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La grossesse trop souvent ignorée dans l’entreprise

Décodages | Parentalité | publié le : 01.03.2021 | Lucie Tanneau

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La grossesse trop souvent ignorée dans l’entreprise

Crédit photo Lucie Tanneau

La parentalité et la paternité sont des sujets qui sont désormais mis en avant dans le monde du travail. Mais la période de la grossesse est, quant à elle, souvent rendue invisible voire négligée. La femme enceinte a des avantages légaux et conventionnels, mais rares sont les entreprises à les diffuser clairement. Or, les DRH ont un rôle à jouer pour sortir la grossesse du tabou.

Il y a un an, 105 entreprises françaises ont signé le Parental Act, par lequel elles s’engageaient à accorder un mois de congé rémunéré pour le deuxième parent. Une centaine d’autres entreprises les suivaient au printemps, avant que le Gouvernement ne décide de rendre légal ce congé, soit 28 jours dont sept obligatoires, contre 13 auparavant. Le rôle de parent, avec ses contraintes, est aussi un sujet de plus en plus débattu dans les entreprises. Les jeunes générations de salariés, notamment, sont en demande d’une meilleure conciliation des vie professionnelle et privée afin de disposer de plus de temps, notamment pour les enfants. Reste que la période grossesse, durant laquelle la femme travaille encore sur la majorité du temps, est rarement évoquée en entreprise, voire complètement oubliée. « La plupart des femmes sont très loyales et préviennent tôt, ce qui est beaucoup plus facile à gérer niveau planning et organisation, qu’un accident de ski », souligne d’emblée Marie Donzel, spécialiste des questions sociales et de la parentalité comme levier d’innovation sociale au cabinet de conseil Alternego.

Des aménagements spécifiques.

Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité, 40 % des femmes sont stressées à l’idée d’annoncer leur grossesse au travail. Et pour cause : les stéréotypes qui l’entourent sont nombreux. Elle aurait la tête ailleurs, chercherait à s’arrêter au plus vite, ne serait plus en mesure de se concentrer sur des dossiers difficiles, penserait à un temps partiel… Pour toutes ces raisons, un manager n’aurait pas complètement tort de la laisser un peu de côté. Il est clair que pour l’entreprise, les arrêts de travail des femmes enceintes représentent un coût économique, d’autant que 70 % se voient accorder un congé pathologique, alors que seulement 20 % en auraient besoin, selon une étude de la Drees. Mais ce congé fait partie des droits de la femme enceinte. Ainsi, l’employeur a l’obligation de laisser la future mère se rendre à ses rendez-vous médicaux sur son temps de travail (et le papa peut l’accompagner sans retenue de salaire). La salariée enceinte peut aussi être affectée temporairement dans un autre emploi, moins pénible ou plus compatible avec une grossesse, si elle occupe un poste de travail l’exposant à des risques, par exemple à des chutes, ou à la manutention avec port de charges. Ces changements d’affectation ne doivent entraîner aucune baisse de salaire et la salariée doit pouvoir réintégrer son emploi précédent à son retour. Le secteur de la banque qui prévoit des diminutions horaires au fur et à mesure de l’avancée de la grossesse est réputé favorable. Le planning des personnels de la fonction publique territoriale peut être allégé d’une heure maximum par jour à partir du troisième mois de grossesse, selon les besoins du service et sur indication du médecin de prévention.

Certaines entreprises imaginent aussi des aménagements spécifiques. Mais « le problème est qu’il y a un déficit de communication pendant la maternité », soulève Olivier Blanchard, fondateur de Parentissime, en 2017, qui diffuse notamment des box d’accompagnement pour les femmes enceintes en entreprise. « Pendant longtemps on n’a pas dit ou écrit les choses clairement : les informations liées à la maternité, il fallait aller les chercher sur l’intranet de l’entreprise », regrette-t-il. Avec deux conséquences : une mauvaise information qui créée du stress, et des avantages non demandés par les femmes et aucunement accordés systématiquement, quand bien même ce sont des droits ! Le cabinet Mazars a imaginé une solution pour y remédier. « Nous nous sommes rendu compte que les futures mamans avaient peu d’informations, quant au cadre légal qui entoure la maternité, par exemple l’autorisation d’absence sur le temps de travail pour effectuer des examens de suivi de grossesse, mais également sur les dispositifs internes, tel que le retour en douceur (un jour par semaine offert les trois premières semaines) », raconte Estelle Clément, responsable des Talents chez Mazars. « Dès l’annonce d’une grossesse, nous organisons donc un entretien avec chaque collaboratrice, pour échanger et lui remettre une Mum box qui contient des infos et des petits cadeaux. Par ailleurs nous lui proposons des ateliers de développement personnel pré et post-congé maternité. Et si besoin, nous lui proposons de l’accompagner pour annoncer la nouvelle à son manager et à son équipe », détaille Estelle Clément.

Accompagner la femme enceinte, levier de fidélisation.

Car l’annonce de la bonne nouvelle ne doit pas se transformer en calvaire. « Un DRH m’a raconté que quand il voyait une jeune femme entrer dans son bureau les épaules basses et le regard fuyant, il savait qu’elle allait lui annoncer sa grossesse : c’est dommage que la maternité en entreprise commence comme ça, non ? », questionne Aurélie Du Pasquier, cofondatrice de Novavitam, cabinet de conseil en gestion de la parentalité. « Pour mon premier entretien d’embauche, le boss savait que je venais de me marier, et il m’a dit : « J’espère que vous ne comptez pas faire un enfant tout de suite ? ». Et moi j’ai répondu : « non, non, bien sûr que non » ! La question et la réponse sont complètement anormales ! » Elle a finalement quitté l’entreprise avant d’avoir un enfant.

Olivier Blanchard note cependant des progrès chez certaines entreprises, dûs à une nouvelle génération de DRH de 35 ou 40 ans, pour qui prendre en compte ces questions de société est un levier de fidélisation. « Ils ont intégré les sujets de qualité de vie au travail, de conciliation des vies et de parentalité comme des sujets de performance pour les équipes. Alors qu’eux deviennent aussi parents, ils peuvent faire bouger les lignes », souligne-t-il. Notamment dans un rôle d’accompagnement. À l’instar de Parentissime, de nombreux acteurs se sont d’ailleurs lancés sur le marché. « Au-delà de dire que la maternité ne doit plus être un frein à la carrière, le manager et l’entreprise doivent rassurer la future maman : elle doit savoir qu’elle retrouvera sa place et ses missions à son retour et on doit même lui redonner confiance », encourage-t-il. Pour lui, les parents développent en effet des compétences tout à fait mobilisables dans le monde du travail (écoute, empathie, concentration, négociation, persévérance…). « L’idée est de rendre la chose positive », tranche-t-il.

Pour y parvenir, des aménagements peuvent permettre à l’entreprise de garder sa collaboratrice plus longtemps, « et à la femme de garder ses semaines de congé pour profiter de son bébé après la naissance », souligne Marie Donzel. En pratique, le télétravail peut éviter à la femme enceinte les trajets qui lui sont souvent pénibles, voire interdits. « Grâce au confinement, le télétravail sera peut-être plus facilement mis en place pour la femme enceinte. Si on avait expérimenté ce système pendant les périodes de grossesse, les entreprises auraient su comment faire pendant la crise », tacle d’ailleurs Marie Donzel.

Allongement du congé paternité.

Chez Mazars, tous les managers sont sensibilisés au sujet de la parentalité dès leur prise de poste, qui inclut notamment les questions d’organisation du travail pour anticiper la charge et la fatigue de nos collaboratrices (possibilités de télétravail ou modification des horaires pour éviter les transports en heures de pointe). « Le problème est que la femme enceinte, à son sixième mois de grossesse, si elle se sent moins opérationnelle ou moins radieuse, s’adresse plus facilement à son médecin plutôt qu’à son employeur pour avoir des aménagements, malgré l’impact que va engendrer sur sa carrière cet arrêt plus long », regrette Marie Donzel. En bénéficiant d’un meilleur accueil et accompagnement dès l’annonce de sa grossesse, la femme enceinte aurait peut-être fait un tout autre choix.

La décision d’un allongement du congé paternité (ou second parent) à partir du premier juillet prochain, à 28 jours, peut-elle changer la donne et faire que la grossesse devienne une étape normale de la vie des femmes, de la société, des entreprises ? « L’enjeu est là : si on se met à considérer comme normal qu’il y ait des femmes enceintes au travail, comme il est normal qu’on en voit dans la rue, cela apporterait du positif à tout le monde », encourage Marie Donzel. D’autant que si l’on considère que la femme enceinte, future mère, voit ses priorités changer avec la naissance d’un enfant, on peut aussi supposer que les priorités du futur père sont également modifiées.

Ce que peut changer le congé allongé du second parent est sa prise en compte en entreprise. Aujourd’hui nombre de pères annoncent la grossesse de leur épouse au moment… de la naissance ! (ou un mois avant). S’ils veulent, demain, bénéficier du congé de 28 jours, leur replacement devra s’organiser et ils devront donc anticiper leur annonce. « Cela peut rétablir un peu l’équité et les situations des hommes et des femmes se ressembleront alors davantage », espère Aurélia Du Pasquier. « La parentalité et la grossesse peuvent être vues comme une chance », estime Olivier Blanchard. En profitant, par exemple, de la grossesse pour réfléchir (avec la femme enceinte) à une réorganisation du service, au développement de la polyvalence des collaborateurs en échangeant sur les tâches que la femme enceinte va devoir déléguer. Une grossesse constitue aussi une opportunité pour bénéficier, au retour de congé d’un regard extérieur et d’une prise de recul sur les dossiers… Chez Mazars, un dispositif spécifique pour accompagner la grossesse a ainsi « été mis en place il y a six ans », se réjouit Estelle Clément. « On remarque que les collaboratrices sont plus impliquées, car elles se sentent mieux considérées », note-t-elle. Cette année, avec le confinement, nombre de congés maternité ont d’ailleurs pu être décalés puisque le télétravail permettait des conditions d’activité plus favorables. Le prochain chantier de l’entreprise est de créer un webinaire pour les papas, pour les encourager à prendre le congé paternité de 28 jours. « Il faut libérer la parole des papas, pour qu’ils s’autorisent à faire vivre leur paternité au sein de l’entreprise, et plus globalement accompagner les jeunes parents, par exemple dans la gestion/répartition de la charge mentale, pour permettre ainsi aux hommes comme aux femmes de s’investir pleinement dans leur carrière comme dans leur vie familiale », anticipe Estelle Clément.

Auteur

  • Lucie Tanneau