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Le travail collaboratif en bonne voie

À la une | publié le : 01.03.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Le travail collaboratif en bonne voie

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si les outils se sont largement répandus depuis le début de la crise, la progression du travail collaboratif reste tributaire de l’évolution de la posture du manager et de la réticence des grandes organisations à accorder plus d’autonomie à des collectifs détachés des organigrammes.

La crise sanitaire a-t-elle amélioré la collaboration entre les salariés ? Si le terme fait florès, la définition même du travail collaboratif demande à être précisée. Réhana Saifoudine, manager chez Akoya Consulting, a une réponse qui inclut des nuances : « Le travail collaboratif se distingue du travail classique dans le sens où il s’agit d’un collectif dont les membres travaillent ensemble en vue d’atteindre un objectif commun. Attention, il y a le bon travail collaboratif et le… moins bon. Dans beaucoup d’entreprises, des collaborateurs sont consultés sur des sujets qui ne concernent pas leurs objectifs principaux. À mes yeux, c’est du travail consultatif plutôt que collaboratif. » Le travail collaboratif implique en effet la création d’une équipe pluridisciplinaire mobilisée à plein temps pour une durée déterminée autour d’un objectif commun.

Il peut en effet y avoir des confusions, estime de son côté Mathilde Le Coz, directrice des talents et innovation RH de Mazars : « En équipe, les gens peuvent se trouver côte à côte, chacun fait son travail puis il y a une mise en commun pour obtenir un résultat mais ce n’est pas forcément du travail collaboratif. Le travail collaboratif implique la codéfinition des objectifs, une construction, de l’intelligence collective. À chaque étape, il faut une confrontation des points de vue qui implique une capacité d’écoute pour accueillir des idées différentes, mais aussi pour s’assurer que le projet ne va pas dans une mauvaise direction. Il faut aussi une capacité à lâcher prise. » À ne pas confondre donc avec le travail en équipe où les tâches sont distribuées.

Les signes se multiplient

Une fois le périmètre fixé, il reste à savoir si ce mode de travail s’étend. Les signes se multiplient depuis trois ou quatre ans avec la progression des messageries instantanées comme Slack ou Teams, mais aussi les applications qui permettent à plusieurs personnes de travailler simultanément sur les mêmes documents (Google Doc), assure Jérémy Lamri, en charge de l’innovation de JobTeaser : « Ces outils peuvent ne pas être utilisés ensemble mais ceux qui sont à l’aise avec l’un de ces usages le sont aussi avec l’autre. L’adoption de l’un entraîne souvent l’adoption de l’autre, ce qui crée une grappe d’usages. » Il y ajoute un troisième type d’outils à mentionner, ce sont les logiciels de gestion de projets par tâches comme Trello, Jira ou Asana : « Leur adoption croissante est le grand signal de ces trois dernières années. Ce sont des outils qui permettent de se passer de PMO (Project Management Owner) et de mettre en œuvre une logique de responsabilité décentralisée. »

Un diagnostic que vient nuancer Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko, agence de conseil qui publie chaque année un « état de la transformation interne des organisations ». S’il a bien observé une explosion de l’usage de la vidéo, il constate que l’e-mail est resté l’outil de communication principal, juste devant WhatsApp : « Les outils collaboratifs tels que Slack, Teams, les réseaux sociaux d’entreprise ou les espaces partagés (Google Drive) ont progressé, mais sans venir perturber la hiérarchie du podium : mail, visio et WhatsApp. » Il note que les outils de white board ou d’animation de réunions (Klaxoon) ont aussi augmenté et sont désormais aussi utilisés en distanciel. Les flux Kanban qui permettent de rendre visible l’avancée d’un processus progressent aussi : « Ces outils, plus particulièrement le white board et les flux Kanban, permettent de contextualiser les échanges en ajoutant à l’objet dont il est question les échanges des différents intervenants, précise Arnaud Rayrole. Cela apporte un gain de temps et plus de clarté tout en réduisant la charge mentale. Dans un mail classique, il faut rappeler de quoi il est question, etc. Cet effort de recontextualisation est coûteux en temps et en énergie. Ces usages se démocratisent mais ils partaient d’un niveau si réduit que cela reste anecdotique. »

Faire évoluer la position du manager

Si la progression marque le pas, c’est que son adoption entraîne un changement, et pas n’importe lequel puisqu’il concerne la posture du manager. « Quand j’étais chef d’entreprise, mon rôle consistait à fixer des objectifs, explique Jérémy Lamri. Aujourd’hui, en situation de travail collaboratif, les objectifs sont fixés collectivement. En tant que manager, mon travail consiste à créer une dynamique qui permet aux collaborateurs d’avoir de bonnes règles pour prioriser leurs objectifs. » Une évolution qui n’a rien d’évident mais qui marque une nouvelle mutation du management. Après avoir longtemps fixé à la fois l’objectif et la méthode à utiliser pour l’atteindre, le management a commencé à animer ses équipes pour susciter des options, se réservant le choix de celle à mettre en œuvre. « Aujourd’hui, un manager doit amener un collaborateur à identifier le problème et la solution », résume Jérémy Lamri. Il estime cette évolution nécessaire, car les collaborateurs veulent plus d’autonomie et l’entreprise a intérêt à développer leurs capacités.

