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Décodages

Saint-Nazaire, touché mais pas coulé

Décodages | Conjoncture | publié le : 01.04.2021 | Dominique Pérez

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Saint-Nazaire, touché mais pas coulé

Crédit photo Dominique Pérez

Des fleurons de l’industrie aéronautique et navale et une myriade de sous-traitants, fortement liés à leur santé économique… Le bassin d’emploi de Saint-Nazaire, touché de plein fouet par la crise, retient son souffle. Enjeu majeur : conserver les compétences pour être prêt au moment de la reprise.

La nouvelle est venue comme une bouffée d’air frais dans un ciel plombé. Airbus, qui a réduit ses cadences de production de près de 40 % suite à la crise sanitaire, après avoir annoncé en juillet 2020 15 000 suppressions de postes, ne procédera finalement pas à des licenciements secs, ni en France ni Allemagne ni au Royaume-Uni. Une bonne nouvelle pour Nantes et Saint-Nazaire, qui représentent le deuxième site français de l’avionneur après Toulouse avec 5 900 salariés (dont 3 200 à Saint-Nazaire. Airbus a même annoncé en novembre 2020 la construction d’une nouvelle ligne d’assemblage sur le site nazairien, destinée aux A 320. Cependant, personne ne crie victoire sur un bassin fortement dépendant de l’industrie. à Saint-Nazaire, où le taux de chômage, bien qu’en baisse en 2020, était déjà un peu plus élevé que dans le reste de la Loire-Atlantique (7,10 % contre 6,40 % en 2020), le choc est d’autant plus violent qu’en février 2020 encore, tous les indicateurs étaient au vert. « En dix ans, les emplois industriels y ont connu une hausse exceptionnelle », souligne Antoine Delmas, chargé d’études à l’Agence de développement de la région nazairienne (ADDRN). De + 22 % entre 2010 et 2019, pour une baisse de 4 % en France, avec une progression « très impressionnante » dans l’aéronautique (+ 61 %) et dans l’industrie navale (+ 40 %). « Ceci hors sous-traitants, qui ne sont pas comptabilisés dans les enquêtes », précise le chargé d’étude. Au niveau régional, ces sous-traitants représenteraient « environ 30 000 salariés, dont environ 15 à 20 % des effectifs seront sans doute touchés aujourd’hui par la crise », estime Régis Belliot, délégué syndical CGT d’Airbus Saint-Nazaire et élu au comité central d’entreprise.

Les sous-traitants impactés.

Altran, AAA, Mecachrome Atlantique… les PSE s’enchaînent chez des dizaines de sous-traitants impactés par la crise sur les bassins d’emploi nazairien et nantais. « Pour eux, 2020 a été catastrophique, 2021 va être pire, prédit Hicham Chafi, secrétaire général des métaux CFDT en Loire-Atlantique. Des négociations sont en cours chez la plupart d’entre eux. L’une des premières mesures des donneurs d’ordre a été d’internaliser la production. Si aujourd’hui une partie de la sous-traitance tient encore, c’est grâce aux mesures d’aides de l’État et du chômage partiel, mais la sous-traitance aéro est sous perfusion. » Chez Stelia Aérospace, sous-traitant de rang 1 d’Airbus, où 704 suppressions de postes étaient prévues sur toutes ses implantations, dont 201 à Saint-Nazaire sur un effectif de 950 personnes, le PSE a permis de n’enregistrer aucun départ contraint. Massivement utilisé, le recours à l’APLD (activité partielle de longue durée) a permis dans cette entreprise de « sauver » 121 postes. Mais à quel prix ? « 151 postes en atelier étaient occupés par les intérimaires, avec les départs en retraite l’emploi en interne a été sauvé », dit Jérémy Guinné, délégué syndical CFDT de l’entreprise. Mais les intérimaires ont pris cher. »

Reprise dans l’intérim.

