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“La santé au travail est une responsabilité individuelle et collective”

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2021 | Jean-Paul Coulange, Gilmar Sequeira Martins

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“La santé au travail est une responsabilité individuelle et collective”

Crédit photo Jean-Paul Coulange, Gilmar Sequeira Martins

Alors que la crise sanitaire dure depuis un an, Laurent Pietraszewski livre son analyse sur l’évolution des rôles respectifs des partenaires sociaux, de l’entreprise et de la médecine du travail sur la protection de la santé des salariés.

L’entreprise est-elle amenée à jouer un nouveau rôle pour préserver la santé des salariés ?

Laurent Pietraszewski : Avec la crise sanitaire, le rôle de protection des salariés par l’entreprise, qui repose sur une obligation légale portée par l’employeur, est devenu plus visible. Mais la crise a aussi poussé changé la vision des enjeux de sécurité et de santé des salariés, au sein de l’entreprise. La santé au travail n’est plus seulement l’affaire du médecin du travail ou des ressources humaines, c’est devenu l’affaire de tous. Elle est devenue une préoccupation à la fois individuelle et collective, où l’État joue aussi son rôle. Nous avons ainsi rédigé plus de 90 protocoles de reprise d’activité entre mai et juin 2020. Les organisations professionnelles ont demandé que les organisations syndicales soient associées à l’élaboration de ces documents. Cela montre que la crise sanitaire a fait sortir la santé au travail du cercle des spécialistes.

Certains dirigeants d’entreprise ont eu des inquiétudes au début de la crise quant à l’engagement de leur responsabilité pénale. Étaient-elles justifiées ?

L. P. : Sur le terrain, les salariés et leurs représentants ont vu que les entreprises ont réagi rapidement pour mettre en place les protections nécessaires. La maturité du dialogue social et le sens des responsabilités de tous les acteurs ont levé cette inquiétude. Toutes les parties prenantes se sont réunies pour apporter des réponses.

Quel rôle doivent jouer les entreprises dans la campagne de vaccination ?

L. P. : Le Gouvernement a fourni aux partenaires sociaux une feuille de route afin que la médecine du travail apporte sa contribution à nos enjeux de santé publique dès 2018. La crise sanitaire a donné vie à cette évolution. Les médecins du travail peuvent désormais, depuis le 25 février, administrer le vaccin contre la Covid-19 comme les médecins de ville. Actuellement, dans le cadre de la médecine du travail, la vaccination est ouverte pour les salariés de plus de 50 ans qui souffrent d’une comorbidité. Les médecins du travail sont donc acteurs de la lutte contre la pandémie. Plus de 1 000 médecins du travail sont déjà engagés dans des opérations de vaccination.

La réforme de la santé au travail en cours de discussion au Parlement porte-t-elle la marque de la crise sanitaire ?

L. P. : Les partenaires sociaux avaient manifesté une réelle envie de faire bouger les choses avant la crise sanitaire. Il y a eu une coïncidence des événements. L’ANI sur la santé au travail a pris en compte certains aspects liés à la crise sanitaire et, par conséquent, la proposition de loi aussi. Les partenaires sociaux ont fait évoluer leur regard en fonction de ce qu’ils ont vécu. Il faut rappeler qu’aboutir à un accord n’avait rien d’évident. Aussi bien sur la santé au travail que sur le télétravail, ces accords ont permis de traduire la maturité observée dans les actions menées sur le terrain pour protéger les salariés. Les salariés n’auraient pas compris que les organisations patronales et syndicales ne s’entendent pas sur la façon d’organiser le télétravail alors que c’est leur quotidien. Pour que la démocratie sociale reste connectée au terrain, elle doit produire des résultats. Il y a cinq ans, cela n’aurait pas été aussi simple. La crise sanitaire a stimulé la conclusion des accords et elle a réinterrogé les pratiques.

La réforme des IRP réduit-elle leur capacité à protéger la santé des salariés ?

L. P. : Les réunions du CHSCT et du CE se ressemblaient beaucoup puisque 80 % des élus de la première instance siégeaient aussi dans l’autre. Une seule instance permet de balayer tous les sujets. Il est normal d’avoir une CSSCT sur les sites ayant plus de 300 salariés et les sites spécifiques classés Seveso, par exemple. Mais dans les petites entreprises, fallait-il deux instances ? Toutes les prérogatives du CHSCT ont été transférées au CSE, y compris la capacité d’ester en justice, de recourir à des expertises, etc. En termes opérationnels, les CSE sont aussi bien dotés que les CHSCT.

Sur le télétravail, quels sont les freins que la crise a levés ?

L. P. : Toutes les parties prenantes ont fait bouger les lignes. Les employeurs et les managers ont fait évoluer leur postulat initial et associent désormais télétravail et productivité. De leur côté, les salariés doivent nourrir la confiance en respectant les engagements pris. L’employeur doit former les managers car le management à distance n’est pas inné et demande un autre type d’organisation. Sur le télétravail, la dimension informelle est un point de vigilance car il peut manquer.

Quand la loi sur la santé au travail entrera-t-elle en vigueur ?

L. P. : J’espère que la proposition de loi sera votée par le Parlement avant la fin de l’été. Nous nous inscrivons dans cette perspective. Avant la fin de l’année, nous devrions ainsi avoir publié un maximum de décrets. Dans chaque ministère, il y a maintenant un conseiller spécialement dédié au suivi des réformes. Cela permettra, tout comme ce fut le cas pour les ordonnances travail, que les décrets d’application soient tous publiés dans les six mois suivant la promulgation de la loi.

Comment comptez-vous rendre plus attractives les carrières de médecin du travail ?

L. P. : La médecine du travail doit s’adresser aux salariés en tenant compte de la diversité de leurs parcours professionnels. Jusqu’à présent, les salariés déclarés aptes s’engageaient pour 40 ans dans la même activité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les carrières sont plus diversifiées et il faut une autre approche de la santé au travail. Comme celle des salariés, la carrière des médecins n’est plus linéaire. Aujourd’hui, beaucoup de généralistes décident de basculer vers la médecine du travail et entament un DU « médecin collaborateur » à la sortie de l’internat. L’évolution du rapport au statut, au parcours et à l’activité professionnelle fait venir des médecins vers la médecine du travail à d’autres étapes de leur carrière. La crise sanitaire devrait permettre de consolider cette dynamique. Avec la proposition de loi, les médecins du travail accompagneront davantage sur le terrain les employeurs, les salariés, les IRP. Ils vont devenir des animateurs d’équipes pluridisciplinaires. Le médecin du travail ne sera plus seul dans son cabinet. C’est une évolution forte de leur mission. Je suis convaincu que la crise sanitaire va susciter des vocations car elle a remis en évidence l’importance de la médecine du travail.

La réforme des retraites sera-t-elle relancée ?

La crise sanitaire a bousculé l’agenda sur les retraites, mais la réforme reste évidemment utile. Le système actuel est injuste, en particulier pour les salariés qui ont eu des carrières hachées et qui doivent travailler jusqu’à 67 ans pour annuler la décote. De la même façon, la question du niveau des pensions pour les salariés ayant fait toute leur carrière au Smic méritait d’être débattue. Il reviendra naturellement au président de la République de décider du calendrier sur l’avenir de notre système de retraites. Ces enjeux sont par ailleurs très cohérents avec tout ce que nous venons de partager sur la santé au travail, et plus largement sur la qualité de vie au travail et les parcours professionnels. Il faut anticiper plutôt que d’aller vers la réparation lorsqu’un salarié a été durablement exposé à un risque. D’où la visite de mi-carrière à 45 ans proposée dans la proposition de loi sur la santé au travail. Les branches pourront proposer que cette visite ait lieu avant l’âge proposé ou même des visites plus régulières, tous les cinq ans, dans les métiers où elles estimeront que cela peut être utile.

Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail

Après une carrière de cadre au sein du groupe Auchan, Laurent Pietraszewski est élu député du Nord en 2017. Il sera aussi représentant de l’Assemblée nationale au Conseil d’orientation des retraites (COR) et, surtout, rapporteur des lois de ratification des ordonnances pour le renforcement du dialogue social. En décembre 2019, il devient secrétaire d’État en charge du projet de réforme de retraites avant de se voir confier, depuis août 2020, la santé au travail.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange, Gilmar Sequeira Martins