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Ces entreprises qui font le choix de former leurs seniors

Décodages | Formation | publié le : 01.04.2021 | Irène Lopez

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Ces entreprises qui font le choix de former leurs seniors

Crédit photo Irène Lopez

Les salariés de 50 ans et plus sont parmi les plus stigmatisés au sein de l’entreprise. Moins productifs, moins faciles à manager, coûteux… Les qualificatifs négatifs sont légion lorsqu’on parle des salariés seniors. Pourtant, ils sont la mémoire du risque, fidèles, utiles à l’entreprise, empreints de savoir-faire et passeurs de la culture d’entreprise. Près d’une entreprise sur deux l’a compris en choisissant de maintenir dans l’emploi ses salariés expérimentés grâce à la formation.

Ils s’appellent Adrien, Sylvie et Pascal. Ils ont respectivement 58, 56 et 61 ans. Ils ont le dos qui craque, les douleurs au genou qui se réveillent par temps humide ou manquent tout simplement de souplesse à force d’avoir porté des colis dans les entrepôts d’un centre de logistique. Ils travaillent chez Toolog, une filiale logistique de Spartoo, un acteur de l’e-commerce spécialisé dans les chaussures. « Nous tenons à garder nos expérimentés car nous avons du mal à recruter, explique Amélie Darodes, responsable RH de la filiale. Nous tenons d’autant plus à garder nos seniors que nous sommes une entreprise humaine. Nous prônons le savoir être. Cela fait partie de nos valeurs. Avec leur accord, Adrien, Sylvie et Pascal ont été affectés au service des retours ». C’est dans ce service que reviennent les produits retournés par le client. L’agent regarde d’abord la raison du retour (produit non satisfaisant, problème de taille…). Après avoir qualifié le retour, l’agent s’attache à remettre la paire de chaussure en stock. Des fois, il suffit de nettoyer la semelle ou bien de repositionner les lacets pour remettre le produit au catalogue. « C’est un travail qui demande de la minutie et moins d’allers-retours dans les allées de l’entrepôt ». Adrien, Sylvie et Pascal ont appris à se servir du logiciel utilisé dans le service. La formation a été dispensée par d’autres salariés. Ce nouveau savoir leur assure de rester chez Toolog. Parmi les 107 salariés qu’emploie la filière logistique, 27 ont plus de 50 ans. Interrogés, les jeunes salariés (ils sont 19 à avoir moins de 24 ans) font preuve d’empathie envers leurs aînés. À eux l’envoi des produits sur les chaînes, la mise sous colis puis le transport jusqu’aux quais : « C’est normal. Un jour, on sera à leur place et on sera bien content de garder notre emploi », commente Cristelle.

Armer les responsables RH en charge des seniors.

Garder les seniors au travail, c’est aussi le défi de la SNCF. Le groupe public se veut exemplaire sur le sujet. Parmi les 150 000 collaborateurs qu’il emploie, 22 % ont 50 ans et plus. Sur cet effectif d’expérimentés, plus d’un sur deux a été formé au cours de l’année 2020. Houria Benni, en charge de la formation et des compétences métiers au sein de la DRH de la SNCF, égrène les statistiques valorisantes et précise que, l’année dernière, 17 % des mobilités internes ont concerné des salariés âgés de 50 ans et plus.

La stratégie de formation des salariés repose sur trois axes. Le premier a pour but d’anticiper l’évolution et l’accompagnement des compétences de cette cible. Pour cela, la SNCF dédie une partie de ses équipes RH aux seniors du groupe. « Parmi nos acteurs RH, il y en a qui sont spécifiquement formés et sensibilisés aux projets professionnels de cette cible. Nous proposons ainsi des formations à nos responsables RH en charge des seniors ainsi qu’à nos conseillers carrières. En bref, nous « armons » ceux qui sont en front office de cette cible », souligne Houria Benni.

Accompagner dans la maîtrise des nouvelles technologies.

L’accompagnement continu est le deuxième axe de la stratégie de la SNCF. « Nous sommes en vigilance constante, explique la responsable de la formation et des compétences métiers. Nous avons la spécificité d’avoir beaucoup de nos jobs soumis à une habilitation sécurité. C’est un garde-fou. Passé une certaine date, nous nous assurons que les collaborateurs sont à jour, tant sur les sécurités à avoir que sur les nouvelles technologies. Il n’y a aucune formation métier ferroviaire qui n’intègre pas les nouvelles technologies. Et ce, quel que soit le métier ferroviaire concerné ». Beaucoup de postes de circulation sont concernés. Les commandes manuelles ont cédé la place aux commandes automatisées. Le cheminot qui tenait le poste il y a vingt ans est le même aujourd’hui. « Il faut l’accompagner dans la maîtrise des nouvelles technologies, martèle Houria Benni. Nous n’avons pas d’autre choix que de le faire monter en compétences. C’est une dynamique enclenchée depuis quelques années ».

Même pour les aspects plus généraux, personne n’est laissé de côté à la SNCF. Du pack office à l’outil de visioconférence Teams en passant par les réseaux sociaux, tout le monde est formé. « La crise nous a aidés à accélérer le pas. Nous avons multiplié les tutoriels et autres ateliers pratiques, confie la responsable. À l’initiative de l’école numérique interne à la SNCF, nous avons opté pour une démarche de reverse mentoring : des jeunes salariés ont accompagné des collègues plus âgés qu’eux dans la prise en main de leur messagerie électronique, de Teams… Cela a été un franc succès. Les mentors sont des volontaires, tout comme le salarié âgé formé. Avec deux volontaires, cela ne peut que bien se passer. »

Faire bénéficier tous les salariés de la formation.

Enfin, le suivi est le troisième axe qui vient compléter la stratégie de la SNCF en matière de formation. Le département formation, dirigé par Houria Benni, est mandaté par le DRH du groupe pour s’assurer que tous les salariés sont bénéficiaires de la formation. Chaque trimestre, des indicateurs désignent quels salariés doivent bénéficier de formations. La direction des ressources humaines du groupe SNCF accorde beaucoup d’importance à l’entretien professionnel. « Notamment pour les seniors, s’empresse d’ajouter la responsable. Nous les suivons comme le lait sur le feu. Obligation légale de tout employeur, l’entretien professionnel est un moment privilégié d’échanges construit autour du projet professionnel du salarié. Nous faisons le point des compétences actives et de ce qu’il manque pour que le salarié puisse mener à bien ses missions. »

À la SNCF, les retours des salariés âgés formés sont positifs. Si les nouvelles technologies ont pu faire grincer des dents certains seniors en charge de la maintenance prédictive du matériel roulant, avec le recul, ils reconnaissent qu’utiliser une tablette pour anticiper les pannes est « facilitant pour le job du quotidien ».

D’autres ont témoigné auprès de leur manager : « Ça nous maintient à niveau, dans l’air du temps. » Certes, l’usage des réseaux sociaux leur est désormais utile dans leur travail mais « je serai moins has been avec mes gamins, sur Snapchat ou Facebook », a confié un salarié quinquagénaire.

Le groupe SNCF et la filiale logistique de Spartoo font figure des bons élèves en matière de maintien des seniors dans l’emploi. Selon une étude réalisée par l’ANDRH en novembre 2019, moins de la moitié des entreprises (45 %) mettent en place des pratiques visant à maintenir l’emploi des seniors.

Deux rapports d’information au Sénat en deux ans.

Le sujet a fait l’objet de plusieurs rapports d’information au Sénat. En septembre 2019, Monique Lubin, sénatrice (PS) des Landes et René-Paul Savary, sénateur (LR) de la Marne, appellent à « faire de l’emploi des seniors une cause nationale ». Les rapporteurs suggèrent de renforcer l’accès à la formation dès 45 ans en mobilisant une partie des crédits destinés au plan d’investissement dans les compétences et en abondant le compte personnel de formation des salariés seniors. En janvier 2020, un nouveau rapport arrive au Sénat, rédigé par Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexo, Jean-Manuel Soussan, directeur des ressources humaines du groupe Bouygues Construction et Olivier Mériaux, ancien directeur général adjoint de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Ils prônent, entre autres, le renforcement des outils et pratiques de développement des compétences à l’abord de la seconde partie de carrière. Ils conseillent également que soient mis en place des nouveaux mécanismes incitatifs permettant de flécher davantage de financements vers les formations nécessaires aux reconversions pour une « deuxième carrière ».

Si les leviers d’action proposés diffèrent entre les deux rapports, tous deux insistent sur la nécessité d’un changement des mentalités. Les entreprises ne seront pas enclines à former leurs seniors pour les maintenir dans l’emploi tant qu’un salarié de plus de 50 ans sera considéré comme moins utile à l’entreprise que son collègue plus jeune.

Auteur

  • Irène Lopez