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L’industrie pharmaceutique cherche des talents

Décodages | Recrutement | publié le : 01.04.2021 | Lys Zohin

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L’industrie pharmaceutique cherche des talents

Crédit photo Lys Zohin

Conscient du fait que les visiteurs médicaux doivent être désormais plus agiles, plus digitaux, plus « entrepreneurs », le secteur de la pharmacie tente de rajeunir ses troupes et de diversifier les talents.

Fini le temps où des armées de visiteurs médicaux se rendaient chez les mêmes médecins, dans les mêmes hôpitaux, sur le même territoire, pour proposer les mêmes types de médicaments. Cette période, qu’Hervé Bolingue, dirigeant du cabinet Hapi Conseil, spécialiste en recrutement dans le secteur médical, qualifie « d’hystérie collective », a duré une dizaine d’années, des années 1990 au milieu des années 2000. Elle s’est achevée avec la mise en place, progressive, de dispositifs visant à limiter la consommation de médicaments en France et, par là même, à en réduire le coût pour les finances publiques. De contrôle des prix en déremboursement, de réglementations en droit de substitution pour des génériques, les laboratoires pharmaceutiques ont dû faire évoluer leur stratégie de promotion de leurs produits. Vers 2010, c’en était fini des méthodes à l’ancienne. Mais le métier de visiteur médical est resté. Même si, en raison de la cure d’amaigrissement imposée par l’État, leur nombre est passé en quinze ans de 23 000 à 8 000. Ainsi, en juillet 2020, Ipsen, troisième laboratoire pharmaceutique français, a-t-il annoncé son intention de supprimer 40 postes de visiteurs médicaux dans sa division de médecine générale, soit la moitié des effectifs de visiteurs médicaux de ce pôle dans l’Hexagone. Malgré cette tendance, le secteur, assez hétérogène, n’a pas, en dépit d’annonces récentes de plans de licenciements, perdu d’emplois l’an dernier. Au contraire, il a accru l’ensemble de ses effectifs de 0,5 %, selon Pascal Le Guyader, directeur général de Leem – Les Entreprises du médicament – le syndicat du secteur pharmaceutique. Sans oublier un recours massif à l’intérim, en raison notamment de la pandémie de Covid-19, ces derniers mois.

Aujourd’hui, le secteur pharmaceutique se trouve face à de nouveaux enjeux. « D’une part, entre la crise des Gilets jaunes, qui a mis en lumière les problèmes de territorialité et celle induite par le nouveau coronavirus, qui, elle, accentue la précarité de certains, les entreprises du secteur ont davantage pris conscience de leurs responsabilités sociales, territoriales et sociétales. Elles veulent désormais agir en ce sens », relève le directeur général de Leem.

Nouvel engagement collectif.

« Leur engagement collectif n’a pas été assez fort jusqu’à présent », ajoute-t-il. Ce nouvel élan, qui pourrait passer par des relocalisations de production sur certains territoires, correspond en outre à la volonté affichée du gouvernement français, la santé étant désormais considérée comme un domaine stratégique, puisque la crise sanitaire a souligné la dépendance de l’Hexagone – et du reste de l’Europe, d’ailleurs – vis-à-vis de médicaments ou de principes actifs fabriqués en Inde, en Chine ou ailleurs. « Mais nous ne pourrons relocaliser que si nous avons les talents sur place », prévient Pascal Le Guyader.

Et c’est là que le bât blesse… Pénurie de médecins et de pharmaciens, manque de chercheurs, de professionnels spécialisés et de managers : la révolution de l’industrie du médicament, qui veut dégager de la compétitivité et de la valeur ajoutée pour ses produits et ses services – les organismes payeurs privilégiant désormais les traitements innovants, plus chers mais plus efficaces – s’annonce complexe. « En outre, les laboratoires souhaitent diversifier les talents et rajeunir leurs effectifs. Depuis dix ans, l’âge moyen dans le secteur augmente, passant de 38 ans en 2010 à 42 ans aujourd’hui », précise Pascal Le Guyader. C’est vrai en tout cas pour une partie des professionnels du secteur. « Le rajeunissement souhaité ne concerne que les forces de ventes, précise en effet Laurence Bourgeois, qui a fait une partie de sa carrière dans le secteur pharmaceutique et est aujourd’hui consultante au sein d’Hébélome conseil, un cabinet spécialisé dans le consulting et le coaching en organisation et en performance durable, et partenaire de Hapi Conseil. « Et je suis frappée par la vitesse de cette évolution depuis un an environ », ajoute-t-elle.

Cette volonté de réinterpréter en particulier le métier de visiteur médical, dont les rencontres avec les prescripteurs sont encadrées par la Haute Autorité de santé, prend essentiellement sa source dans une nouvelle notion, qui implique pour ces professionnels de ne plus se contenter de leur rendre visite, mais de leur fournir un vrai service – et de préférence numérique.

Place au service.

« Le métier a changé, il va davantage dans le sens d’un nouveau rôle social et économique, fondé sur le respect de règles strictes et l’intérêt du patient », confirme Hervé Bolingue. Or, même s’ils ne vendent pas directement mais présentent seulement de nouveaux médicaments aux médecins ou aux hôpitaux en informant sur leur efficacité, les visiteurs médicaux ancienne génération, façon représentant de commerce, n’ont pas forcément cette philosophie en tête. Et quand bien même ils l’auraient, ils ne sont pas forcément armés pour la mettre en place. « Nous assistons à une demande de rajeunissement des profils, mais c’est plus lié à l’état d’esprit qu’à l’âge proprement dit », précise à cet égard le recruteur. Cette ambition pour un renouvellement des profils s’inscrit également dans des changements de stratégie, que l’on constate chez certains grands labos, comme Sanofi. Le géant français a annoncé en décembre dernier l’arrêt de ses activités de recherche dans le diabète et les maladies cardiovasculaires, pour se concentrer sur la médecine de spécialités – immunologie, maladies rares, neurologie et oncologie. Avec des suppressions d’emplois à la clé, dont un millier en France. Avant cela, en mars 2019, Sanofi avait annoncé la suppression de 200 postes de visiteurs médicaux.

Reste à savoir où trouver des jeunes, agiles et férus de numérique pour en faire les visiteurs médicaux de demain. L’accès à la profession est réglementé. Deux voies sont possibles pour obtenir la carte professionnelle, indispensable pour exercer : d’une part, des écoles privées, en partenariat avec le CPNVM (Comité professionnel national de la visite médicale) préparent, au cours d’une formation qui dure entre 9 et 12 mois, avec stage en entreprise, au titre de délégué pharmaceutique. Pour entrer en formation, il faut avoir un bac + 2 minimum (BTS, DUT, L2, Deust du domaine biologie ou scientifique), passer un examen sur dossier et subir des tests. D’autre part, des universités (en liaison avec le CNPVM), préparent à la formation de visiteur médical, dans le cadre d’un diplôme d’université à l’information médicale et pharmaceutique (diplôme de niveau bac + 3), proposé uniquement à Lille, d’une licence pro métiers de la promotion des produits de santé (à Aix-Marseille université, à l’université Toulouse III, et à l’université de Montpellier).

