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« La crise est un laboratoire de l’autonomie et de la responsabilisation des salariés »

À la une | publié le : 01.03.2021 | Judith Chétrit

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« La crise est un laboratoire de l’autonomie et de la responsabilisation des salariés »

Crédit photo Judith Chétrit

Le travail à distance recouvre désormais une hétérogénéité de situations dans les entreprises. Un puzzle d’opportunités et de contraintes qui donne également un coup d’accélérateur aux nouveaux modes de travail, estime le sociologue Michel Lallement, professeur au Cnam et auteur d’un récent ouvrage sur les communautés utopiques américaines (« Un désir d’égalité », Éditions du Seuil). La crise sanitaire a amplifié la zone grise entre le domestique et le professionnel et impose une réflexion sur les figures de contrôle et d’autonomie.

La crise sanitaire a ancré de nouvelles habitudes de travail, mais a été également à l’origine de tensions. Lesquelles sont appelées à perdurer ?

Michel Lallement : J’ai observé trois types de tensions au travail depuis le début de la crise sanitaire, à l’origine de mécontentements dont il est encore difficile de faire le bilan. D’abord, des tensions formelles qui ont pris la forme de conflits, de retraits ou d’actions collectives au tribunal, en partie liés aux protections sanitaires. D’autres tensions ont été plus organisationnelles : le télétravail a pu engendrer une montée du sentiment d’empêchement pour certains salariés avec des difficultés pour réaliser leurs tâches habituelles, faute de matériel ou de dialogue. Chez les cadres, le sentiment d’une charge supplémentaire de travail pour accompagner le changement d’organisation dans leurs équipes a amplifié l’intensification du travail. Enfin, l’isolement ressenti par beaucoup n’a pas aidé et il ne faut pas éluder ceux qui ont pu se sentir impuissants, inutiles ou peu reconnus par les autorités lorsque leur activité a été stoppée nette avec une chute des revenus. Les questions de santé au travail continueront d’alimenter des tensions formelles autour des conditions de l’activité ou de la recomposition des espaces de travail, mais aussi de l’accroissement du stress. La crise sanitaire rappelle encore plus que le travail remplit plusieurs fonctions en tant que pourvoyeur de revenus, mais aussi en tant qu’opérateur de sociabilités.

Peut-on affirmer qu’avec le développement du télétravail, les salariés ont gagné en autonomie ?

M. L. : Depuis le début des années 2000, deux mouvements traversent le monde des organisations du travail : d’une part, la montée en puissance de l’autonomie. Il faut être capable de définir par soi-même l’objectif du travail à réaliser et se débrouiller lorsque des problèmes apparaissent. La capacité à contourner les consignes formelles pour pouvoir être efficace est aussi valorisée. D’autre part, la pression de plus en plus forte sur les épaules des salariés leur pèse mentalement. Ils ne peuvent plus être en retrait ; ils s’engagent pour le meilleur et pour le pire. La crise sanitaire est intéressante en ce qu’elle est aussi un laboratoire de l’autonomie et de la responsabilisation des salariés. Ce n’est pas quelque chose de spontané et d’inné. Bien que le passage ait été forcé, il y a un vrai gain d’autonomie dans le télétravail.

Qu’est-ce qui conditionne cette autonomie ?

M. L. : Le salarié se retrouve obligé de recomposer son travail. Ce gain d’autonomie est lié à des facteurs permissifs comme la baisse de la dispersion de l’attention, des interruptions permanentes ou la flexibilité dans l’organisation de son quotidien. Cependant, l’interaction de plus en plus fréquente avec des clients et des usagers peut aussi limiter la pratique de l’autonomie, indépendamment des relations au sein d’une équipe. Ce que nous vivons actuellement met aussi en avant les compétences personnelles et sociales qui font qu’une personne dispose de toutes les ressources pour pouvoir être autonome dans son travail. Le passage au télétravail s’est accompagné d’une transformation des tâches et des objectifs : l’exigence de flexibilité, l’animation à distance de collectifs. Cela présuppose l’acquisition de compétences. Pour les entreprises, deux leviers semblent évidents. Le partage d’expériences permet de calibrer des règles de collaboration. Le second levier, associé à la formation, peut être une contrepartie dans le cadre de négociations ou au moins une remontée d’informations au niveau du CSE pour alimenter la reconfiguration du travail.

Pourquoi la clarification des règles de collaboration importe ?

M. L. : Dans leur manière de recomposer le travail à distance, les entreprises ont eu vite à cœur d’accorder des temps et des capacités d’échanges importants par le biais des technologies dans les collectifs de travail, car elles ont voulu anticiper la difficulté de coordination entre des salariés isolés. Mais c’est une pratique qui peut s’essouffler et est extrêmement coûteuse à tenir dans la durée. L’autre enjeu est de maintenir des collectifs informels, ces liens faibles qui se développent au sein de l’entreprise. Recréer des sociabilités quotidiennes présente aussi le risque de l’exclusion avec, par exemple, des messageries instantanées parallèles.

Auteur

  • Judith Chétrit