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L’immobilier, un secteur innovant

Dossier | publié le : 01.04.2021 | Lucie Tanneau

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L’immobilier, un secteur innovant

Crédit photo Lucie Tanneau

Les indépendants ont toujours existé au sein de l’activité immobilière. Depuis la création des agences mandataires puis du statut d’auto-entrepreneur, leur nombre a explosé. Les recrutements annoncés aujourd’hui dans la vente ne concernent même que des indépendants. Cette situation satisfait-elle les deux côtés de la profession ?

Anthony Lacaille a été pendant plus de vingt ans salarié, journaliste sportif dans un quotidien local. Depuis quatre ans, il est désormais mandataire immobilier indépendant, au sein du réseau IAD France. « Le secteur m’attirait, et c’est un vrai choix d’être indépendant, d’être son propre patron et d’avoir une liberté totale d’organisation », raconte-t-il. De toute façon, il le reconnaît. « La profession ne recrute quasiment plus de salariés, il reste les salariés qui sont là depuis longtemps, ou ceux des fonctions supports, de la gestion locative ou des syndicats, mais en vente pure, les métiers sont voués à se passer du salariat », prédit-il.

Dans le secteur de l’immobilier, la « loi Hoguet » permet, depuis un décret du 20 juillet 1972, la délégation de la carte professionnelle (carte T). L’agent immobilier peut ainsi habiliter à négocier, à s’entremettre ou à s’engager pour son compte un négociateur immobilier. Négociateur qui peut être salarié ou agent commercial (indépendant) et qui doit seulement faire valider son attestation de délégation par le président de la CCI compétente. « Ça a toujours existé », résume Sébastien Bareau, lui-même dans l’immobilier depuis vingt-cinq ans et aujourd’hui à la tête d’une société de portage dans le secteur (Patrimo Portage). Un flou juridique sur la délégation de carte T aux agents commerciaux, devenue interdite, oblige le législateur à clarifier les règles en 2004. La proportion d’indépendants dans l’immobilier ne fait que croître depuis.

Plusieurs raisons à cela : la naissance d’internet, d’abord, facilite largement la diffusion et la consultation des offres et permet donc le travail hors agences. La création des premiers réseaux de mandataires indépendants (CapiFrance et OptimHome) dès 2002 propose aussi un cadre à ceux qui veulent se lancer. Enfin, l’apparition du statut d’auto-entrepreneur en 2009 rend peu contraignant le démarrage d’une activité et les démarches juridiques pour tous ceux qui veulent créer leur entreprise.

Un argument de motivation

Pour Lise Bernard, sociologue au CNRS et auteure de La Précarité en col blanc. Une enquête sur les agents immobiliers (Presses universitaires de France) en 2017, l’indépendance peut satisfaire les deux parties dans le secteur particulier de l’immobilier. « Le directeur d’agence, d’un côté, y voit deux intérêts : un argument financier puisqu’en faisant appel à un négociateur indépendant plutôt qu’à un salarié, il supprime des charges fixes » (même si le salariat dans l’immobilier est déjà particulier en soi, car le salaire est pour partie une avance sur commissions, NDLR) et « un argument de motivation puisque l’indépendant est rémunéré à 100 % à la commission, ce qui peut donc l’inciter à s’investir dans son travail », analyse-t-elle. Face à lui, le négociateur indépendant peut aussi y trouver son compte. « Le statut d’indépendant contient la promesse d’une grande autonomie dans le travail. Pour des personnes qui auraient exercé auparavant une activité subalterne, l’entrée dans l’immobilier est vécue comme une ascension sociale, en raison des espoirs de revenus et d’autonomie qui l’accompagnent », poursuit-elle.

Surtout, par rapport à de nombreux autres secteurs, à qualification égale (c’est-à-dire assez faible pour beaucoup de nouveaux indépendants), l’immobilier peut offrir de meilleurs revenus et une meilleure image. « On voit d’anciens ouvriers agricoles, vigiles, sportifs professionnels… mais également des gens qui viennent de milieux sociaux plus élevés avec des frères ou sœurs devenus médecins ou avocats alors qu’eux sont sortis du milieu scolaire plus tôt. L’immobilier est pour ces derniers une façon de réparer une trajectoire descendante en s’offrant la possibilité de bien gagner leur vie, mais aussi de travailler avec une tenue vestimentaire soignée et de s’entretenir avec des clients aisés », éclaire la sociologue, qui comptabilisait 50 % d’indépendants parmi les négociateurs à la fin des années 2000. Ils étaient 6 000 mandataires indépendants en 2016. Ils sont plus du triple aujourd’hui dans les réseaux principaux, sans compter ceux qui travaillent pour délégation d’une des 60 000 agences immobilières aux côtés des 241 600 salariés du secteur recensés par l’Insee (toutes professions confondues, négociateurs, agents, gestionnaires immobiliers).

