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Faudra-t-il en passer par de nouveaux quotas pour atteindre l’égalité hommes-femmes ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2021 |

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Faudra-t-il en passer par de nouveaux quotas pour atteindre l’égalité hommes-femmes ?

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Les quotas d’administratrices, en vigueur depuis janvier 2011, ont largement augmenté le nombre de femmes dans les conseils. En revanche, les initiatives, volontaires, de la part des entreprises pour accroître la place qu’elles ont dans les instances décisionnelles et opérationnelles restent rares. Bruno Le Maire a prévenu : il est favorable à des quotas pour féminiser les comités exécutifs. Une proposition de loi pourrait être déposée la semaine du 15 mars. Mais une question plus générale se pose.

Rachel Silvera Économiste, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre et codirectrice du réseau de recherche MAGE

La loi Copé-Zimmerman, qui vient de fêter ses dix ans, rend obligatoire un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration (CA) des entreprises cotées (CAC 40 et SBF 120) mais aussi dans celles ayant au moins 250 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette loi est une des rares sur l’égalité – si ce n’est la seule – à être effective, au moins en partie. Le bilan est très positif pour les 120 premières : le taux de féminisation de leurs CA est passé d’à peine 10 % au moment de la loi à 45,2 % en 2020 (Cabinet Ethics & Board). Certes, des limites internes à la loi ont été énoncées comme le fait que toutes les entreprises assujetties n’ont pas rempli cette exigence et surtout, que les vrais lieux de décision, à savoir les comités exécutifs et les comités de direction, n’ont en moyenne que 21 % de femmes en 2020. D’où l’idée d’introduire un nouveau quota dans ces instances.

Mais l’égalité professionnelle ne peut se confondre avec la seule introduction de quotas au sommet. En quoi cet objectif réglera-t-il le problème des milliers de femmes précaires, à bas salaires et à temps partiel imposé, alors que le Gouvernement a refusé de donner un coup de pouce au smic, qui, rappelons-le, concerne une majorité de femmes ? Et en quoi la présence de quatre femmes dans les dix plus hautes rémunérations (prévue déjà dans l’index égalité) et parmi les cadres dirigeants, permettrait de briser les nombreux plafonds de verre auxquels elles se heurtent tout au long de leur carrière, notamment lorsqu’elles sont cadres intermédiaires ? La revalorisation salariale de ces professions féminisées, la reconnaissance des parcours professionnels de nombreuses femmes et la lutte contre la précarité et le temps partiel court sont à mon sens des axes prioritaires, auxquels les quotas ne répondent pas.

Gonzague de Blignières Cofondateur de Raise

Dix ans après la mise en place des quotas de femmes au sein des conseils d’administration, Bruno Le Maire pointe désormais la nécessité d’aller plus loin en étendant cette mesure aux instances dirigeantes, soit aux personnes qui occupent les 10 % de postes à plus forte responsabilité. C’est une volonté ambitieuse et salutaire ! Aujourd’hui encore, la gouvernance est marquée par la sous-représentation des femmes. On ne compte que 17 % de femmes dans les comex des grandes entreprises françaises, et une seule entreprise du CAC40 est dirigée par une femme. Avec mon associée Clara Gaymard, nous partageons la conviction qu’il est essentiel de donner aux femmes le pouvoir de décider, et pour cela, il faut encourager leur accès à des postes de direction. Promouvoir l’égalité homme-femme dans la vie économique a d’autant plus de sens dans un secteur comme la finance, éminemment masculin. Chez Raise, nous sommes fiers d’être parvenus à instaurer une parité totale, à tous les échelons de nos activités, puisque chacune d’entre elles est menée par un binôme de management femme-homme. Cela implique des recrutements à l’équilibre qui nous conduisent parfois à renoncer à de bons candidats, mais la parité est un gage de saine gouvernance qui fait partie de nos valeurs fondatrices. Ce fonctionnement bicéphale sur lequel nous n’avons jamais transigé est une grande force. C’est la promesse de voir des compétences se compléter, des opinions se confronter et s’enrichir. C’est une source tant d’harmonie que de performance pour l’entreprise.

Plus largement, je dirais que la mixité contribue à une diversité garante de l’ouverture sur le monde et de la responsabilité de tous pour contribuer à l’améliorer.

C’est notre responsabilité à tous, de soutenir cette impulsion, de participer à la mixité et de faire émerger de nouveaux role-models, afin d’améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie économique.

Mathilde Mesnard Directrice adjointe de la direction des Affaires financières et des Entreprises, OCDE

Force est de constater que les quotas imposés pour les conseils d’administration par la Loi Coppé-Zimmerman il y a dix ans ont été un succès. La France avait suivi en cela les recommandations des principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE et se tient maintenant dans le peloton de tête international en la matière avec près de 45 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées. Le recours aux quotas en France, fort décrié alors, avait été rendu nécessaire par la lenteur des changements, en dépit de l’avancement des femmes dans toutes les professions. Donc, loin d’aboutir à des femmes administrateurs « alibis », l’imposition des quotas a non seulement atteint son objectif de parité, mais a également obligé les entreprises à professionnaliser leur processus de nomination, renforçant ainsi leur qualité en sus de leur diversité. Ce processus de montée en puissance des femmes dans les conseils d’administration ne s’est cependant pas accompagné d’un effet de renforcement de la parité dans le « vivier » managérial. Il n’y a pas eu d’effet de « ruissellement » pour reprendre une analogie familière aux économistes. Les comités exécutifs restent très fortement dominés par les hommes et, là encore, le changement est lent, beaucoup trop lent. Le fameux « plafond de verre » joue à fond et l’ascension féminine semble bloquée, en dépit de la progression générale de la parité en entreprise. Il faudra là encore forcer l’évolution par l’imposition rapide de quotas, qui rendront nécessaires une gestion prévisionnelle de l’emploi plus volontariste en la matière, avec des objectifs ambitieux et une plus grande transparence, des procédures de recrutement et de promotion « débiaisées », etc. Ce qui semble impossible aujourd’hui semblera naturel dans quelques années. Ce recours au quota n’est qu’un passage obligé pour faire exploser le plafond de verre.

Ce qu’il faut retenir

// Bons chiffres mais… Appliquée de manière progressive, d’abord aux grandes entreprises, puis aux petites, la loi Copé-Zimmermann (un quota de 40 % d’administratrices) s’impose à toutes les sociétés de plus de 250 salariés depuis le 1er janvier 2020. Et les résultats sont là : les femmes représentent aujourd’hui 44,6 % des sièges dans les conseils d’administration des entreprises du CAC40 (contre 20,6 % en 2011), et 45,6 % dans celles du SBF 120. Il n’empêche. « Le CAC 40 reste un club de mecs en costume gris », a déclaré Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, lors de ses vœux 2021 à la presse.

// …Comportements à revoir Comme le souligne Anne Revillard, sociologue et chercheuse à Science-Po, sur le site de l’Observatoire des inégalités, « le quota est une simple proportion numérique ; il n’est porteur d’aucune exigence particulière en matière de comportements ». Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui a remis au Gouvernement un livret intitulé : « De la parité à l’égalité professionnelle », le 26 janvier 2021, estime pour sa part que « quand il y a des quotas mais pas de suivi, les résultats sont en deçà des obligations légales : les femmes occupent à peine 34 % des sièges dans les conseils des entreprises cotées en deçà du SBF 120 et 24 % dans les entreprises non cotées de 500 salariés et plus et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Quand il n’y a pas de quotas, il n’y a pas de résultats : moins de 20 % pour les entreprises d’Eurogrowth ». Enfin, précise le livret « la parité s’arrête aux portes du pouvoir : trois femmes PDG d’une entreprise du SBF 120 (et une seule femme DG d’une entreprise du CAC 40 : Catherine MacGregor, chez Engie, depuis le 1er janvier 2021) ; 21 % de femmes dans les comex et codir des entreprises du SBF 120 en 2021 ». Le HCE appelle donc à « poursuivre cette dynamique de quotas au sein des comités exécutifs et de direction : 20 % dans trois ans puis 40 % dans six ans ». En outre, le HCE souhaite ajouter un indicateur sur la parité au sein de l’Index Égalité femmes-hommes et renforcer son efficacité en le liant plus étroitement à la négociation collective sur l’égalité professionnelle, de même que corréler l’attribution de financements publics au respect des obligations en matière de parité et d’égalité professionnelle.

Source : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_parite_gouvernance-20191217-2.pdf

En chiffres

1 sur 3

Le gouvernement allemand a annoncé, le 25 novembre dernier, un projet de loi visant à ce que toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés comptent dorénavant au moins une femme dans leur comité de direction, dès l’instant où ce comité comporte trois membres ou plus. En Allemagne, les femmes ne représentent que 12,8 % des membres des comités de direction des grandes entreprises du Dax.

35 %

Si l’équilibre est devenu la norme dans les conseils d’administration, la situation est contrastée au sein de leurs comités spécialisés : majoritaires dans les comités RSE et dans les comités d’audit, la part des femmes dans les comités stratégiques n’est que de 35 %. Quant au poste de président du conseil, il échappe encore bien souvent aux femmes.

Source : Panorama de la Gouvernance, 2019, EY.