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« En tant que formes nouvelles de travail, les plateformes sont encore peu contrôlées »

Dossier | publié le : 01.04.2021 | Dominique Perez

Votre rapport, paru en décembre 2020, constate que « 75,7 % des travailleurs des plateformes interrogés se considèrent comme des employés et seulement 7,6 % comme indépendants ». Quelles sont leurs véritables aspirations ?

Jean-Yves Frouin : Je crois qu’il y a deux catégories de situations, on peut même dire qu’il y en a trois, sans qu’il soit aisé de déterminer la part de chacune d’elles : l’aspiration à travailler de manière autonome et à déterminer librement aussi bien l’organisation de son travail que ses conditions de travail est réelle, favorisée par l’avènement du numérique, mais ne concerne ou ne peut concerner qu’une population assez ou très qualifiée en mesure d’offrir des prestations techniques pointues et de les négocier. Mais le plus souvent, ces formes de travail (autonome) et sous un statut d’indépendant ne répondent pas à une véritable aspiration, mais à l’opportunité de trouver une activité rémunérée dans un marché du travail tendu pour une population peu qualifiée ou déqualifiée. Il y a sans doute aussi une troisième catégorie de situation, qui est une variante de la précédente, correspondant à une population qui, non seulement n’est pas très qualifiée, mais au surplus a quitté le marché du travail depuis longtemps, est complètement désinsérée socialement et ne pourrait pas immédiatement réintégrer le marché du travail par un recrutement comme salarié faute de pouvoir supporter le lien de subordination et ses contraintes. Pour cette dernière population, le travail autonome peut représenter un sas nécessaire pour se réinsérer.

Vous semble-t-il possible, et à quelles conditions, de « réguler » les pratiques des plateformes, quand les dérives (notamment la sous-traitance) sont nombreuses et pour le moment peu contrôlées ?

J.-Y. F. : Les pratiques des plateformes de travail recourant à des travailleurs indépendants s’inscrivent dans le mouvement d’externalisation en cours depuis un certain nombre d’années. En tant que formes nouvelles de travail, les plateformes sont encore peu contrôlées, la régulation les concernant étant récente également. Réguler leurs pratiques, c’est-à-dire encadrer leur mode de fonctionnement en précisant les conditions et modalités d’exercice de leur responsabilité sociale et en définissant leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation (comme l’exprime l’article L. 7342-9 du Code du travail à propos du contenu de la charte qu’il prévoit), est évidemment possible. Mais doit-il s’agir d’une autorégulation par la voie de l’établissement d’une charte par les plateformes ou (mieux) par la voie d’un dialogue à mettre en place entre représentants des plateformes et représentants des travailleurs des plateformes, ou doit-il s’agir d’une régulation par les pouvoirs publics en la forme de dispositions impératives ? Sans doute les deux, comme il est suggéré dans le rapport que j’ai déposé, dans des proportions à déterminer.

Vous préconisez la nécessité d’offrir à chaque citoyen un portefeuille de droits sociaux portables d’une activité à l’autre, sur le modèle du CPF et de la formation. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une piste de travail envisagée par le gouvernement et les partenaires sociaux ?

J.-Y. F. : La portabilité des droits est une idée déjà ancienne sur laquelle beaucoup des parties prenantes s’accordent, mais qui subit des évolutions variables (accélération suivie de ralentissement) : ainsi la loi Travail paraissait en faire un objectif essentiel (compte personnel d’activité), mais qui semble aujourd’hui un peu oublié. Il est fort probable ce soit une piste de travail envisagée aussi bien par le gouvernement que par les partenaires sociaux, mais il est vrai qu’elle cède souvent devant d’autres priorités alors qu’elle est, par elle-même, une priorité.

Et quid du « statut unique de l’actif » ?

J.-Y. F. : S’agissant du statut unique de l’actif, vieille question prospective vers laquelle on doit tendre, j’ai été un peu surpris qu’elle ait été intégrée dans la mission élargie qui m’a été confiée par les pouvoirs publics au nombre des problématiques à traiter. Compte tenu du champ très large de cette mission, il n’a pas été possible d’y consacrer de très longs développements dans le rapport, mais son intégration dans le champ de la mission signifie que, pour les pouvoirs publics, c’est un objectif à prendre en compte et à poursuivre.

Auteur

  • Dominique Perez