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L’Afpa cherche toujours sa voie

Décodages | Formation | publié le : 01.03.2021 | Benjamin d’Alguerre

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L’Afpa cherche toujours sa voie

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

À l’issue d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui a vu ses effectifs fondre d’un septième, l’Afpa cherche ses marques. Grande oubliée des politiques publiques de reconversion professionnelle, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes est cependant sollicitée dans le cadre du plan de relance pour son rôle d’accompagnement social. De quoi susciter de la confusion chez les salariés qui ne savent plus si leur mission relève de la formation, de l’insertion… ou des deux.

L’Afpa revient de loin et ne sait pas forcément où elle va. Signe du flou ambiant, l’Agence nationale pour la formation des adultes entame l’année 2021 sans budget prévisionnel. « Le projet budgétaire aurait dû être présenté devant le conseil d’administration et le CSE central en décembre 2020. Il ne l’a pas été sans que l’on ne nous explique pourquoi », témoigne Yann Cherec, secrétaire général de la CGT de l’Afpa. Du côté de la direction générale, on plaide « le choc de la Covid » pour expliquer ce retard comptable. Mais pour André Thomas, président du SNPEA CFE-CGC – désormais premier syndicat de l’établissement –, le blocage trouve plutôt sa source du côté du ministère de l’Économie et des Finances, l’une des autorités de tutelle de l’Afpa. Et notamment de la direction du budget dont les contrôleurs n’ont toujours pas validé les prévisionnels. Pourquoi ? La direction de Bercy n’a pas donné suite aux demandes d’éclaircissements de « Liaisons Sociales Magazine ». Mais, en creux, tant les syndicats que certains hauts cadres de l’agence avancent une explication : dans le rouge depuis près de dix ans malgré de nombreux renflouements au cours du quinquennat Hollande, l’Afpa vivrait encore au-dessus de ses moyens alors qu’un récent PSE a entraîné le départ de près d’un septième des effectifs. Rien que pour 2020, le trou devrait avoisiner les 104 millions d’euros, selon les calculs de l’Ifrap, essentiellement du fait de l’immense patrimoine foncier de l’opérateur devenu propriétaire de plein droit de ses centres de formation depuis la transformation de l’ancienne association en établissement public à vocation industrielle et commerciale (Epic) en 2016. Ce patrimoine foncier comprend 110 centres de formation et d’hébergement, souvent en état d’usure avancée, qu’il appartient désormais à l’Afpa d’entretenir et de rénover sur ses fonds propres. Montant de la facture : environ 85 millions d’euros, malgré la récente revente de plusieurs centres au bailleur social Adoma en 2020.

Pendant que Bercy veille à l’équilibre comptable, l’autre ministère de tutelle, celui du Travail, semble regarder ailleurs. Du coup, l’Afpa navigue à vue faute d’une stratégie de long terme. « Il est temps que l’Afpa cesse d’être dirigée par des gens qui ont les yeux rivés sur leurs tableaux Excel. Selon les prévisions, deux millions d’emplois pourraient disparaître des conséquences économiques de la crise sanitaire. Les besoins en reconversions professionnelles vont être énormes. L’État va-t-il enfin décider ce qu’il veut faire de son appareil de formation ou va-t-il laisser les comptables aux manettes ? » s’interroge Yann Cherec. « L’Afpa est aujourd’hui le plus jeune Epic de France. C’est pour ça qu’il est temps, avant que l’hécatombe n’arrive, de lui donner une vision à long terme partagée par les deux tutelles sur la bonne stratégie à mettre en œuvre. Nous les avons rencontrées et il semble que la trajectoire soit encore floue. Lorsque l’on observe les autres Epic, on constate qu’ils savent tous ce qu’ils doivent faire à un horizon de trois à cinq ans. L’ONF le sait, l’Opéra de Paris le sait, l’Ifremer le sait. L’Afpa l’ignore. Et il n’y a aucune raison pour qu’un salarié de l’Afpa soit moins important aux yeux de l’État qu’un hippocampe ! », renchérit André Thomas. Faut-il voir dans les nombreuses visites de centres Afpa effectuées par Élisabeth Borne depuis sa nomination en juillet dernier le signe d’un regain d’intérêt du ministère du Travail pour son opérateur ? Sa prédécesseure, Muriel Pénicaud, ne s’y était déplacée qu’une seule fois.

1 080 départs.

Redonner de l’oxygène économique à l’Afpa et lui permettre de se relancer vers de nouveaux objectifs, c’était justement l’objectif du PSE que la direction a déployé dès 2018. Financé à hauteur de 200 millions d’euros, le projet avait pris la forme d’une réorganisation en profondeur avec près de 1 400 départs programmés, pour l’essentiel sur la base du volontariat, assortis de quelques licenciements et de fermetures de centres. Plusieurs syndicats avaient donné leur accord. Mais le PSE s’est heurté à l’opposition de la CGT et de Sud qui sont allés le contester en justice. Et cette dernière leur a donné raison à deux reprises : une première par décision du tribunal administratif de Montreuil, le 23 juillet 2020 ; la seconde par la cour d’appel de Versailles le 15 décembre dernier. Cette dernière s’est révélée moins sévère que le TA mais elle a confirmé l’insuffisance de la prévention des risques psychosociaux prévue dans le plan de sauvegarde de l’emploi. Verdict : l’homologation du plan se voit retoquée. Regrets de la CGT pour qui « la justice aurait sans doute été plus rapide si elle n’avait été mise en sommeil durant les confinements », indique Yann Cherec. Pour autant, aucun retour en arrière n’est possible, la nullité de l’homologation n’entraînant pas celle du PSE. Conséquence : si 1 080 salariés ont effectivement quitté l’établissement souvent de façon volontaire, 154 d’entre eux ont été sujets à des licenciements contraints… parmi lesquels 39 cas retoqués par l’inspection du Travail. « Nous ne comptons aucune demande de réintégration et trois cas de réclamation d’indemnités pour préjudice. Nous sommes en discussion avec la quarantaine de salariés en situation litigieuse pour trouver la solution la plus avantageuse pour eux », souligne Guillaume Rauffet, directeur général délégué de l’Afpa. Casse-tête en perspective pour le nouveau DRH de l’Epic, Philippe Le Blon-Boitier, arrivé en octobre dernier de l’Agence France-Presse, car ses marges de manœuvre sont minces, celui-ci ne pouvant ni mettre en place de ruptures conventionnelles – individuelles ou collectives – pour faire partir ces salariés. À l’heure ou ces lignes sont écrites, six solutions à l’amiable ont déjà été trouvées. Restent 33 cas…

« On se sent ringardisés. »

Problème : si peu de salariés sont finalement impactés par ce PSE boiteux, ses conséquences contribuent à alourdir une ambiance déjà plombée par les incertitudes pesant sur l’opérateur. « Entre la mise en place du plan de restructuration et la décision des tribunaux, on a connu quatre années d’angoisse et d’anxiété », témoigne un directeur de centre du sud de la France. Et le climat social s’en ressent, si l’on en croit les premiers constats d’un « observatoire du stress et des douleurs sociales de l’Afpa » (OSDSA) mis en place en novembre 2020 par des salariés de l’Afpa avec le soutien de la CFE-CGC. « L’Afpa se situe dans les 5 % d’entreprises françaises de plus de 5 000 salariés ayant le plus fort taux d’absentéisme (9,11 %) », alerte André Thomas. Alors qu’il y a quelques années, seuls les salariés étaient sujets à de la souffrance au travail, burn-out et dépressions commencent à toucher les cadres du siège social, à Montreuil, et les directions régionales. « On constate une perte du sens du travail au sein des équipes. Tout le monde voit les énormes besoins en formation à venir et personne ne semble penser à l’Afpa pour y apporter une réponse. Nous n’avons pas été intégrés au Plan d’investissement dans les compétences au niveau où nous aurions pu l’être et le récent dispositif Transitions collectives démarre globalement sans nous. La démotivation est prégnante, on se sent ignorés, ringardisés », confie un cadre régional de l’agence. Le sentiment d’injustice est d’autant plus présent que l’Afpa reste mobilisée pour relifter son offre de formation : l’Epic s’est lancé dans l’aventure Mooc (mi-février, elle venait d’en inaugurer un nouveau consacré à la lutte contre le gaspillage alimentaire), investit le champ de l’apprentissage, que ce soit sous ses propres couleurs ou auprès d’entreprises partenaires comme Brico Dépôt, digitalise son offre de formation (45 % du catalogue désormais disponible en ligne), se lance dans le marché du compte personnel de formation (CPF) ou du plan de développement des compétences. Le dialogue social, lui aussi, reprend des couleurs puisque, ces derniers mois, trois négociations, portant sur l’égalité hommes-femmes, la prévention des risques psychosociaux et le télétravail viennent d’être bouclées. L’Afpa se transforme, s’adapte, et innove, mais personne ne semble s’en rendre compte.