Une évolution qu’appelle aussi de ses vœux Mathilde Le Coz, de Mazars : « Pendant longtemps, manager consistait surtout à planifier et contrôler. Le manager était le gardien des process, or cela limite la créativité et réduit la responsabilité. Historiquement, il était celui qui a raison, il renvoyait le collaborateur aux enjeux de bonne évaluation, mais c’était une posture qui faisait passer à côté de richesses. Aujourd’hui, cela consiste surtout à faciliter les échanges, animer l’intelligence collective, servir de médiateur entre les membres du groupe, plutôt que contributeur. » Autrement dit, le manager ne doit plus apporter la solution mais avoir suffisamment confiance dans le collectif pour le laisser parvenir à la solution. « Le manager doit maintenant être au service des autres, assure Mathilde Le Coz. Il ne doit pas seulement entendre mais aussi écouter, accepter les points de vue différents dans une optique de challenge bienveillant. L’une des grandes erreurs des managers a été de croire qu’ils avaient réponse à tout. Aujourd’hui, la connaissance n’est plus ce qui distingue le manager mais l’expérience, la connaissance du contexte. Il doit aujourd’hui définir la direction, le cadre et les objectifs, tout en laissant plus de liberté au sein de ce cadre. »

Et les collaborateurs ?

Si le mouvement est payant à long terme pour les organisations, le changement reste difficile pour le manager car il sait ce qu’il faudrait faire mais doit se garder de le dire. « Le manager aujourd’hui doit être un guide afin de favoriser les capacités des collaborateurs et les rendre plus aptes au travail collaboratif, précise Jérémy Lamri. C’est une transformation qui demande énormément d’accompagnement. Les managers doivent être accompagnés pour désapprendre et laisser faire les équipes, même lorsque les solutions trouvées sont moins efficaces. »

Pas si simple, car le travail collaboratif n’est pas forcément prisé par tous les collaborateurs. Si certains éviteront les interactions pour conserver leur expertise, chez d’autres, c’est le manque d’autonomie qui posera problème. « Pour bien travailler en mode collaboratif, les collaborateurs doivent avoir des capacités en communication, savoir gérer leur temps, avoir une réelle intelligence émotionnelle pour pouvoir accueillir la critique, et la capacité à résoudre les conflits », rappelle la consultante d’Akoya Consulting.

Une difficulté redoublée dans les grandes structures encore trop attachées à des fonctionnements anciens, déplore Réhana Saifoudine : « Les grands groupes ont plus de difficulté à adopter les modes d’organisation agiles car les collaborateurs sont attachés à des silos, des départements auxquels il est plus difficile de les soustraire pour les mobiliser sur un projet. Il y a une peur de la perte de contrôle qui empêche les collaborateurs de s’impliquer vraiment dans différents projets. » Pour autant, elle estime que ces structures vont dans la bonne direction malgré les tâtonnements, grâce à des outils comme Teams ou Sharepoint qui facilitent le travail collaboratif en permettant de créer des communautés et d’instituer différents niveaux d’implication et d’interaction.

L’arrivée de jeunes recrues va sans doute accélérer le mouvement. Difficile de leur appliquer le management directif considéré comme normal il y a encore dix ans. « Aujourd’hui, une directive de cet ordre peut être interprétée comme une mesure presque dictatoriale, note Jérémy Lamri. L’argument d’autorité ne fonctionne plus. Il faut expliquer et donner du sens au travail. » Selon lui, les directions n’ont cependant pas conscience de cette pression qui monte du terrain. Une situation qui met pourtant le middle management face à des injonctions paradoxales source potentielle de burn-out. Faire converger protection de la santé et efficacité à long terme pourrait bien faire le succès du travail collaboratif.

La poussée des work flow et du « low code »

Les outils de work flow (workplace de Facebook ou workspace de Google) progressent aussi dans les entreprises, de même que les environnements dits « low code ». Ils permettent à des personnes qui ont des notions de programmation du même type que celles utilisés pour faire des macros Excel, de créer un programme qui outille des process managériaux trop réduits (traitement automatique des courriers, gestion d’événements, partage d’information, définition des étapes d’un process de validation…) pour mobiliser les équipes IT. « L’IT des entreprises pousse ce type d’environnement pour que les équipes puissent trouver une réponse rapide à leurs problématiques métiers sans avoir à lancer un projet informatique lourd, avec un cahier des charges », explique Arnaud Rayrole, directeur général de l’agence de conseil en transformation Lecko.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins