logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Changer de métier, attention au virage !

À la une | publié le : 01.04.2021 | Laurence Estival

Image

Changer de métier, attention au virage !

Crédit photo Laurence Estival

La crise sanitaire due à la Covid-19 et ses impacts sur le monde du travail incitent un nombre de plus en plus important de salariés à envisager une reconversion professionnelle. Un phénomène qui touche toutes les catégories et tous les secteurs. Mais attention aux désillusions…

Chantal Bérard, chasseuse de têtes chez Boyden, n’en revient toujours pas : « J’ai contacté un candidat qui avait un solide CV dans la publicité car j’avais un poste qui pouvait l’intéresser, or il m’a informé qu’il avait passé un CAP de poterie et qu’il était sur le point de s’installer, raconte-t-elle. Si nous avons toujours eu quelques cas comme ceux-ci, aujourd’hui, la différence, c’est qu’ils ne sont pas isolés. » De quoi ébranler la consultante, qui voit de plus en plus de prospects sortir des radars des recruteurs après avoir choisi de renoncer à une belle carrière pour s’engager sur des chemins de traverse.

Depuis un an, c’est en effet une véritable déferlante, selon les acteurs du marché de l’emploi, qui se fait déjà sentir dans la recherche d’informations sur les formations. « Un million de personnes se connectent chaque mois sur notre site, dont 30 % sont en quête d’un programme plutôt long leur permettant de changer de métier. Parmi eux, 49 % des visiteurs sont en poste et 41 % sont demandeurs d’emplois, met en avant Jérémy Plasseraud, responsable de Maformation.fr, plateforme de mise en relation entre les candidats et les organismes. Il y a, sans aucun doute, un effet CPF mais aussi un effet confinement. Au printemps dernier, les connexions ont augmenté de 40 %. »

Tous concernés

« Lors du premier confinement, les cadres qui se sont retrouvés chez eux en télétravail ont assez mal vécu cette situation, confirme la coach Anne Bléhaut. Habitués aux premiers rôles, ils se sont sentis inutiles, alors qu’au contraire, les personnels en première et deuxième lignes ont été valorisés. Il y a, depuis, une quête de sens et une volonté de faire quelque chose de concret et d’utile. » Au top 5 des envies de changement, « des métiers manuels (boulanger, ébéniste, fleuriste), des projets liés à une envie de s’installer en province ou au vert (permaculture, alimentation bio…) et le soin sous toutes ses formes (sophrologie, coaching…) », énumère Adeline Faure-Quentin, directrice de l’activité entrepreneuriat d’OasYs consultants. « Le phénomène ne concerne pas que les bobos, ni les cadres supérieurs ou les quadras. Je rencontre même des jeunes diplômés qui, soit directement, à la sortie de leur école ou de l’université, soit après une première expérience, ont envie de tout lâcher », insiste Nathalie Meunier, consultante développement professionnel au centre Apec de République à Paris. L’agence pour l’emploi des cadres vient de publier une étude pointant l’accélération des reconversions professionnelles comme l’un des cinq grands enjeux pour l’emploi cadre en 2021. Selon les résultats de cette enquête, la crise a conduit plus de la moitié des cadres interrogés (57 %) à songer à un changement de cap. Les moins de 35 ans (ils sont 71 % à envisager une réorientation) arrivent en tête, devant les 35-54 ans (54 %) et les plus de 55 ans (48 %).

Le mouvement n’est pas près de s’arrêter car aux bataillons de ceux qui souhaitent changer d’horizon professionnel pourraient s’ajouter des armées de salariés qui vont être contraints de se reconvertir. « Il y a tous ceux qui vont être victimes de la quatrième révolution industrielle marquée par une évolution des technologies – digitalisation, électrification – et ceux qui seront emportés par les conséquences de la crise dans des secteurs particulièrement touchés », remarque Alexandre Pachulski, co-fondateur de Talentsoft.

Onde de choc

A priori, pas grand-chose de commun entre l’élite managériale en crise existentielle et les salariés, dont des ouvriers et des employés qui subissent de plein fouet des restructurations. Pourtant c’est à ce double mouvement que sont confrontés tous les acteurs de l’emploi. « À l’origine, il y a, dans les deux cas, un choc : un sentiment de passer à côté de quelque chose pour ceux qui n’ont aucun besoin de bouger et un événement extérieur qui les oblige à réfléchir à leur avenir chez ceux qui ont perdu leur emploi ou dont celui-ci est menacé », remarque Schany Taix, délégué général de la Fédération nationale des centres de bilans de compétences, qui vient de prendre le poste de directeur de la Maison APM. Autre point commun : les salariés qui n’ont pas besoin de bouger rejoignent dans la précipitation ceux qui n’ont pas le choix. La situation est en revanche plus complexe chez ceux qui vont devoir se reconvertir sans en avoir le désir. « Notre première tâche, quand nous les accompagnons, c’est de les aider à faire le deuil. La rupture peut être très violente et nous devons veiller à ne pas les aiguiller vers des projets trop fragiles », détaille Jérôme Bouron, directeur général délégué du groupe Alpha, en charge des activités de conseil et d’accompagnement.

Dans un cas comme dans l’autre, l’accompagnement joue un rôle majeur. « Quand nous sommes face à des candidats qui souhaitent se reconvertir, beaucoup viennent avec des idées précises, remarque Nathalie Meunier, à l’Apec. Notre mission est de les ramener sur terre : ont-ils bien pris conscience de ce que leur choix de devenir par exemple boulanger signifie au quotidien ? En ont-ils rencontrés ? Ont-ils parlé avec des personnes qui comme eux se sont reconverties ? » Pour les salariés dont la reconversion est subie, il faut, en revanche, susciter le déclic. « C’est un long cheminement au cours duquel nous devons les faire parler de leurs désirs, de ce qu’ils ont envie de retrouver dans leur prochain poste, de ce, au contraire, dont ils ne veulent plus entendre parler… », pointe Schany Taix. « Et essayer de leur ouvrir l’esprit sur d’autres univers, ajoute Magali Rossello, conseillère stratégique en organisation et coaching de dirigeants. Autre méthode : faire éclore les talents cachés. »

Un pari sur l’avenir

La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui il existe trois dispositifs pour aider les candidats à la reconversion : le CPF pour se former ou financer un bilan de compétences, le CPF de transition pour changer de métier, les transitions professionnelles collectives pour les salariés dont le poste est menacé, observe David Derré, directeur emploi/formation de l’UIMM. Des listes en cours d’élaboration, tant au sein des branches professionnelles que des OPCO, ou des régions visent à recenser les métiers en tension, les métiers porteurs. « Nous sommes en train de finaliser notre propre liste en sachant toutefois que dans l’industrie, ce seront davantage des projets de repositionnement », continue le responsable.

Tous ceux qui aspirent à poser leurs valises dans un domaine où ils ne sont pas forcément attendus doivent s’attendre à des difficultés. « Nous sommes ouverts aux candidats atypiques mais il faut qu’ils aient des connaissances en audit qui s’apprennent dans des écoles ou universités », prévient Charlotte Gouiard, responsable RH Tech &Expérience candidats chez Mazars. Le cabinet a certes répondu positivement à la demande de deux candidats venant de l’hôtellerie et de l’aéronautique parce qu’ils étaient retournés, à l’âge de 35 ans, suivre un cursus en école de commerce pour le premier et en école d’ingénieur pour le second. « Ils ont surtout réussi à nous expliquer la raison de ces reconversions et leurs motivations », ajoute-t-elle. Ce qui est vrai pour les postes qui requièrent un solide bagage technique l’est aussi pour les managers. « Y compris à des niveaux de dirigeants, met en avant Chantal Bérard. Car il faut comprendre les process, le secteur… Les entreprises n’ont pas le temps de former une nouvelle recrue et attendre un retour sur investissement dans une période aussi incertaine est un pari sur l’avenir. » De quoi refroidir les enthousiasmes ? Pas si sûr. « Il y a chez beaucoup le sentiment qu’ils n’ont plus rien à perdre. C’est le moment où jamais », conclut Anne Bléhaut.

La méthode des petits pas

Les acteurs de l’emploi opposent la reconversion au repositionnement. Pour être dans le premier cas de figure, « il faut au moins avoir changé de métier et de secteur », observe Jérôme Bouron. Reste que, dans la réalité, la coupure n’est pas aussi évidente, le repositionnement pouvant devenir un tremplin vers une reconversion… « C’est même en réalité ce qui se passe dans une majorité des cas », souligne Charlotte Gouiard. En attendant que, comme dans l’informatique, les entreprises, confrontées à des difficultés de recrutement, se décident à ouvrir davantage les vannes, Chantal Bérard propose aux candidats d’adopter la technique des petits pas. « Mieux vaut d’abord choisir d’exercer ses compétences dans un autre secteur et une fois rompu à la culture et aux méthodes de ce nouvel environnement demander de changer de poste. » Une technique suivie par de nombreux candidats. « Nous voyons aussi de plus en plus de slasheurs, note Anne Bléhaut, qui passent d’un poste d’expert à un poste de consultant et développent à côté une seconde activité pour tester leur projet tout en sécurisant leurs arrières. En sachant que dans leur tête, ce montage est provisoire. »

Auteur

  • Laurence Estival