Ces formations fabriquent-elles assez de candidats en fonction des nouveaux critères des labos, qui veulent se défaire du côté « publicitaire » du métier pour en faire de vrais commerciaux, tournés vers le service aux médecins et aux hôpitaux ? En tout cas, écoles et universités avaient continué de former alors que la demande se tarissait. Ensuite, certaines avaient logiquement cessé de le faire… « Il y a de moins en moins de formations, regrette à cet égard Hervé Bolingue, et c’est de plus en plus difficile de trouver de nouveaux talents dans ce domaine. » Faut-il assouplir le système d’équivalences déjà en place ? Pour l’heure, un certain nombre de diplômes scientifiques, particulièrement les diplômes des professions médicales et paramédicales, permettent d’obtenir – sous condition de parrainage ou de pré-embauche par une entreprise, une dispense des enseignements scientifiques de la formation. Cependant, les candidats titulaires de l’un de ces diplômes doivent suivre la partie professionnelle de la formation et passer l’examen national pour postuler à un emploi de visiteur médical. Faut-il assouplir également le système de Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) ? La procédure permet de reconnaître l’expérience professionnelle et extra-professionnelle d’information promotionnelle sur des produits de santé acquise par un candidat dans une organisation du secteur de la santé. Cette VAE est ouverte aux candidats pouvant justifier une année (continue ou discontinue) d’expérience d’information promotionnelle au cours des dix dernières années. Faut-il aller chercher les futurs visiteurs médicaux dans les écoles de commerce, quitte à les former ensuite sur le médical ? Faut-il, enfin, ouvrir de nouvelles formations ? Pour l’heure, toutes les options semblent sur la table.

Quoi qu’il en soit, ces nouveaux profils devront, comme avant, coordonner les efforts, afin de rayonner sur un territoire, mais, en plus, faire preuve de davantage d’autonomie pour réellement piloter leur activité, activité qui doit être, en outre, transversale et multicanale – faite de présentiel, de vidéo, d’échanges de mails, voire de gestion de données et d’utilisation d’outils fondés sur l’intelligence artificielle. « Il y a encore deux ans, cette stratégie n’était pas développée dans la pharma, souligne Hervé Bolingue. Mais il semble que la pandémie ait accéléré cette nouvelle approche client ». Avant qu’elle ne soit généralisée, « les entreprises du secteur se battent pour les mêmes profils – les mieux formés – et se les volent entre elles, soupire Pascal Le Guyader. Il y a trop de consanguinité… ». Pour déjouer cette fatalité, « la pharma s’ouvre à des profils moins stéréotypés, souligne Laurence Bourgeois, et mise sur le savoir être, les soft skills, l’agilité, afin de mettre en œuvre des solutions innovantes, dont le numérique, considéré comme un axe de différenciation vis-à-vis des prescripteurs de médicaments, et qui seront sources de croissance ». En somme, résume-t-elle, « l’accent est mis sur le côté « entrepreneur ». Autrement dit, des spécialistes qui gèrent, d’une certaine façon, leurs affaires, même s’ils restent salariés des labos ». Ce qui pose, s’empresse-t-elle d’ajouter, « des questions sur le temps de travail, le lien hiérarchique et le statut ».

Plan stratégique.

Toujours est-il que le secteur est, sous l’égide du Leem, en passe d’élaborer un plan stratégique, qui passerait entre autres par une meilleure connaissance des métiers scientifiques de la part des jeunes, qu’il faudra sensibiliser au niveau des lycées, et en particulier dans les banlieues et la ruralité, par le biais, notamment, de partenariats noués avec l’Éducation nationale. « Nous voulons mettre en place une politique sociale pour l’emploi des moins de 26 ans et leur insertion dans le monde du travail. Avant, l’industrie pharmaceutique, ne cherchait que des jeunes déjà formés. Si nous n’élargissons pas notre horizon, nous aurons du mal à diversifier notre vivier de talents. Et nous misons également sur l’apprentissage, commente Pascal Le Guyader. L’an dernier, nos adhérents ont signé 6 000 contrats ». En outre, les laboratoires réfléchiraient à d’autres évolutions concernant les profils demandés pour d’autres postes que les visiteurs médicaux, afin de pallier la pénurie de médecins et de pharmaciens. Mais difficile d’avoir des informations sur la stratégie RH que des laboratoires. Dans la période actuelle, aucun n’a souhaité répondre à nos questions…

Auteur

  • Lys Zohin