L’inclusion, la solution ?

Il aura fallu le lancement du plan « 1 jeune, 1 solution » pour que les pouvoirs publics semblent se souvenir de son existence. Moins en tant qu’opérateur de formation que d’insertion sociale dans le cadre de l’opération « Promo 16-18 ». Il s’agit d’un dispositif permettant à des jeunes décrocheurs, orientés par les missions locales ou d’autres acteurs de l’inclusion, de découvrir des métiers proposés par l’Afpa in situ par des mises en immersion durant plusieurs semaines. Une opération censée se dérouler de 2021 à 2022 avec à la clé une coquette dotation de 245 millions d’euros dont le versement sera étalé sur toute la durée du programme. Quarante centres ont déjà ouvert leurs portes, avec parfois quelques incidents, comme à Saint-Malo, Magnanville, Bordeaux ou Châteauroux (où le directeur a écopé de trois jours d’ITT après une altercation avec des jeunes hébergés au sein du centre). De quoi pousser certains syndicats à réclamer plus de moyens afin de permettre aux établissements de l’agence de recruter des animateurs socioculturels, voire des agents de sécurité « car un formateur « métier » de l’Afpa n’est pas un éducateur spécialisé. Encadrer des mineurs n’est pas sa profession », précise André Thomas. « L’Afpa a toujours accueilli des publics en difficulté. Cette vocation sociale est ce qui la différencie d’autres organismes de formation, privés ou publics », rappelle un directeur de centre.

Dans les années 1980, déjà, l’opérateur avait été missionné sur des opérations de « formation jeunes » à but d’insertion. Aujourd’hui, cette dimension reste très présente dans l’activité de l’agence, qui, durant les confinements, a ouvert ses centres à des SDF, des femmes battues ou des migrants, a offert – gratuitement – l’accès à ses plateformes de formation à distance à des prestataires privés, déploie le programme « Hope » dédié à la formation de jeunes migrants et l’opération Prépa Compétences auprès de chômeurs éloignés de l’emploi en partenariat avec Pôle emploi. Bref, beaucoup d’action sociale pour un opérateur toujours tiraillé entre la réponse à la commande publique régionale et son nécessaire développement sur le marché privé au travers de ses deux filiales de droit privé, Afpa Entreprises et Afpa Accès à l’emploi. Afin de clarifier le périmètre d’intervention de l’Afpa dans le secteur de l’insertion, la CFE-CGC vient de solliciter le Gouvernement pour la création d’une mission d’étude chargée d’identifier les pistes de rapprochement d’activité entre l’Afpa et Pôle emploi afin de développer un véritable service public de l’inclusion.

Fiche signalétique

• Afpa (Agence nationale pour la formation des adultes)

• Établissement public à vocation industrielle et commerciale (Epic) assorti de deux filiales (sous forme de Sasu) destinées à se positionner sur le marché privé : Afpa Entreprises et Afpa Accès à l’emploi.

• Chiffre d’affaires : 615 millions d’euros en 2020

• Président du CA : Jean-Pierre Geneslay

• Directrice générale : Pascale d’Artois

• Effectifs : environ 6 500 salariés post-PSE

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre