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Pas toujours simples, les reconversions internes

À la une | publié le : 01.04.2021 | Judith Chétrit

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Pas toujours simples, les reconversions internes

Crédit photo Judith Chétrit

Même avant la crise, qui pourrait l’imposer comme une solution de repli en contexte de restructuration, l’appétence pour la gestion de compétences et les reconversions internes restait certes en progression mais modérée, surtout si les recrutements externes sont privilégiés, voire des contrats de sous-traitance pour des métiers catégorisés sensibles.

Électrique, services connectés, automatisation : c’est le triptyque stratégique qui transparaît dans les dernières études de l’Observatoire des métiers du groupe PSA (désormais Stellantis depuis la fusion avec Fiat Chrysler). Autant de perspectives de reconversion donc pour les quelque 550 emplois jugés « sensibles », autrement dit en perte de vitesse en 2020 chez le constructeur automobile. Pour les effectifs concernés, qui représentent un septième de la masse salariale, cela signifie, à terme, un changement de fonction ou un départ qui ne sera pas remplacé. Sont notamment ciblés les salariés spécialisés dans le diesel dont « les compétences seront nettement moins utiles après 2025 ».

Parallèlement à cette instance paritaire de prospective s’intégrant dans un accord sur l’accompagnement des emplois et des compétences, un programme intitulé Top Compétences, créé en 2012, doit encourager et faciliter les reconversions individuelles allant dans ce sens chez PSA avec des cursus de 80 heures s’étalant sur un an et demi en moyenne dans la mécanique, la conception véhicule et l’électricité-électronique. Celui-ci a réellement décollé ces trois dernières années avec un millier de parcours prévus pour 2021. « Ce programme est beaucoup plus utilisé pour les cadres et techniciens agents de maîtrise dans les directions industrielles et recherche et développement que dans les usines de production », relève Christine Virassamy, déléguée syndicale centrale CFDT qui estime que le budget alloué « n’est pas à la hauteur et génère des frustrations » Dans les usines, l’entreprise fait évoluer des « conducteurs d’installation » vers des postes de « pilotes de systèmes de production » avec des formations de plusieurs mois d’ici 2022.

Mobilité interne

Dans l’automobile, les transitions en cours, le recul du marché et les volumes d’emplois concernés représentent un facteur de pression supplémentaire. Certaines entreprises en ont bien conscience, la branche de la métallurgie aussi. Pour la filière mosellane, une enveloppe de deux millions d’euros de l’OPCO 2I a suivi la signature d’un accord signé entre l’UIMM Lorraine et les organisations syndicales pour mieux accompagner les besoins en reconversion des entreprises, notamment les sous-traitants en amont des lignes de production de PSA et de Smart travaillant dans la mécanique et la fonderie, très exposées au déclin du diesel, ou la forge d’acier. « Si les employeurs sont hésitants sur le coût, notamment ceux qui ne sont pas uniquement clients du secteur automobile, cela présente l’intérêt d’être élargi et incitatif », avance le président de l’UIMM Lorraine, Hervé Bauduin. C’est pourquoi un volet du plan de relance, à hauteur de 15 milliards d’euros, y est consacré pour muscler « le développement des compétences » grâce notamment aux 270 millions d’euros ajoutés au dispositif de reconversion par l’alternance au sein d’une même branche, la Pro-A, dépendant toutefois d’un accord préexistant ou le CPF de transition professionnelle. Des abondements sont même prévus pour les demandeurs d’emploi et les salariés qui choisiront d’utiliser leurs droits CPF pour se former à des métiers dans la transition écologique, numérique ou le soin. Encore faut-il que, tant côté individuel qu’employeur, ces leviers soient d’abord suffisamment dotés, puis simples et rapides à activer. « Le passage à l’acte tétanise encore beaucoup », pointe Frédéric Petitbon, associé PWC et co-auteur de « Upskilling – les 10 règles d’or des entreprises qui apprennent vite » (Dunod, 2020).

Forcément, les plans sociaux et autres réductions d’effectifs en cours et à venir changent la donne – et la manière dont l’enjeu est abordé en interne. Dans la batterie de mesures négociées pour accompagner les salariés sur la sellette figure quasi toujours la piste des reconversions professionnelles, mais elles sont surtout envisagées en externe et plus rarement en interne même si c’est parfois un moyen de réduire le nombre de départs. Même dans les rangs syndicaux, la défense d’un métier et d’une identité dans un plan de restructuration peut parfois primer sur la mise en œuvre de projets de reconversion. Animateur métallurgie à la CGT de la Nièvre, Cédric Gaillard reconnaît une « sous-exploitation du sujet aussi bien pour des raisons géographiques ou liées au métier » dans les sites d’U-Shin (fabrication d’antivols et de verrous pour voitures) et Aubert &Duval (métallurgie des poudres) où il accompagne les élus confrontés à des suppressions de postes. Le cercle est vicieux, selon lui : plus les effectifs diminuent, plus les perspectives de mobilité s’amoindrissent. « Il faut voir l’organisation du travail de ceux qui resteront derrière, avec une problématique de mise à niveau, de compétences qui disparaissent ou de transmission du savoir-faire », ajoute-t-il.

Identifier les passerelles

Même avant la crise, qui pourrait l’imposer comme une solution de repli en contexte de restructuration, l’appétence pour la gestion de compétences et les reconversions internes restait certes en progression mais modérée, surtout si les recrutements externes sont privilégiés, voire des contrats de sous-traitance pour des métiers catégorisés sensibles. « Nous ne parlons pas vraiment de reconversions car il y a un côté négatif, mais plutôt de mobilité interne », glisse une DRH. Ce sont des statistiques qui sont, par exemple, rarement suivies. « Quand on dit à un collaborateur qu’il doit être acteur de son projet de formation et de carrière mais que peu d’alternatives lui sont données, je considère que c’est un manquement de l’employeur alors que le maintien de l’employabilité est inscrit dans le Code du travail », affirme Pascal Lopez, délégué syndical central FO chez Sanofi, où un énième plan de départs volontaires est en cours. Il prend pour exemple un plan social en 2019 dans les effectifs de recherche et développement. « Au bout de six mois, un cinquième d’entre eux s’était reclassé mais avec une perte de rémunération de plus d’un tiers. »

Dans son panorama 2020 sur les mobilités professionnelles, l’Apec prédit une hausse des mobilités dites contraintes après une baisse tendancielle ces dernières années. L’association pointe déjà qu’en 2019, lorsque la mobilité interne était effectuée à l’initiative de l’entreprise, elle s’était « beaucoup moins souvent accompagnée d’avantages tels qu’une promotion hiérarchique ou une augmentation de rémunération » pour les cadres concernés.

Face à des évolutions techniques ou des choix stratégiques, une politique de reconversion interne bien rodée comporte quelques pré-requis : bien connaître les compétences associées à chaque famille de métiers, repérer les parcours des candidats les plus aptes à se projeter dans un autre métier, identifier les proximités entre des métiers et les passerelles envisageables, communiquer clairement et de manière sécurisante auprès des salariés sur les opportunités professionnelles avec des conseillers dédiés et disposer d’une bourse de l’emploi sur l’intranet et de programmes de formation certifiants, en interne ou en externe. « Rendre visible des rapprochements entre des familles de métiers, la marche à franchir ainsi que les volumétries associées est un travail dense qui suppose une bonne pro-activité et une actualisation régulière », avance Serge Casasus, consultant indépendant qui a récemment soutenu une thèse sur la cartographie dans la gestion des compétences.

Les trois espaces de vie

Mais, entre deux domaines professionnels, y compris pour des bifurcations plus discrètes que des reconversions radicales davantage médiatisées, une période de césure apporte son lot de questionnements et de repères à construire autour de nouvelles compétences et qualifications. Les freins sont multiples, selon Frédéric Petitbon : « Changer de métier peut être perçu comme une défiance, voire une trahison, quand le sujet est abordé, bien souvent trop tardivement, avec l’encadrement. Il faut aussi avoir de la visibilité sur ce qui se passe dans les autres services, sans que tout ne soit organisé en silos ou biaisé si les postes ouverts ne le sont pas réellement. » La confidentialité des échanges est un plus dans la période d’amorçage. Chez le chimiste Arkema, les gestionnaires de carrière vont expérimenter, par exemple, un nouveau logiciel orienté autour d’un questionnaire sur les aspirations professionnelles pour mieux aiguiller les salariés qui expriment déjà quelques réflexions et préoccupations sur leur métier.

Tant les conditions familiales et économiques que le niveau de motivation sont aussi à ajouter dans la balance. Pour Laetitia Pihel, maître de conférences à l’IAE de Nantes qui travaille surtout sur les personnels non cadres, il y a un « coût d’adaptation » qui doit être intégré dans la culture et les procédés de l’entreprise « en dehors des situations difficiles » pour que les reconversions aboutissent effectivement. « Il ne faut pas sous-estimer les trois espaces de vie qui se jouent dans une reconversion : la vie au travail, la vie personnelle et familiale et la vie sur le lieu de formation. Les salariés peuvent surestimer leur capacité à gérer ces temps-là. Les RH doivent aussi se montrer vigilants sur l’environnement opérationnel final où un temps d’adaptation et de passation doit être prévu, avec un tuteur idéalement. » Avec d’autres chercheurs du programme Informa, Laetitia Pihel mène actuellement une étude dans un groupe international de logistique où un programme en alternance existe pour des métiers de concepteur-développeur ou de cybersécurité à destination de salariés dont les emplois ne sont pas menacés.

« Cette entrée par les postes-cibles difficiles à pourvoir mobilise bien plus les entreprises et les branches professionnelles », observe également Ambroise Bouteille à la tête d’un cabinet d’études éponyme. Mais un tel exercice de prospective sur les besoins de main-d’œuvre, parfois délaissé en interne dans le passé, peut déjà refroidir tant il exige un effort considérable pour être réellement transversal. Par exemple, dans les métiers de l’assurance, une nouvelle nomenclature, résultat d’un travail collectif de 17 entreprises autour de l’observatoire de la branche, liste 45 métiers et 14 grands domaines en identifiant à chaque fois des différentiels de compétences considérés comme « surmontables », décrit-il. Comme les télévendeurs qui se reconvertissent en commerciaux car la prise de commandes se fait de plus en plus en ligne. Mais certaines passerelles, possibles sur le papier, présentent d’ores et déjà des freins culturels : « Il y a un socle commun de compétences entre les gestionnaires de contrat et les commerciaux mais ces derniers se montrent peu enclins à changer. »

Prédiction difficile

Autre exemple : la jeune filière de la fibre optique qui doit atteindre un premier palier de plus de 25 000 équivalents temps plein d’ici l’an prochain. Si le début du déploiement s’est accompagné de nombreux recrutements, il a fallu également affiner le sourcing en interne et la polyvalence chez les plus petits installateurs alors que l’activité est vue comme « moins diversifiée et moins techniquement valorisante ». Pourtant, après une baisse du nombre d’emplois nécessaires, il y a matière à anticiper une longue traîne de perspectives pour les personnels qualifiés avec « les besoins en maintenance, l’arrivée de la 5G, le câblage des réseaux de domotique pour les objets connectés », rebondit Ambroise Bouteille qui a réalisé trois études dans le cadre d’un engagement pour le développement des emplois et des compétences signé en 2016. Mais le rythme d’évolution est, comme toujours, bien difficile à prédire …

Auteur

  • Judith Chétrit