Un statut désormais choisi

« C’est dans l’air du temps de vouloir être indépendant, d’être plus libre pour cumuler sa vie professionnelle et sa vie privée, de décider d’emmener ses enfants à l’école et de prendre son mercredi sans avoir à négocier avec son employeur, démêle Philippe Buyens, le directeur général de Capifrance, l’un des cinq plus gros réseaux de mandataires en France. Il y a plus de 15 ans, le statut était subi. Il est désormais choisi. » Lui-même emploie au sein de son réseau « 100 % de conseillers indépendants », soit 3 000 personnes, et 100 salariés mutualisés avec OptimHome pour les fonctions supports, 50 autres dans le marketing et l’animation commerciale. « Ce statut a été développé il y a 40 ans, car dans l’immobilier, il n’y a pas de récurrence de chiffre d’affaires », reprend-il. « L’activité étant non lisse, l’indépendance sans charges fixes permet de se maintenir sachant que la rémunération (sur commission, NDLR) de l’indépendant est bien supérieure à celle du salarié », défend-il. Les salariés touchent en moyenne 20 % de la commission sur une vente, les agents commerciaux des agences 40 % et les mandataires « en home office » entre 70 % et 98 % selon les réseaux et le montant des ventes. « Ce sont des pourcentages qui font rêver, mais sur une vente à 300 000 euros, cela représente 6 000 euros, et l’on ne fait pas des ventes tous les jours », rappelle Sébastien Bareau qui soulève l’ambiguïté de ce statut d’indépendant où le mandataire ne dépend que d’un seul délégataire. « C’est une limite du système », affirme-t-il.

« Il y a pu avoir des cas de requalification », confirme Lise Bernard. Pour Anthony Lacaille, commercial IAD France, on est pourtant loin d’un lien de subordination. « Nous payons un abonnement mensuel : ce n’est pas du tout une adhésion, c’est un pack qui nous permet de diffuser gratuitement nos annonces sur les principaux canaux (Leboncoin, SeLoger, Just-immo…), ce qui est un avantage énorme, et nous fournit une assistance juridique, technique et de gestion. Avec le service formation inclus. Ce n’est pas cher par rapport à ce qu’il y a derrière et c’est l’investissement minimal de l’entreprise », balaie-t-il. Car depuis la promulgation de la loi du 24 mars 2014, les négociateurs immobiliers doivent justifier de leur compétence professionnelle. Chez Capifrance, ce pack est un « contrat de prestations de service » (à 199 euros/mois), une « matière première pour travailler avec un contenu précis (logiciel d’estimation, vitrine commerciale, formations, logiciel métiers…) », détaille Philippe Buyens.

Un métier de reconversion

La crise peut-elle changer la donne ? « Le mouvement peut être dans les deux sens », tente de répondre ce dernier. « Ceux qui ont démarré l’an dernier risquent d’être fragilisés, mais pour les plus expérimentés, tout peut être fait à distance et donc le secteur résiste bien », analyse-t-il, même s’il faut être capable de vivre sans revenu pendant plusieurs mois entre deux ventes. Capifrance dit avoir reçu 45 % de candidatures en plus l’an dernier alors que le réseau a annoncé le recrutement de 1 500 conseillers (indépendants) en 2021. « C’est un métier de reconversion, assez peu de personnes arrivent après un BTS Professions immobilières en faisant carrière toute leur vie dans le secteur. La crise peut donc encourager des gens à se lancer avec l’idée que dans l’immobilier, on peut réussir même si les ventes sont un peu ralenties », complète Lise Bernard. « L’immobilier peut être un secteur porteur, car les Français adorent la pierre », souligne Sébastien Bareau pour qui, même si le métier « s’ubérise » avec les réseaux de mandataires, le portage peut tirer son épingle du jeu de la crise. « La demande existait déjà – le principal réseau de portage en immobilier, FCI, existe depuis quinze ans et compte 10 000 personnes en portage – mais on voit une forte augmentation depuis 2020 », indique le créateur de Patrimo Portage, qui héberge 30 conseillers en gestion de patrimoine au sein de son agence. « Tout le monde n’est pas capable d’être indépendant et le portage permet un « mix »avec plus de protection sociale : ce peut être une troisième voie d’exercice concernant la transaction immobilière », plaidait-il dans une tribune qu’il a écrite en novembre dernier. « Ce serait un moyen d’offrir une couverture sociale, juridique, administrative et comptable aux premiers concernés : les commerciaux en transaction immobilière. Tout le monde aurait à y gagner, car collaborer avec une personne plus sereine au quotidien permet d’accroître sa productivité », défend-il sachant qu’il faut en passer par une évolution de la législation pour « régulariser » une situation existante.

Une idée intéressante pour le DG de Capifrance même si « les frais dus par l’indépendant à la société de portage baissent sa rémunération », met-il en garde. Alors que 50 % des agents commerciaux sont encore sous statut d’auto-entrepreneur (et 50 % en entreprise individuelle, laissant supposer une performance accrue), la promesse de devenir riche et libre en s’installant dans l’immobilier n’est pas complètement tenue.

Auteur

  • Lucie Tanneau