Sans doute moins visibles, mais particulièrement touchés car travaillant essentiellement en production, les intérimaires ont, en effet, été les premiers à déserter les entreprises de l’aéronautique. « Une de nos premières prises de parole concernant le PSE d’Airbus concernait les intérimaires, confirme Hicham Chafi. Du jour au lendemain, 650 d’entre eux ont quitté le site d’Airbus à Saint-Nazaire, et c’est le cas chez les sous-traitants aussi. » Chez Interactions à Saint-Nazaire, qui compte de nombreux clients sous-traitants industriels, on constate bien que « les premiers fusibles sont les intérimaires », confirme l’agence d’intérim Interaction à Saint-Nazaire. Ayant connu une réduction d’activité de 50 % pendant le premier confinement, l’agence a repris son activité d’avant la crise pour « 75 % à 80 %, explique Élodie Lepape, responsable de l’agence. Au moment du deuxième confinement, la reprise était déjà nette, sauf dans l’aéronautique. Aujourd’hui, dans ce secteur, des profils plus tertiaires commencent cependant à reprendre, connexes à l’aéronautique. Mais pas chez les sous-traitants. « Avec une tendance nouvelle, liée à la crise : « Une demande de polyvalence de plus en plus importante sur des postes proposés, pour s’adapter à une situation mouvante. » à Pôle emploi, même constat, avec une baisse du nombre d’offres d’emploi qui concerne tous les profils, ouvriers spécialisés, ouvriers qualifiés, employés qualifiés, techniciens et cadres. « Si les offres enregistrées sont en forte baisse pour tout le secteur industriel, avec 403 offres d’emploi publiées par Pôle emploi en 2020 contre 1 283 en 2019, la baisse est largement imputable aux domaines de l’aéronautique et du naval (deux offres enregistrées pour la construction aéronautique et spatiale en 2020 !).

Côté cadres, l’inquiétude est moins palpable, pour un marché de l’emploi plus régional. L’Apec compte 31 % d’offres d’emploi cadres en un an sur le bassin de Saint-Nazaire. « Mais au niveau régional, nous avons une industrie tournée vers le futur, et pas vieillissante, constate Michèle Sallembien, déléguée régionale de l’Apec. Quand on est plutôt à 15 % de l’emploi cadre dans l’industrie au niveau national, nous sommes plutôt à 18-19 %, et à Saint-Nazaire même un peu plus. Les cadres en poste dans l’aéronautique vont certainement être touchés, mais ils ont quand même plus de facilités à se réinsérer dans d’autres secteurs, notamment dans les énergies marines renouvelables (EMR), qui se développent dans la région. »

Prudence pour la navale.

Autre fleuron industriel nazairien, les Chantiers de l’Atlantique sont ainsi concernés directement par le développement des EMR. Mais la prudence règne. L’avenir des paquebots géants que l’on construit ici, dépendant du marché de la croisière, est très incertain. Bénéficiant cependant d’un carnet de commandes plein pour les trois ans à venir, « les Chantiers » (3 000 salariés) misent d’abord sur la mobilité interne, commente Béatrice Gouriou, la DRH. Nous avons tout de même continué à recruter en 2020, de façon moins massive. Nous devions être environ à 400 embauches en 2019, mais c’était une année exceptionnelle. En 2020, le plan de recrutement a été de 250, en légère baisse, mais à peu près conforme aux prévisions. « Avec des profils toujours en pénurie, comme les chaudronniers, les techniciens en bureau d’études et les cadres généralistes ou aux compétences très pointues, notamment dans l’électricité et en informatique. « Des profils toujours difficiles à attirer : il y a une crainte tangible de quitter son emploi et la mobilité d’une entreprise à l’autre s’est réduite », constate Béatrice Gouriou.

Faciliter une mobilité interentreprises est à l’ordre du jour sur un bassin d’emploi interconnecté. Le « système d’entraide entre entreprises est réel », souligne Béatrice Gouriou. L’un des objectifs : le transfert de salariés d’un secteur très atteint, l’aéronautique, vers d’autres moins impactés. « Nous avons beaucoup d’échanges sur ce sujet. Nous avons mis à disposition une liste de nos emplois, et des mises à disposition ou prêts de personnel se mettent en place, nous accueillons une vingtaine de salariés d’autres entreprises actuellement. » Parallèlement, l’école des Chantiers de l’Atlantique poursuit ses activités de formation aux métiers de soudeur et de charpentier métaux, toujours en tension. Ne pas faiblir sur la « relève » est l’un des enjeux forts du territoire. Plus globalement, les regards se tournent vers un apprentissage industriel qui, porté par les aides de l’État, ne semble pas, aujourd’hui touché par la crise. « Nous avions, en 2019, 236 inscrits dans nos CFA, 255 en 2020, on est déjà à 260 demandes de jeunes en 2021 », constate Alain Allaire, président de l’UIMM. Mais « nous avons quand même un problème de visibilité sur la suite », modère Hervé Thomas, délégué général. « Le message actuellement est de convaincre les entreprises de ne pas se départir des compétences dont elles auront besoin au moment de la reprise. »

Auteur

  • Dominique Pérez