhart. Et le problème s’aggrave « avec le rouleau compresseur » du libéralisme. Quitte à provoquer les syndicats, la sociologue met les pieds dans le plat : le patronat a trop de pouvoir, « en raison du lien de subordination des salariés ». Que l’on ne se méprenne pas : elle ne remet nullement en cause le salariat. Mêlant enquêtes et travaux de chercheurs, son essai incisif invite les syndicats à questionner ce lien de domination « piégeant », face aux rapports de force toujours plus « sophistiqués » du patronat et du management moderne. Son réquisitoire prend une allure d’histoire de l’organisation du travail, « véritable pacte de Faust » pour les salariés : de l’individualisation des années 1990 organisant la concurrence entre salariés jusqu’à la « subordination sublimée de l’ultralibéralisme » actuel, centrée sur l’emprise subjective des salariés.

Les nouveaux enjeux masqués du pouvoir

De la loi Travail à la RSE, elle estime que le pouvoir s’est encore resserré : le travail, comme l’entreprise, « c’est l’affaire des dirigeants qui se confondent avec elle ». L’assujettissement des salariés reste intact, mais le patronat « brouille les cartes » pour « s’approprier » subtilement leur travail. Décryptant les modes managériales, Danièle Linhart analyse le « trompe-l’œil » de l’entreprise libérée, partie très documentée, où l’autonomie donnée « rapporte gros », sans que le pouvoir ne soit partagé, quand il n’est pas douteux (lire le passage édifiant sur les méthodes « de renseignements internes » du groupe Hervé). Il en est de même pour l’intrapreunariat social ou le don de congés qui captent « l’éthique » des salariés. Il ne faut pas sous-estimer la capacité du patronat « à digérer, comme un boa, les critiques et les blocages qui se dressent sur sa route, et de s’en nourrir ». Le management est capable de se transformer en surface « tel un caméléon », de se muer en « redresseur de torts », pointe la sociologue, qui y voit la philosophie du rapport Notat sur la raison d’être. Tout en protégeant avant tout le pouvoir, « il parvient à renforcer sa domination et fait obstacle aux forces collectives capables d’imaginer d’autres manières de produire et de consommer ». Cette habilité ne doit pas être négligée par les syndicats, selon Danièle Linhart. Elle estime urgent, « au vu des stratégies patronales qui s’accélèrent et précarisent subjectivement toujours plus les travailleurs », qu’ils analysent cette relation salariale qui doit devenir plus démocratique. L’essai est implacable, mais cette idée eut mérité d’être précisée.

« L’insoutenable subordination des salariés ».

Danièle Linhart, éd. Érès, 288 pages, 25 euros.

Auteur

  • Lydie Colders