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Vie des entreprises

Élections professionnelles et vie privée

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.05.2001 | Jean-Emmanuel Ray

Datant de l'après-guerre, les textes relatifs aux élections professionnelles ont mal vieilli. À l'heure du télévote et de l'importance grandissante accordée au respect de la vie privée, il serait temps que la Cour de cassation fasse évoluer une jurisprudence aujourd'hui bien orthodoxe.

Test grandeur nature de la représentativité réelle de chaque syndicat, les élections professionnelles sont un moment fort et souvent conflictuel de la vie de l'entreprise. Cinquante ans après les textes fondateurs, ne devraient-elles pas évoluer ?

1° Listes électorales et atteintes à la vie privée

« Le droit commun électoral est applicable et impose l'énonciation du domicile réel des inscrits. » L'arrêt rendu le 21 mars 2001 par la Cour de cassation ne fait que reprendre la jurisprudence plus générale du 20 mars 1985 : « À défaut de dispositions spéciales du Code du travail, celles du droit commun électoral qui ont pour but de permettre un contrôle indispensable des conditions d'électorat et d'éligibilité sont applicables aux élections professionnelles. »

Ce raisonnement est-il vraiment pertinent, même si beaucoup d'employeurs soumis à un fort courant de protestation (de l'encadrement en particulier) n'hésitent pas à faire figurer la seule adresse de l'entreprise ?

a) Une entreprise n'est pas une ville de 5 546 ou de 165 789 habitants ne connaissant pas leur voisin de palier, où par ailleurs tout électeur et a fortiori candidat doit avoir une attache : c'est l'appartenance à l'entreprise qui détermine avant tout ces deux qualités. Si, à la rigueur, la date de naissance doit être indiquée pour vérifier l'âge (mais il y a généralement peu d'enfants mineurs…) mais aussi le cas échéant éviter d'éventuelles erreurs dues à des homonymies (allant au-delà des noms et prénoms…), l'énonciation obligatoire du domicile privé est surprenante à une époque où, à juste titre, le respect de la vie privée est érigé en droit fondamental.

b) Consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision CMU du 23 juillet 1999, la vie privée est protégée par tous les textes supranationaux contemporains, à commencer par la Convention européenne des droits de l'homme affirmant dans son article 8 le nécessaire respect dû à la vie privée et familiale comme au domicile.

Il est dès lors surprenant que la Cour de cassation, si sourcilleuse par ailleurs sur ce point, ait rejeté sans autre explication l'argument du tribunal d'instance de Lyon ayant fait primer l'article 8 de la Convention européenne.

c) Cette publicité est aujourd'hui d'autant plus choquante que, avec les nouvelles technologies de la communication, ces fichiers nominatifs devant être communiqués sur leur demande à tout candidat comme aux syndicats (Cass. soc., 17 janvier 2001 ; sans que ces derniers ne soient tenus de les déclarer à la Cnil : T. corr. Paris, 24 octobre 1994) peuvent être demain (fautivement) envoyés sous forme de dossier joint en une seconde à l'autre bout de la planète et servir à de tout autres fonctions que la désignation des délégués du personnel de l'établissement de Grenoble : au mieux de la publicité commerciale, au pire…

L'arrêt du 21 mars 2001 énonce cependant une intéressante et inattendue dérogation à la règle de l'indication obligatoire du domicile : « L'accord unanime des parties signataires du protocole électoral » (et non des syndicats présents dans le périmètre considéré). Le droit commun électoral jugé par ailleurs si rigoureux pourrait donc être écarté par un accord privé…

2° Un vote par intranet ou Internet ?

À notre époque où les électeurs, comme les lieux de travail, sont de plus en plus atomisés, la simplicité et la rapidité d'un vote électronique éviteraient nombre de migraines aux services RH et juridiques.

Mais, en l'absence d'enveloppes, de bulletins et de bureaux de vote physiques, des élections professionnelles électroniques seraient aujourd'hui annulées (Cass. soc., 20 octobre 1999). Cette interdiction va-t-elle au-delà des scrutins légalement obligatoires ? Par sa décision Vivendi du 21 décembre 2000, le tribunal de grande instance de Paris a validé un télévote pour des élections au conseil de surveillance d'un fonds commun de placement, tout en rappelant à juste titre que, quelles que soient les modalités de la consultation, « elle doit se dérouler dans des conditions de transparence et de loyauté qui assurent l'équilibre entre les divers candidats ».

Depuis la loi du 19 janvier 2000 sur les 35 heures qui a introduit la notion d'accord majoritaire, la fonction des élections professionnelles a évolué. Hier il s'agissait surtout de savoir qui allait devenir secrétaire du comité d'entreprise, ou devrait assumer les faiblesses de la cantine. Aujourd'hui, leurs résultats ne sont pas sans conséquence sur la négociation collective : négativement avec le droit d'opposition syndicale (50 % des inscrits) en cas d'accord dérogatoire, positivement en cas d'accord 35 heures avec allégement de charges (50 % des votants). Et peut-être demain pour la validité de l'accord lui-même.

FLASH

• Fouille des sacs et ouverture des disques durs

Au visa de l'article L. 120-2 du Code du travail, la Cour de cassation a accepté le 3 avril 2001 qu'un délégué ayant refusé d'ouvrir son sac en pleine période d'attentats de 1995 soit sanctionné. Mais à des conditions extrêmement exigeantes : « La société de télévision, qui avait été concernée par des alertes à la bombe, avait valablement exigé, à titre temporaire, l'ouverture des sacs devant les agents de sécurité ; cette mesure, justifiée par des circonstances exceptionnelles et des exigences de sécurité, était proportionnée au but recherché puisqu'elle excluait la fouille des sacs. »

Raisonnement a fortiori : un virus informatique étant moins grave qu'un attentat meurtrier…

Alors que nombre d'entreprises élaborent des chartes NTIC prévoyant la surveillance continue du courrier intranet et Internet et, le cas échéant, l'ouverture des disques durs où figurent souvent des données beaucoup plus personnelles que dans un sac, cet arrêt confirme que ces normes générales très (trop) restrictives en termes de vie privée comme de secret de la correspondance (cf. rapport de la Cnil, mars 2001) risquent un jour de tomber sous le coup de l'article L. 120-2.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray