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Les compétences, mais pas que…

À la une | publié le : 01.04.2021 | Laurence Estival

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Les compétences, mais pas que…

Crédit photo Laurence Estival

Se reconvertir est un projet qui nécessite un temps plein tant le passage de la théorie à la pratique demande un travail sur ses compétences mais aussi sur soi, afin de mesurer la viabilité de son projet.

Avis aux candidats souhaitant se reconvertir : le diplôme est de moins en moins un élément déterminant pour séduire les futurs employeurs. Selon une étude de Pôle emploi, 59 % des entreprises étudient plutôt à la loupe l’expérience professionnelle des candidats pour se rendre compte de leur capacité ou non à occuper le poste convoité. Et plus les années passent après l’obtention du diplôme, plus le chemin parcouru prend le pas. C’est plutôt une bonne nouvelle pour ceux qui ont envie de changer d’environnement. Sauf qu’avant de franchir le pas, « il faut faire un travail en profondeur sur ses compétences et sur celles qui sont transférables dans l’emploi visé », insiste Schany Taix, délégué général de la Fédération nationale des centres de bilans de compétences.

Cette notion de compétences est devenue un élément clé dans un projet de reconversion, sans qu’il y ait un réel consensus sur sa définition… Celle qui est la plus répandue consiste à décrire la capacité d’un individu à faire face dans une situation et un environnement donnés. « S’appuyer sur un état des lieux non exhaustif des compétences détenues permet l’élaboration d’un portefeuille de savoir-faire techniques, souligne Alix Baissac, coordinatrice nationale talent management chez Sémaphores. Il est également intéressant, en complément, de faire réfléchir le salarié sur ses situations de travail pour identifier des actes quotidiens afin de dégager des compétences liées à l’environnement de travail et qui, de fait, sont souvent plus facilement identifiables par les salariés. »

Matching

« Autant il est assez simple de déterminer les compétences techniques, autant il est compliqué de lister les compétences comportementales. Devant un recruteur, il ne s’agit pas d’affirmer qu’on sait par exemple arriver à l’heure ou travailler en équipe, il faut le prouver », poursuit Schany Taix. « Je vois par exemple des cadres qui me disent qu’ils ont un bon relationnel mais quand je commence à essayer de mieux le définir, je me rends compte qu’il y a pas mal de travail à faire, confirme Nathalie Meunier, consultante au centre Apec République à Paris. Il y a aussi, dans les intitulés des postes, des éléments qui méritent d’être éclaircis car ils n’ont pas la même signification d’une entreprise à l’autre. » En témoigne le métier générique de « chef de projet ». Sa présence sur nombre de CV ne dit pas si le candidat a coordonné différents intervenants ou s’il a veillé à l’application de process.

Cette première étape est d’autant plus importante qu’elle va déterminer la suite : un travail identique doit être effectué sur les compétences attendues et regarder celles qu’il va falloir acquérir en passant par la case formation en fléchant celles qui sont réellement nécessaires… Car s’il faut faire des études en médecine pour être médecin, il n’est pas indispensable de suivre un cursus de cinq ans dans une école d’ingénieur si la seule pierre manquante à l’édifice est un ensemble de connaissances techniques sur les batteries électriques pour devenir commercial chez Tesla. « Il faut, pour déterminer ce gap, être très précis non seulement sur le métier mais également sur la façon dont on souhaite l’exercer, insiste Nathalie Meunier. Un salarié qui ambitionne d’ouvrir une boulangerie n’a pas forcément besoin de passer un CAP de boulanger si son projet n’est pas de fabriquer lui-même le pain mais plutôt de trouver des farines locales qu’il va devoir sourcer, acheminer… Sa mission sera ensuite de valoriser commercialement son produit et de le faire connaître. Et un boulanger pourra réaliser le pain. » Parfois le fossé entre ce que le salarié sait faire et ce qu’il doit acquérir peut amener le candidat à renoncer à son projet. « Mais l’exercice peut aussi redonner confiance en soi à des personnes qui ont l’impression qu’elles ne savent pas faire grand-chose. Or tout le monde a des compétences », pointe Schany Taix.

L’humain reprend les rênes

Ces méthodes classiques sont aujourd’hui concurrencées par le recours à l’intelligence artificielle. « Attention, ce n’est pas la machine qui va choisir à la place des personnes souhaitant ou devant se réorienter. Mais elle va leur donner des indications sur les métiers dans lesquels leurs compétences transférables sont les plus nombreuses. C’est un moyen de gagner du temps mais aussi de découvrir des connexions auxquelles peu de salariés auraient pensé », précise Alexandre Pachulski, co-fondateur de Talentsoft dont les logiciels intègrent ces possibilités. Par exemple, en recensant les compétences d’un comptable, le logiciel a créé une connexion vers les postes de responsables en cybersécurité. De quoi ouvrir le champ des possibles. Ces technologies sont, certes, utiles mais elles montrent aussi des limites car, pour que les résultats soient significatifs, il faut qu’en amont les métiers recensés soient occupés par un nombre important de personnes. « Nous ne pouvons pas prévoir les compétences transférables d’un trader qui souhaiterait devenir ébéniste car le nombre de cas est trop limité pour que nous puissions les avoir dans notre radar. »

Si ces approches par compétences ont l’avantage de donner des idées, de recréer de la confiance et de déterminer le chemin à effectuer, elles ne sont pas en mesure de prédire pour autant la réussite du projet de reconversion. Y compris dans le cas de méthodes plus traditionnelles. Le principal problème réside dans le fait de ne pas tenir compte d’un certain nombre de freins. Tout d’abord les freins géographiques : toutes les personnes ne sont pas mobiles, or les emplois visés peuvent se trouver loin de leur domicile actuel. Le nouveau dispositif de transition professionnelle collective mise d’ailleurs sur les territoires pour mettre en relation des personnes dont l’emploi est menacé et les entreprises qui souhaitent recruter sur des métiers porteurs. Les freins sont aussi souvent d’ordre psychologique : « Les individus, au dernier moment, ne sont pas toujours prêts à prendre le risque, regrette Alexandre Pachulski. Ou ils se rendent compte qu’ils n’ont finalement qu’un intérêt limité pour ce nouveau poste par rapport à leurs aspirations. Le moteur premier doit rester l’envie. Sinon, cela ne va pas fonctionner. » Signe des temps : à l’heure où le besoin de changer de trajectoire taraude de plus en plus de Français, les méthodes uniquement basées sur les compétences sont aujourd’hui bousculées par de nouvelles offres qui mêlent à la fois connaissance de soi, coaching et expérience collective. Un moyen de ne pas transformer sa reconversion en saut dans le vide ?

Les badges numériques, nouvel outil de reconnaissance

Phénomène mondial – en Finlande ils sont en passe de remplacer la délivrance de diplômes – les « badges numériques » sont en train de se propager dans l’Hexagone. La souplesse du dispositif séduit de plus en plus de candidats en quête d’outils pour valider des compétences émergentes ou non présentes dans les référentiels de formation. « Des individus peuvent par exemple chercher à faire reconnaître des compétences acquises dans des fablab ou dans des hackaton. Il suffit qu’ils les fassent valider par des personnes qui ont pu mesurer leurs savoir-faire ou savoir-être, explique Muriel Moujeard, responsable du laboratoire du CIBC en Normandie. C’est un peu comme des recommandations Linkedin sauf que, pour un employeur, ces badges numériques ne sont pas falsifiables. » La Normandie fait partie des territoires pilotes qui inspirent non seulement les individus mais aussi les organismes de formation et les institutions. À l’image des conseils régionaux qui y voient un moyen de faciliter la fluidité entre les emplois, le « tampon » d’une collectivité ayant peut-être plus de poids auprès des entreprises que la simple recommandation de professionnels… « Les enjeux sont de taille dans une logique de formation tout au long de la vie, poursuit Muriel Moujeard. Les départements de la Manche et de l’Eure sont en train de réfléchir à la manière de badger les compétences d’allocataires du RSA. » Autre avantage de ces outils : rendre les personnes actives car elles doivent prouver ce qu’elles savent faire avant de trouver une personne pour valider leur démarche. « Ce processus leur permet de mieux se rendre compte de leurs compétences et de pouvoir mieux les valoriser pour mettre en œuvre leur projet professionnel », ajoute l’experte. Et pour donner à ces badges encore plus de valeur, l’idée de les faire reconnaître dans le cadre d’une démarche de VAE fait d’ailleurs son chemin…

Auteur

  • Laurence Estival